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6 janvier 2014

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Chronique Concert

"De Rome à Versailles (…et retour)"

La Belladone

Blason de la Ville de Bernay. D.R.

Stefano Landi (1587-1639)

Girolamo Frescobaldi (1583-1643)

Pierre Guédron (1570-1620)

Claudio Monteverdi (1563-1643)

Diego Ortiz (1510-1570)

Marin Marais (1656-1728)

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)

Michel-Richard de Lalande (1657-1726)

Jean-Henry d’Anglebert (1629-1691)

Ennemond Gaultier (1575-1651)

Jean-Baptiste Lully (1632-1687)

De Rome à Versailles (…et retour)

La Monica, Gagliarda Gamba, Les Forze d’Ercole, Ma belle si ton âme, anonymes, A che più l’arco tendere de Landi, Trois variations sur La Monica pour clavecin et Se l’aura spira de Frescobaldi, Belle qui m’avez blessée de Guédron, Se dolce è’l tormento de Monteverdi, Ricercada d’Ortiz, Suite pour viole de gambe en la mineur, prélude, gavotte et grand ballet de Marais, Sans frayeur dans ce bois de Charpentier, Une jeune pucelle de Lalande, Allemande La Vestemponade pour clavecin d’Anglebert, Chaconne pour luth en do majeur de Gaultier, Répands charmante nuit de Lully

Alice Kamenezky (soprano), Ondine Lacorne-Hebrard (dessus et basse de violes), Simon Waddell (luths renaissance et baroque, théorbe), Nicolas Andlauer (clavecin).

Ensemble La Belladone.

Bernay, Chapelle de l’Hôpital, le samedi 25 avril 2009

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“Un non so che di flebile e soave”

Plante mythique, la belladone nous évoque immédiatement une quantité d’images puissantes, et cet ensemble de quatre jeunes musiciens a parfaitement su choisir son nom, à la hauteur duquel il s’élève sans peine, nous proposant une musique d’une piquante suavité.

L’aperçu du programme complexe et varié pourrait nous étonner, et on pourrait se surprendre à s’interroger sur sa logique. Mais, tandis qu’il se déroule, il prend tout son sens, et c’est à une véritable enquête à double sens, sur l’influence de la musique tant vocale qu’instrumentale italienne sur la musique française et de la française sur l’italienne, à laquelle nous somme conviés.

Les nécessités formelles d’un article nous obligent hélas à en présenter les membres séparément, mais c’est à grand regret que nous nous y plions. Car s’il y a une chose qui marque avant tout, c’est leur cohésion et leur union, et le terme d’ensemble prend avec eux tout son sens. Dès que les premières notes de A che più l’archo tendere de Landi, qui ouvrait le concert, emplirent la chapelle bernayenne, leur plaisir de jouer, travailler et avancer ensemble était frappant. Pas de hiérarchie entre les instruments, pas un cherchant à tirer les regards à soi, mais un tout véritable, avec une envie de chacun de porter les autres tout en avançant ensemble et côte à côté — avec un évident équilibre juste, aucun ne se noyant dans la masse, et chacun ayant quand même sa place. Leur union est réellement chimique et mystérieuse, comme dans la chaconne Sans frayeur dans ce bois de Charpentier, où bien que chacun des quatre soit entrés progressivement, la complicité et le plaisir d’être ensemble irradie et ne peut que porter la musique, ou encore dans le Se l’aura spira de Landi, magique et entraînant (difficile de rester assis sur sa chaise et de ne se mettre à sautiller — ce qui eût été légèrement inconvenant dans cette digne chapelle pleine d’antiques normands) d’une délicieuse et dangereuse morbidezza.

La voix d’Alice Kamenezky, chaude et puissante nous terrasse par ses harmoniques claires, dégagées, pures. Une voix cristalline comme il y en a peu, légère, aérienne et simple, mais soutenue, qui lui permet d’être aussi à l’aise dans les notes les plus basses que dans des aigus qui nous font frissoner de plaisir et de sensualité. La voix est ouverte, mais pas engorgée, et la ligne limpide avance sans se perdre ni se précipiter, et le texte (hélas en prononciation moderne, pour le français — ce que l’esprit intégriste de votre serviteur, qui ne peut s’empêcher de tiquer quand il entend un [woa] en français du dix-septième, ne peut que regretter) est précis et incarné. Son ornementation luxuriante (mais sans excès flagorneur) coule de source, reste liée à l’ensemble de la partition et nous laisse pantois.

Il en va de même des trilles de Nicolas Andlauer au clavecin, pour l’allemande La Vestamponade d’Anglebert. En dehors de son élégance posée, son toucher reste toujours délicat et gracile que ce soit dans ses morceaux solistes ou dans le continuo. Les aigus du clavecin (nous déplorons cependant de n’avoir d’information sur son facteur) légers, jamais cinglants — sans perdre en présence — sont soutenus par de belles basses chaudes et amples. Et ça respire, la ligne est claire, mesurée et ne se perd jamais ; chacune des voix se fait entendre. Au continuo, il fait parfois preuve d’une audacieuse inventivité, en se livrant par exemple à des glissés sur tout le clavier, dans quelques mesures de Se l’aura spira, qui nous emportent et nous font frétiller, et il sait parfaitement s’harmoniser avec ce qu’il accompagne, que ce soit la voix chantée (de La Monica, par exemple), ou le tendre dessus de viole pour La jeune pucelle de Lalande, où le timbre des instruments s’harmonise parfaitement.

Ondine Lacorne-Hebrard, à la viole, nous charme et nous enchante, que ce soit sur son mignard dessus d’une suave et touchante légèreté (même si certains aigus hors-frêtes grincent un tout petit peu parfois) que sur sa basse ample et charnelle. Au continuo, elle sait être très présente, se rappeler à nous avec ses belles basses, portant le chant, dans le Monteverdi par exemple, mais aussi se mêler adroitement à la voix chantée, devenant presque elle-même une deuxième voix répondant à la première, lorsqu’elle se met au dessus pour Ma belle si ton âme. Pour décrire sa suite de Marais, d’une pure simplicité, les mots nous manquent, et nous ne pouvons, malgré notre style habituellement orné, que dire que c’était beau. Beau et simple, précis et agile, mais jamais froid — au contraire, chargé d’émotions qui nous atteignent et nous transpercent immanquablement. Nous évoquions plus haut l’écoute qu’ont les musiciens entre eux, que la Ricercada d’Ortiz peut tout aussi bien illustrer que les exemples déjà donnés. Simplement accompagnée d’un luth renaissance, elle ne le noie jamais, se laissant porter par celui-ci, sans se perdre non plus.

Mais il faut dire que le luth de Simon Waddell a de quoi en inspirer plus d’un. Au luth renaissance (sur le Guédron, par exemple, ou la Gagliarda gamba), il nous fait entendre un son très rond, aéré, sans être pour autant ethéré ni absent. Au contraire, il sait affirmer sa présence sans jamais faire claquer ses accords. Au théorbe (sur Répands charmante nuit de Lully, ou encore le Monteverdi ou le Landi), son son reste rond, tout en gagnant en piquant (notamment sur le Charpentier), en force, en ampleur. Ses belles basses chaudes emplissent l’église et élèvent le chant qu’il soutient. Enfin, son seul morceau en soliste, une chaconne de Gaultier le vieux, jouée sur luth baroque, nous fait regretter qu’il n’en aie pas plus. Toujours rond et souple, le son n’est pas mou, et porte. Gracieux et beau, son toucher a quelque chose de très tendre et sensible, presque réconfortant, tandis que s’en dégage une suave douceur.

Malgré leur jeunesse, et des accords d’instruments parfois un peu trop fréquents (il faisait tout de même bien chaud et humide dans cette Normandie d’avril, ce qui n’est jamais trop apprécié des boyaux) qui ralentissent le rythme du concert, La Belladone est donc un ensemble plein de promesses, que nous ne manquerons pas de suivre dans la carrière qui les attend.

Charles di Meglio

Pour ceux qui n’auraient pas eu le courage de se déplacer jusques à Bernay, La Belladone sera en concert à Paris, le samedi 2 mai à l’église Sainte-Elizabeth-du-Temple, 195, rue du Temple, à 16h.

 

 

 

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