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mise à jour 20 janvier 2014
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Chronique Concert Sacchini, Renaud ou la suite d'Armide, Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
Christophe Rousset © Ignacio Barrios Martinez
Antonio Sacchini (1730 – 1786)
Renaud ou la Suite d’Armide (1783)
Renaud – Julien Dran Armide – Marie Kalininne Hidraot – Jean-Sébastien Bou Adraste/ Mégère/ Arcas/ Tissapherne : Pierrick Boisseau Mélisse/ Une Coryphée : Julie Fuchs Doris/ Une Coryphée : Katia Velletaz Iphise : Jenifer Borghi Antiope : Chantal Santon Tisiphone/ Un Chevalier : Cyrille Dubois Alecton : Pascal Bourgeois
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles Les Talens Lyriques Dir. Christophe Rousset
19 octobre 2012, Opéra Royal de Versailles, version de concert
Chronique-hommage à Pierre-François Pinaud (1951-2012), historien et auteur du livre : Les Musiciens Franc-Maçons sous Louis XVI De la haine à l’amour il n’y a qu’un pas. En partant pour Versailles, la ville s’engageait dans les nuances grises des voiles d’octobre. Pourrait-on espérer la botte célère du fleuret solaire ? Les promesses de la météo sont souvent des mythes, des serments amoureux que le vent emporte dans la boue. La brume frôla doucement les griffes aigues des gratte-ciels que l’Ile de Puteaux fait construire sur sa tête. Triste saison pour certains, plaisir des autres au penchant sentimental, mélancolique et pourquoi pas humidement solitaire. Mais le bruit de la pluie sur les toits centenaires du Palais ne pouvait plus écarter la lumière qui s’échappa ce vendredi soir des lucarnes et des fenêtres. L’invasion par la horde affairée du public en goguette n’empêcha pas le chroniqueur de s’arrêter un instant pour admirer une extraordinaire vision dans le couloir en damier menant vers le vestibule de l’Opéra : les sculptures en étaient couvertes des longs voiles blancs du deuil de l’été, comme des spectres statiques veillant de part et d’autre à l’initiation sacchinienne de la salle Gabriel. Pour peu viendraient à l’esprit John Corigliano et ses Ghosts of Versailles, réalité paranormale qui doit s’éveiller tous les soirs dans les antichambres de ses murs tapissés de souvenirs. Ce soir la fosse était déjà pleine, débordante de ces Talens Lyriques aux couleurs franches. Au cœur du rideau de scène éclataient les armes de France, comme le symbole étonnant d’une quelconque approbation. On connaît bien Antonio Sacchini, et les notes liminaires de Benoît Dratwicki nous éclairent un peu sur le créateur, l’artiste et le musicien. Quand on se penche sur ses productions plus anciennes, telles la délicieuse Isola d’Amore ou bien l’extraordinaire Contadina in Corte (qui rappelle la Colinette à la Cour de Grétry), on se rend compte du génie musical hors pair d’un compositeur qui a bien mérité que son Renaud revienne sur le devant de la scène et qui mériterais aussi que sa Contadina in Corte nous soit rendue. Mais quelle était la nature profonde de son œuvre, la portée incroyable de son langage tout italien sur une scène hautement inféodée au style épuré à la française ? Et surtout l’homme n’était pas seulement un être d’art. Comme nombre de ses collègues, il chercha la lumière autrement qu’en se rapprochant du château du Soleil : Antonio Sacchini était Franc-maçon, tout comme une grande partie de l’intelligentsia du règne de Louis XVI. Il partageait les travaux de son atelier avec des artistes tels Piccinni, Dalayrac, Marmontel. Et si l’on ne doit pas chercher un quelconque mystère dans sa musique ou bien un symbole dans les partitions, la nature profonde de son engagement ont peu ou prou influencé sa production.
Christophe Rousset © Éric Larrayadieu Renaud ou la Suite d’Armide reprend le livret d’une ancienne tragédie lyrique de Desmarest. Le plus étonnant est que Sacchini, florentin, fraichement débarqué de Londres ait obtenu le privilège de créer devant la reine Marie-Antoinette cette tragédie en 1783, qui marquera ses débuts sur la scène parisienne. Renaud est une tragédie époustouflante de bout en bout, alors que nous soupirions déjà en nous attendant à une suite de récitatifs accompagnés ou des récits interminables. La seule promesse qui excitait malgré tout nos espoirs de rythme et de nouveauté était l’air assez connu : "Que l’éclat de la victoire" d’un cisèlement italien magistral et d’une grandeur toute classique. Nos préjugés furent battus en brèche : durant 2h15 la tragédie fut une succession de bijoux et de surprises, d’unité parfaite à l’intrigue très bien construite. Pas un seul moment de mollesse, pas un air en trop, même les divertissements constituent des pauses de réflexion, sorte d’attente, de suspens dans la guerre sentimentale qui se livre entre Armide et l’orgueilleux Renaud. Mais le plaisir n’eut pas été aussi grand sans l’équipe que cette recréation méritait et il faut rendre hommage ici à Christophe Rousset, qui dans la plaquette de présentation nous propose un message fort d’espoir pour ces temps de tâtonnements et de coupes budgétaires, une critique des hésitations et des doutes, un véritable cri d’amour pour la musique. La mort se vainc par le courage, les déserts par la persévérance et la misère par l’effort comme le montrent les Talens Lyriques et leur chef à travers des projets originaux. Christophe Rousset nous a pendant cette représentation émerveillés par la force de son engagement, la précision des rythmes, l’homogénéité et l’intelligence de son approche : Sacchini lui va à merveille. Côté orchestre, même si l’on déplore un son un peu sec, nous ne tarirons pas d’éloges sur leur prestation des Talens aux cordes raffinées et nuancées, et nous reconnaissons les coups d’archets de Gilone Gaubert-Jacques toujours dans la couleur mais aussi dans l’énergie. Les flûtes sont incroyablement servies tout comme les hautbois et les bassons. Cependant les cuivres naturels demeurent un le point faible de cette soirée, un peu décalés et souvent faux en raison des difficultés techniques d’exécution.
Marie Kalinine - DR La panoplie des solistes était fortement nuancée. A leur tête nous avons pu goûter la soprano Marie Kalinine en Armide. En toge orange, les cheveux bruns tirés en chignon de tragédienne, nous étions face à l’incarnation de Maria Callas, au regard noir et à la gorge noire du coq de Samos. Marie Kalinine s’investit en ce moment dans tous les projets tragiques néo-classiques. Et si sa voix est parfaite dans les rôles véristes comme nous l’avons vue en 2011 à l’Opéra National de Lorraine face au Turiddu de José Cura, elle est tour à tour Santuzza et Armide, porte le cœur en bouche et nous émeut par ses incarnations, la force de sa diction et la conviction artistique de ses prestations. Marie Kalinine mérite une Phèdre, une Didon, une Déjanire ! Nous avons été séduits par cette sublime Armide tour à tour fragile et combattante, tour d’ivoire au cœur en feu et tragédienne hors pair. Face à cette incarnation de la Champmeslé, de Mme Saint-Huberty, le Renaud de Julien Dran, malheureusement, fait pâle figure. Malgré une belle voix, une présence notable sur scène, les difficultés de la partition ne lui permettent pas de se détacher de certains soucis techniques, notamment une difficulté dans le médium et un manque d’engagement dramatique dans les aigus. C’est bien dommage pour un tel personnage, pour une fois dépeint comme autre chose qu’un héros efféminé et falot. En pendant masculin, nous saluons l’Hidraot de Jean-Sébastien Bou, qui a su développer les couleurs sombres de sa tessiture et l’amplitude de sa voix, et acquérir de nouvelles nuances. Année faste pour le baryton, puisqu’il nous offre deux incarnations incroyables, l’Hidraot chez Sacchini et le retors et sublime Caïn de la Mort d’Abel de Kreutzer au disque (Ediciones Singulares, 2012).
Pierrick Boisseau - DR Dans un autre registre, Pierrick Boisseau se révèle excellent en Adraste et nous propose une scène de mort émouvante et pleine de dramatisme. En furie avec Cyrille Dubois et Pascal Bourgeois, il forme un trio de voix aussi belles que mesurées. En complément, le trio féminin de Katia Velletaz, Julie Fuchs et Jenifer Borghi est plus inégal. Si Katia Velletaz dévoile de belles nuances dans l’air du premier Coryphée, elle manque cependant de puissance dans une salle comme l’Opéra Gabriel. De même, Jenifer Borghi, malheureusement assez en retrait avec un timbre plutôt terne, n’était pas à son avantage. Enfin, Julie Fuchs fut la plus exposée en interprétant le virtuosisime air du deuxième Coryphée qui clôt l’opéra. Malgré une très belle voix, des nuances parfaites et de courageux investissements, l’interprétation n’est pas suffisamment forte, pour un morceau certes de circonstance mais qui oblige l’artiste à s’abandonner pleinement aux remous de la partition. Et si Armide a cru perdre pour toujours Renaud après son abandon, la fable du Tasse démontre que le sentiment le plus enfoui peut ressurgir par la véritable passion, par le sacrifice des ruines du passé. L’histoire d’Armide et de Renaud n’est jamais loin de nous, il suffit de revenir en arrière dans l’adolescence et ses émois et revoir un film comme "Dix bonnes raisons de te larguer" pour comprendre que le mythe change de masque mais il est toujours le même… de la haine à l’amour il n’y a qu’un pas.
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