En attendant Legrenzi
La
conurbation Nantes-Rezé a la chance de contenir en son sein deux ensembles
baroques d’un excellent niveau : Stradivaria et Aria Voce. Le premier
a été complètement absent de cette édition du Printemps des Arts, et le
second s’illustrait ce soir avec un programme religieux. Un programme
évoquant la Sérénissime sous un angle certes abordé au disque, mais peu au
concert – ceci pour la Selva de Monteverdi, en particulier, qui
ouvrait le programme.
Il faut bien dire que malgré la
quasi-perfection technique atteinte dans cette Missa a 4, elle a été tout à
fait propre à faire redouter le pire pour la suite. Il lui manque un
je-ne-sais-quoi de sensibilité, de dévotion même peut-être. Si le Magnificat
suivant explorait déjà de nouvelles pistes, en montrant en particulier que
le brillant et la puissance (Deposuit potentes) n’étaient pas
inconnus à ce cœur, on ne s’y attardera guère pour se concentrer sur la
seconde partie du programme : Legrenzi.
Compositeur assez méconnu, et nous
n’hésiterons pas à dire injustement méconnu, surtout pour le pan
religieux de son œuvre. Pourtant, écoutez cette Missa extraite de son opus
1 : on a là une polyphonie et un dialogue entre voix et instruments si
abouti ! Le Gloria est sans doute l’une des plus belles parties de cette
messe, en particulier ce que Philippe Le Corf et son ensemble ont eu
la judicieuse idée de reprendre en bis, l’Et incarnatus est, le
Crucifixus et le Resurrexit : on passe d’un savant contrepoint
assez austère à des entrées fracassantes, explosives, sur Crucifixus,
pour finir avec une grande virtuosité (festive, cela va sans dire) pour la
résurrection du Christ !
Philippe Le Corf fait assurément partie
des gens qui servent la musique au lieu de se servir de la musique. Ici et
là, on entend des imperfections : manque d’égalité des voix dans le pupitre
de ténor, dans les aigus des soprani, pupitre d’alti un peu trop discret. Le
plus gros défaut reste un global manque de cohésion d’ensemble du chœur : la
polyphonie complexe est certes bien rendue, mais on a que très rarement (Suscepit
du Magnificat de Monteverdi, par exemple) l’impression d’entendre un chœur
bien uni. Côté instruments, il faut d’avance préciser que Legrenzi en fait
un emploi virtuose. Ceci dit, on sera plus enclin à passer sur les
imprécisions dans les traits. On pardonnera aussi à la première violoniste
d’amour de s’être mal accordée avec les autres pour les Sonate da chiesa,
les rendant presque inaudibles, en faveur de la redécouverte de cet
instrument, le violon d’amour.
En fait, on peut dire qu’on pardonnera
tous les petits défauts en faveur de la grande qualité de l’ensemble, en
regrettant tout de même un peu trop de placidité, en faveur aussi de la
redécouverte de Legrenzi ; et en attendant un meilleur soir.