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6 janvier 2014

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Chronique Festival

Festival de Sablé 2013

du 21 au 24 août

 

 

 

Le thème du festival ne manque pas d’audace : « Précieuses… » Les points de suspension invitent à ne pas compléter, et c’est comme s’ils disaient : « non, elles ne sont pas ridicules » — d’ailleurs, tout le monde l’a remarqué. Un thème audacieux parce qu’il invite à explorer une musique qui reste finalement assez absente des programmations et des discographies : la musique française du premier baroque, l’air de cour, l’air sérieux, le répertoire du luth baroque… Et puis, d’autres concerts surprennent : à quel égard qualifier de précieuses les sonates pour viole de gambe et clavecin de J. S. Bach, si ce n’est pour les rapprocher des pierres précieuses ? Quid aussi de la « préciosité » de Telemann ? Mais peu importe, au fond : plusieurs concerts ont donné une image positive de la préciosité française, à commencer par le très beau programme d’airs sérieux chantés, mercredi, par Claire Lefilliâtre. D’autre part, jeudi, Louise Moaty et Bertrand Cuiller ont dressé une passerelle entre deux chefs-d'œuvre de l’âge classique français : les Lettres portugaises et la musique de d’Anglebert.

Ce samedi, quatre programme variés se succèdent et se complètent : le premier est consacré à Bach, le second à Charpentier, le troisième à l’air de cour et le dernier à Telemann. [L.C.]

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© Festival de Sablé

Johann Sebastian Bach (1685-1750)


Sonates pour clavecin et viole de gambe

Sonate en sol majeur BWV 1027
Sonate en ré majeur BWV 1028
Sonate en sol mineur BWV 1029

14h30 — Église Saint-Pierre du Bailleul

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Il y a un peu plus d’un an, le monde musical français découvrait avec émerveillement Lucile Boulanger et Arnaud de Pasquale dans un programme dont le cœur était constitué des trois sonates pour viole de gambe et clavecin de Johann Sebastian Bach. Les récompense ont plu sur leur disque, qui brillait entre autre par une ardeur à défendre les pièces qui se traduisait par un foisonnement jubilatoire et une grande science de l’équilibre, puisqu’il s’agit bel et bien de sonates en trio et non de sonates pour viole accompagnée.

Ces qualités ne se démentaient guère dans ce concert, même si l’acoustique de l’église rendait les choses plus difficile. Aux trois sonates se joignaient quelques pièces additionnelles, l’une pour clavecin seul, le prélude de la deuxième Suite anglaise, manquant un poil d’agogique, et le Grave initial de la deuxième Sonate pour violon seul transcrit pour la viole à qui, s’il ne trahissait par son extrême difficulté technique, manquait peut-être un rien de hauteur de vue. Et puis deux Sinfonie à trois voix, BWV 789 et 790, transcrites pour clavecin et viole, qui ont été de très belles surprises, sonnant comme si au fond ce n’étaient pas des transcription, et admirablement interprétées.

La lecture des sonates avait ici perdu un peu de sa jubilation, mais rien de son équilibre. Le résultat n’en était pas moins très satisfaisant, la sonorité chaleureuse et le jeu fin de Lucile Boulanger absolument enchanteurs, et l’ensemble des plus stimulants. Les mouvements lents, en particulier, ont été marqué de grâce et d’apesanteur. Et que dire encore de l’allegro initial de la sonate en sol mineur, d’un aplomb et d’une ampleur formidables. De quoi mettre les idées bien en place — comme souvent avec le père Bach — pour poursuivre la journée.

 

© Festival de Sablé

Marc Antoine Charpentier

Motets pour Melle de Guise

Ensemble Jacques Moderne :
Anne Magouët, dessus / Karine Sérafin, bas-dessus
François-Nicolas Geslot, haute-contre / David Lefort, taille
Jean-Claude Sarragosse, basse / Sophie Gevers-Demoures, violon
Myriam Gevers, violon / Marion Middenway, basse de viole
Rémi Cassaigne, théorbe / Emmanuel Mandrin, orgue

Direction Joël Suhubiette

17h — Église Notre-Dame de Sablé-sur-Sarthe

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On est toujours prompts à faire de Charpentier un martyr incompris qui aurait toujours été écarté de toute carrière brillante à la cour. Ce jugement, sans doute, est injuste, ne serait-ce que parce qu’officier à la Sainte-Chapelle n’est guère tout à fait déshonorant. Au reste, il est bien des compositeurs qui eurent leur place à la Chapelle du Roi Soleil et qui aujourd’hui ne sont plus joués ou le sont bien moins que Marc-Antoine Charpentier.

La duchesse Marie de Guise, restée toute sa vie « mademoiselle » (du moins dans le sens moderne de ce mot), tout les projets de mariage la concernant ayant échoué, avait été exilée à Florence de 1634 à 1643, s’était liée d’amitié avec la famille Médicis et avait aimé la musique italienne ; nulle surprise, donc, de la retrouver protectrice d’un Charpentier qui revient de Rome en 1670. Pour sa chapelle, Charpentier va composer des œuvres somptueuses, dont d’ambitieuses Litanies à la Vierge et un Miserere qu’il remaniera pour les Jésuites. Il y tiendra souvent la partie de haute-contre, comme l’indiquent les partitions — dans celles du Miserere, il note même « moi ici » !

C’est à un programme constitué de ces deux motets et d’un Canticum Zachariæ moins connu que nous conviait l’ensemble Jacques Moderne dans la grande église de Sablé. Malheureusement, l’acoustique n’était guère adaptée à ces pièces : trop près, on manquait de recul — les voix se mêlaient mal, du deuxième rang où nous étions ; plus loin, tout se brouillait. Aussi sommes-nous quelque peu en peine d’être précis sur ce concert, et nous nous bornerons à dire que les trois voix féminines ont séduit par leur sobriété, la netteté de leur style et la beauté de leurs timbres, que François-Nicolas Geslot a brillé par son enthousiasme — il tenait la partie de Charpentier lui-même ! — aussi bien que par de belles qualités musicales et dramatiques, que la basse continue confiée à l’archet expert et charnel de Marion Middenway et à l’orgue non moins expert et généreux d’Emmanuel Mandrin constituait un fondement ferme, et que l’on ne pouvait en somme que regretter de n’en pas profiter davantage.

 

© Festival de Sablé

"Airs de cour (airs à boire, airs à danser ...)"

Oeuvres de Pierre Guédron, Etienne Moulinié, Gabriel Bataille, Antoine Boesset, Paul Auget


Les Lunaisiens :
Alice Glaie, soprano / Jean-François Lombard, haute-contre
Jean-François Novelli, ténor / Arnaud Marzorati, basse
Eric Belocq et Massimo Moscardo, Luth et archiluth

 

19h — place Dom-Guéranger de Sablé-sur-Sarthe

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« Pour moi, je tiens que ce n’est pas vivre que de ne rire point ; aussi je ne compte pas les jours que je passe parmi ces humeurs sombres qui ont plutôt le flegme dans la bouche que le mot pour rire. J’estime la compagnie et particulièrement celle qui porte pour devise : j’aime le bon vin. Pour l’eau, je la déteste, aussi elle fuit devant moi. » (André de Rosiers)

Les Lunaisiens font partie des ensembles que l’on aimerait entendre plus souvent, tant ils sont savants à nous charmer et à nous surprendre. Cette fois-ci ne fait pas exception. Si l’air de cour est souvent amoureux, il sait aussi se faire bon vivant, rappelant que les hommes du XVIIe siècle aimaient aussi la bonne chère et que leurs amours, fussent-elles teintées de pastorale, n’étaient guère trop platoniques — et que les Boësset, Moulinié et Guédron ne faisaient pas exception. C’est ce qu’ont entrepris de nous montrer Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati auxquels se joignaient pour l’occasion Alice Glaie et Jean-François Lombard, ainsi qu’Éric Bellocq et Massimo Moscardo pour les accompagner de luth et d’archiluth, et pendant plus d’une heure, malgré des conditions difficiles — en extérieur, avec un temps d’une clémence toute relative —, ils ont régalé nos oreilles et réjoui nos âmes.

Quelques airs sérieux étaient semés dans le programme, rappelant au passage, émotion à la clef, que les Lunaisiens maîtrisent parfaitement l’air de cour, et non seulement la gaudriole. D’ailleurs, on ne peut vraiment s’amuser et amuser le public que quand la technique est ferme et sans défaut, et à cet égard les Lunaisiens sont sans faille. Que dire aussi de l’extrême bonne humeur, la riche inventivité et l’aimable variété qu’ils ont semées dans toutes les pièces choisies ? L’adhésion du public a été, nous semble-t-il, complète. Et voilà le genre de programme que l’on aimerait entendre aussi au disque, pour avoir de quoi chasser la noire mélancolie quand elle voudrait pointer le bout de son nez, et accompagner quelques bouteilles[1]. Et cette musique, du moins, se consomme sans modération aucune.

 

© Festival de Sablé

"La Grande Veillée"

Concertos pour flûtes et traverso de Georg Philipp Telemann

Distribution
Ensemble Amarillis / Heloïse Gaillard

La Simphonie Du Marais / Hugo Reyne
Les Musiciens de Saint-Julien / François Lazarevitch
Collegium Marianum / Jana Semerádová

 

22h — Centre culturel de Sablé-sur-Sarthe

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Le programme parle d’une « grande veillée », et c’est une veillée festive. Nous sommes à la fête en effet, et nous réjouissons tout d’abord que le festival ait choisi de consacrer sa grande soirée de clôture à un compositeur souvent méprisé, regardé avec suspicion — « quand on a tant écrit, tout ne peut pas être bon », sous-entendu : ergo tout est mauvais —, considéré comme peu vendeur et assez peu joué en France : Georg Philipp Telemann. Faut-il pourtant rappeler la haute estime dans laquelle le tenaient les « chouchous », Johann Sebastian Bach et Georg Friedrich Händel ? Faut-il aussi rappeler — ce qui certes ne contribue pas à la gloire de la ville — que Bach ne fut embauché par Leipzig que parce que Telemann refusait le poste ?

Brillant autodidacte (du moins partiellement), joueur d’une multitude d’instruments — dont la flûte à bec et la flûte traversières, à l’honneur ce soir, mais aussi le violon, la viole de gambe, l’orgue, le hautbois, le trombone et le chalumeau —, curieux et voyageur (en France, en Pologne, deux nations dont les musiques l’ont influencé), il a eu le temps non seulement de composer un nombre d’œuvre énorme — plus de 1700 cantates destinées au culte ordinaire, des passions, des cantates profanes, des opéras, des suites pour orchestre, des concertos, des pièces de musique de chambre souvent très fines — mais aussi d’en graver lui-même une partie (dont Der Getreue Musik-Meister, les riches Essericizii Musici, deux volumes de cantates à petit effectif pour les paroissent modestes, sous le titre d’Harmonisches Gottesdienst, douze fantaisies pour flûte), de les publier, de diriger l’Opéra de Hambourg… et sans doute de jouer !

C’est donc à ce monument de la musique baroque, souvent occulté, que la soirée est consacrée, selon un principe curieux et intéressant, qui aurait pu s’avérer cruel si certains avaient été moins bons que d’autres, mais qui n’a fait que montrer les qualités de chaque ensemble : en effet, quatre ensembles se succèdent, chacun joue un concerto, voilà la première partie ; dans la seconde, les ensembles sont « accouplés » pour des doubles concertos. Et quels ensembles !

La soirée commence avec Les Musiciens de Saint-Julien. François Lazarévitch n’a guère vraiment besoin de les diriger — ce qui suppose une grande discipline et une solide préparation — et l’ensemble instrumental s’avère foisonnant et séduisant. Malheureusement, le son de la flûte soliste se perd un peu, et si François Lazarévitch enfile avec aplomb les traits, non sans parfois les orner au passage, c’est tout l’ensemble qui séduit, un peu comme si c’était davantage une ouverture qu’un concerto. Notons aussi que l’œuvre, le Concerto TWV 51:h1, est une véritable rareté, et une belle rareté.

Avec Hugo Reyne et La Simphonie du Marais, les choses se corsent. Vétéran, ce soir, des ensembles présents, La Simphonie se distingue d’abord par son continuo : pas de clavecin, mais un archiluth. Toute l’ambiance en est modifiée, et c’est à quelque chose de plutôt doux et intimiste que nous sommes convié par un premier mouvement entonné presque avec timidité, en tout cas avec douceur. Mais là-dessus, Hugo Reyne se joue de toute les difficultés avec une extraordinaire maestria, et les traits les plus implacables, dont ce très beau concerto TWV 51:C1 est truffé, semblent couler avec une agilité confondante. S’y ajoute la « marque de fabrique » du flûtiste Hugo Reyne, une sensibilité et un phrasé prenants, qui font même des aigus, qui pourraient être tirés, le climax d’un chant. Vétérans, à la Simphonie du Marais, certes, mais toujours frais.

Puis, surprise. Surprise car on n’entend bien trop rarement le Collegium Marianum et Jana Semerádová en France. Le concerto en majeur TWV 51:D2 n’est pas le moins connu ; il est très équilibré et séduisant. Il convient à la perfection Jana Semerádová qui dirige avec une autorité charmante le Collegium Marianum. L’ensemble est plein d’aplomb et d’entrain, il joue réellement. La flûte de Jana Semerádová sonne ronde, pleine, et puissante. Son jeu est plein d’agréments, elle orne avec ductilité, elle donne un galbe aux phrases, elle s’amuse, elle papillonne, elle chante aussi… Bref, à l’évidence, elle connaît cette musique et sait faire de « son » concerto un moment exceptionnel.

Le concerto TWV 51:F1, confié à Amarillis, fait un peu pâle figure à côté, s’avérant d’une écriture plus convenu. L’ensemble et la flûtiste y trouvent un équilibre joli, et le clavecin de Violaine Cochard s’avère un soutien précieux et inventif, palliant presque le relatif manque d’inspiration de l’œuvre. Heureusement, Héloïse Gaillard et son ensemble ont eu la bonne idée d’adjoindre à leur concerto l’entraînante Réjouissance de la suite en la mineur pour flûte à bec et cordes TWV 55:a2 ; la flûtiste peut y montrer toute sa maîtrise, et les cordes leur enthousiasme.

Après une pause, vient le temps des doubles concertos. Or, il n’y en a qu’un, et il en fallait deux. Qu’à cela ne tienne, la première Suite, en mi mineur, de la Tafelmusik, avec deux flûtes (traversières, en théorie, mais l’une d’elle sera à bec ici et voilà tout, d’ailleurs l’œuvre n’en pâtit guère) fera office de concerto — d’ailleurs son écriture est concertante — et fera se « rencontrer » Hugo Reyne et François Lazarévitch, flanqué d’un double ensemble, une sorte de « Simphonie de Saint-Julien » ou de « Musiciens de Marais », comme se plaît à le noter Hugo Reyne. Une certaine complicité lie les deux musiciens, et la suite est aimablement jouée. On se dit que décidément, si l’on jouait ça pendant que les gens étaient à table, en 1733, les gens savaient vivre.

Mais le « clou » de la soirée est, comme nous pouvions nous y attendre, le concerto en mi mineur pour flûte à bec et flûte traversière TWV 52:e1. Nous pouvions nous y attendre, tout simplement parce que ce concerto est une splendeur, qu’il unit parfaitement les deux instruments, que chaque mouvement est nettement caractérisé, depuis le dolent premier Largo au bouillonnant (et polonisant) Presto final, en passant par l’idyllique Largo médiant. Amarillis et le Collegium Marianum y unissent leurs forces, Jana Semerádová et Héloïse Gaillard aussi. Point d’effets superflus, mais point non plus de froideur ; quelques trouvailles bien senties, une ornementation délicate ; un mélange de sobriété et d’invention… et le concerto devient « le triomphe de Telemann » en même temps que celui des musiciens qui le jouent.

Cette soirée rappelle que si, certes, il a chez Telemann quelques faiblesses parfois — le concerto TWV 51:F2 le rappelle —, il est souvent inspiré et sait (évidemment) écrire et séduire sans céder à une vile facilité, mais au contraire en inventant toujours — la preuve : ces six pièces, au fond, se ressemblent assez peu. Il faut remercier Alice Orange d’avoir eu l’idée de cette soirée, et les musiciens, malgré les difficultés et le stress qu’elle pouvait occasionner, de s’être prêté au jeu. Il en valait bien la chandelle ! Et Telemann vaut bien qu’on lui en allume plus d’une — et surtout de semblables à celle qui ont éclairé cette veillée.

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[1] « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération. »

Loïc Chahine

Site officiel du Festival : www.lentracte-sable.fr/festival.html

 

 

 

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