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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Rameau, Mondonville, Grands Motets,

Le Concert d’Astrée, dir. Emmanuelle Haïm

 

 

© Simon Fowler / Virgin Classics

 

Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)

Quand dilecta tabernacula

Deus noster refugium

 

Jean Joseph Cassanéa de MONDONVILLE (1711-1772)

Sonata prima extraite des Sonates en symphonie Opus 3

Dominus regnavit

 

Sonya Yoncheva, Anna Dennis (soliste du chœur), dessus ; James Gilchrist, Renaud Tripathi (soliste du chœur), hautes-contre ; Marc Mauillon, taille ; Alain Buet, basse.

 

Chœur et orchestre du Concert d’Astrée, dirigés par Emmanuelle Haïm

Chef de chœur : Xavier Ribes

 

Mercredi 30 mars 2011, Théâtre des Champs Elysées, Paris.

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Les Temps modernes du Grand Motet français

Alors qu’habituellement le concert offre à l’homme pressé du XXIe siècle un sas d’évasion pour oublier son morne quotidien, Emmanuelle Haïm a tenu à ce que celui-ci s’ancrât profondément dans la réalité, en invitant, lors de son arrivée sur scène, musiciens et spectateurs à s’unir par la pensée au peuple du soleil levant. Un instant de silence a donc été scrupuleusement observé avant que ne résonnent les premières notes. Outre la touchante solennité de ce moment, l’attention et la qualité d’écoute du public s’en sont trouvées décuplées, et bien qu’étant toujours aussi grippé entre chaque air, le public du TCE s’est montré bien plus réceptif et respectueux de la musique qu’à son habitude. Autant dire qu’il serait judicieux de la part des chefs d’instaurer cette pratique au début de chaque concert, et ce sans attendre que les événements extérieurs ne les y conduisent…

L’atmosphère qui venait d’emplir le théâtre correspondait tout particulièrement au caractère des œuvres choisies ; à la fois austères et emphatiques, les grands motets de Rameau et de Mondonville sont parmi les derniers du genre et peut-être des plus emblématiques. Le Concert d’Astrée, chœur et orchestre, n’a pourtant pas su leur donner leur pleine mesure. La rapidité souvent exagérée des tempi laissait place parfois à la précipitation, rendant la situation aussi inconfortable pour l’auditeur qu’elle ne l’était manifestement pour l’interprète. Ce fut le cas de l’air pour soprano "Fluminis impetus" du Deus noster refugium, où les séries de triolets descendantes s’assimilaient davantage à une dégringolade sèche et à acide, plutôt qu’à l’expression d’une joie effuse ("La violence du courant remplit de joie la Cité de Dieu"). Le puissant "Elevaverunt flumina Domine" (Dominus regnavit, Mondonville) devient alors une démonstration de technique, réalisée certes brillamment, mais derrière laquelle les choix d’articulations et de phrasé se révèlent assez pauvres une fois l’impressionnant habit de la performance tombé. Le Concert d’Astrée rassemble des musiciens, instrumentistes et chanteurs, d’une grande discipline, réactifs aux moindres indications de leur chef. Ils semblent pouvoir s’affranchir des plus grandes difficultés techniques, tant leur soin se porte à la précision des attaques et à la vélocité de l’archet ou du larynx. Mais la musique pâtit trop souvent de ces prouesses qui ouvrent grand la porte à un débit mécanique. D’où une certaine lassitude qui s’installe systématiquement au cours de chaque air, par manque de recherche des phrasés, de nuances d’articulation ; tout est propre, mais tout sonne terriblement uniformisé (notamment l’inégalité des croches). La musique exige des pleins et des déliés, une épaisseur, une chair, enfin, une humanité.

Les solistes se sont également laissés prendre à ce piège de la mécanique. Isolés dans leur partition, trop absorbés par les exigences techniques et souvent pressés par les tempi, ils passent outre les subtilités de l’articulation, restituant un latin dans un style pas vraiment français et plus tout à fait italien. L’on perd déjà la musicalité naturelle, intrinsèque du texte. Tous possèdent des qualités vocales et musicales, mais peinent à les mettre en avant. Seul Marc Mauillon parvient  à convaincre réellement. Il faut dire que la nature l’a gratifié d’une émission particulièrement puissante qui lui permet de rivaliser sans difficulté avec un chœur et un orchestre bien fournis. Son premier air du Quam dilecta tabernacula ("Beati qui habitant in domo tua Domine") arrive comme un rayon de soleil et diffuse la même chaleur, le même bienfait. Souriant, enthousiaste même, il interpelle l’auditeur du regard et cherche à lui faire part de ce qui le réjouit. Avec un naturel charmant, sans affect superficiel, il cherche à raconter une histoire. Son timbre lumineux et généreux séduit aussitôt un spectateur jusque-là en mal de douceur et de musicalité.

Ainsi, le temps parut s’écouler bien lentement en ce mercredi soir, malgré l’audace métronomique choisie par Emmanuelle Haïm. Si le Concert d’Astrée s’est révélé être à la hauteur de ses ambitions techniques, il ne faut pas oublier que la musique demande avant tout l’engagement (assumé) d’une sensibilité et qu’il est bon, pour l’interprète comme pour l’auditeur, de lâcher la bride et de se libérer de qui s’apparente à des calculs d’interprétation. Quelle part reste-t-il au plaisir du frisson lorsque la place de chaque note semble avoir été programmée par avance ? N’est-il pas préférable, et ô combien plus agréable, de sentir que c’est le souffle, le cœur (la vie ?) du musicien qui guide les phrasés, plutôt que d’assister au déploiement d’une formidable mécanique ? Au risque de laisser l’auditeur indifférent une fois l’effet de la prouesse retombé…

 

Isaure d'Audeville

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

 

 

 

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