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Chronique Concert

 Cantates Romantiques,

Karine Deshayes,

Opera Fuoco, dir. David Stern

 

 

David Stern - DR

 

« Cantates Romantiques »

Programme de Cantates Néo-classiques

 

Luigi Cherubini

Médée – Ouverture

Circé – Cantate

 

Charles-Simon Catel

Sémiramis – Ouverture

 

Xavier Boisselot

Velléda – Cantate pour le Prix de Rome

 

Luigi Cherubini

Symphonie

 

Bis

Luigi Cherubini

Médée – Air de Néris

 

Karine Deshayes, Mezzo-soprano

Nicolas André, Basson solo (BIS)

 

Opera Fuoco

Direction David Stern

 

Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, jeudi 28 Février 2013

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Rimes féminines

« Vous faites de cette femme une espèce de vamp, de Circé ; est-ce de sa faute si elle est belle ? Si les hommes la poursuivent comme un gibier ? »

Cette rhétorique splendide dans la plaidoirie que Charles Vanel lance au tribunal dans la Vérité d’Henri-Georges Clouzot, film de 1960, dépeint une réalité qui ne s’est jamais démentie. Si dans le film, Brigitte Bardot est accusée d’être une allumeuse qui a détourné un « gentil garçon » du droit chemin,  les supputations semblent les mêmes à l’époque baroque. La beauté, le merveilleux fascinent et effraient, tant ils agissent sur l’esprit et tant ils paraissent incontrôlables. Bardot dans La Vérité est l’héritière des grandes Médées, Circé ou Alcina qui sacrifient leur objet au dépit et se brisent sur les écueils du sentiment. Une bien autre histoire que celle de Célimène dans l’œuvre éponyme d’Ambroise Thomas, qui est aussi détruite que les cœurs qu’elle brise en séduisant. Là se pose la question du véritable « sexe faible » ; n’est-ce pas l’homme qui succombe, qui chasse, qui guette et puis devient esclave de l’amour ? La féminité est toujours forte, mythique dans sa splendeur à la fois hiératique et charnelle, divine et passionnante.

Ce soir à Saint-Quentin en Yvelines, le ciel gris, blafard et serein devait teindre de rouge ses laines immuables. La plainte de Circé, la prière désespérée de Velléda et l’incroyable polychromie de Cherubini et de Catel allaient lui conférer des pourpres Delacroix. 

Pêchons-nous d’infidélité en s’approchant d’un répertoire tardif et de se dire qu’il appelle le baroque comme un héritage dramatique ? Sans doute certains détracteurs, bien repus dans leurs chaires s’insurgeraient comme si d’un mot ou d'une publication, ils pouvaient contrôler le temps et détruire le passé. Cloisonner et identifier nous amène à ne plus explorer, à être enfermés dans le labyrinthe abusif de l’approximatif. Mais, si l’on avait pu poser la question à Cherubini, à Catel ou même à Beethoven de qui ils se réclamaient, ils auraient pu répondre pour l’un Scarlatti, pour l’autre Rameau et pour le dernier Haendel. Des compositeurs que l’on classe dans le tiroir baroque.

Mais justement, tournons la clef du secrétaire et nous verrons que des tiroirs communiquent et se répondent. Cherubini reprend dans ses compositions la verve de Glück et la puissance de Haendel, Catel a des accents de tragédie lyrique et Boisselot tend un pont vers le passé dans ses phrasés.

Ce programme « romantique » ne l’est que « publicitairement » parlant. Il est « néo-classique » c’est à dire bien plus « baroque » qu’on ne l’entend.

 

Karine Deshayes - DR

Concrètement, il est passionnant de s’embarquer dans la découverte splendide de ces pièces avec un orchestre tel qu'Opera Fuoco. Déjà émerveillés par la Zanaïda de Johann Christian Bach, tant au concert qu’au disque, nous sommes convaincus que David Stern est incroyablement puissant dans ce répertoire. Le caractère monumental de ces partitions et la polychromie sont un défi de taille pour ce chef enthousiaste, charismatique et hautement précis. On se croirait face au tableau de François-André Vincent « Zeuxis et les filles de Crotone ». Il emploie dans chaque pupitre les plus belles couleurs et nuances pour former un ensemble riche, original, pertinent et inventif. Son énergie est communicative et on sent la bonne intelligence des musiciens, une équipe sans faille.

Ce soutien est un ingrédient formidable qui s’ajoute amplement à l’époustouflante Karine Deshayes, qui ne nous avait pourtant pas vraiment convaincus dans son interprétation de Carmen à l’Opéra de Paris. Tout comme pour sa Rosina du Barbiere de Rossini, elle nous offre un grand moment de théâtre, de drame et de musique dans deux cantates de Cherubini et de Boisselot. La Circé de Cherubini est proche de celle de Colin de Blamont par le texte, mais ici le maître italien magnifie la complexité de la magicienne abandonnée. Karine Deshayes revêt le costume néoclassique avec une aisance sans faille, elle nous offre à la fois la douceur et le moiré du satin avec des aigus brillants et la profondeur du velours avec des graves puissants et nuancés. Dans Velléda, elle explose littéralement le cadre. Xavier Boisselot (absent de l’explication du programme) est un compositeur oublié, élève de Le Sueur et de Fétis. Il est né alors que Napoléon Ier fêtait sa septième année de règne et est mort sous la IIIème République. Sa cantate Velléda de 1836 est étonnamment un bijou ancien, une sorte de camée serti d’une monture moderne. L’histoire est tirée des Martyrs de Chateaubriand et raconte la fin d’une prêtresse/prophétesse celte qui tombe amoureuse d’un chrétien. Si la note archéologique dans le livret est assez amusante, la Velléda de Karine Deshayes est d’une ampleur émotionnelle sans précédent. La partition d’une exigence incroyable a permis à Karine Deshayes de nous émerveiller avec une ligne vocale parfaite, des ornements équilibrés et des couleurs passionnantes. En bis, et pour notre grand plaisir, Mlle Deshayes nous a offert l’air de Néris de la Médée de Cherubini,  une fois encore l’émotion a jailli par des soupirs et la salle était pendue aux extraordinaires vocalises de cette grande tragédienne.

Dans ce bis  nous avons eu la chance d’écouter distinctement un incroyable solo de basson par Nicolas André. Cet instrumentiste nous avait déjà beaucoup plu dans le rang des vents, mais ici il a montré avec passion, émotion et une précision parfaite ce qu’il pouvait nous donner. Nicolas André a éveillé avec son basson les couleurs dramatiques sans lesquelles l’air de Néris ne serait qu’un air de plus. Nous saluons le talent de cet instrumentiste et souhaitons vivement l’entendre en solo plus souvent.

Après le sacrifice, le jugement et la critique, vient l’émotion. La vérité est que sans l’éternel féminin la beauté n’existerait pas.  Vénus n’est pas un travesti.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel d'Opera Fuoco : www.operafuoco.fr

 

 

 

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