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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert
Pyrame et Thisbé contre Piramo e Tisbe
Sophie Arnoult en Thisbé dans l'opéra de Francoeur et Rebel, dessin de Louis Marie Lanté (1789- ?) gravé par Georges-Jacques Gatine (1773-1824). © Lugar do Ohlar Feliz François FRANCOEUR (1698-1787) & François REBEL (1701-1775) Pyrame et Thisbé (1726, ultime version de 1771)
Livret de
Jean-Louis Ignace de La Serre.
Nantes, Théâtre Graslin, le mardi 29 mai 2007 [repris jusqu'au 1er juin, puis à l'Opéra d'Anger les 8, 10 et 12 juin 2007]
Johann Adolf HASSE (1699-1783) Piramo e Tisbe (1768)
Catherine
Padaut (Piramo), Anne Dupuis-Pardoël (Tisbe).
"Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot..." Deux jours, deux opéras sur les deux rives de la Loire, dont aucun ne relève de ce genre à strictement parler puisqu'il s'agit d'une tragédie mise en musique et d'un intermezzo tragico. Comparons. Si Pyrame et Thisbé est mis en scène, ce n'est pas pour notre plus grand bonheur ! Bien trop intellectualisé, conceptualisé, "abstractionnalisé"... Le décor reste globalement le même, à quelques détails près, jusqu'à l'acte IV. A l'acte V il ne reste même presque plus rien que des ruines d'arbres - à savoir un enclos rouge à créneaux : il s'agit en fait des murs de Babylone. Tant mieux pour qui a lu Ovide (ou Góngora) - encore que cela nous en rend la jambe bien mieux faite, je vous assure - et les autres n'y comprendront rien car il n'est à aucun moment question de Babylone dans le livret. Choix d'autant plus absurde qu'il n'est pas tenu : tout est orientalisant - avec turbans, barbiches et babouches - jusqu'à ce que Pyrame sorte de sa prison - de manière peu spectaculaire alors qu'il s'agissait d'un moment très attendu au XVIIIème - habillé comme vous et moi et allume une cigarette en guise de machinerie ! A l'acte V (le dernier, heureusement), le mal a gagné l'ensemble des personnages, chœur compris. Pour commencer, Thisbé en attendant son Pyrame, boit son café ou son thé dans un mug - qui devait sans doute sublimer la poésie du moment. Puis Ninus vient en lieu, place et rôle du lion - encore une attente déçue - se fait tuer par Pyrame (qui n'a pas re-changé de costume) et revient habillé comme les autres pour conclure en assistant au suicide de Thisbé sur le corps de Pyrame. Vous vous demandez peut-être comment, sans lion, le voile de Thisbé a été tâché de sang ? un membre du chœur s'est gentiment chargé de le badigeonner de sauce tomate... (prosaïsme, quand tu nous tiens) ! Cela seul suffirait à condamner cette mise en scène pour absurdité avec mention "nul et non avenu", mais il y avaient aussi des Chinois pour figurer alternativement "des esclaves de différents peuples" (mais seulement des Chinois, ça ne fait qu'un peuple), puis les fidèles pour la fête de Cérès, avec riz. Il y avait aussi Thisbé qui, au tout début de l'acte I embrassait une des babouches de Pyrame, qui était quand à lui dans une tente militaire mise pour le palais du roi Ninus. Au final, nous préférons donc - et de loin - les lumières, simples mais très éloquentes, du Théâtre de Rezé, qui, de plus, durent coûter bien moins. Côté distribution, la catastrophe est encore à Nantes : c'est le Ninus de Jeffrey Thompson, aux aigus tantôt pianissimo, tantôt (le plus souvent) criard et faux - un "Pyrame !" chevrotant reste dans toutes les mémoires... Le couple éponyme (Th. Dolié, J. Van Wanroij) étant à peu près indifférent, seuls Zoraïde (Katia Velletaz) et Zoroastre (Jean Teitgen) tirent leur épingle du jeu, l'une pour son engagement, l'autre pour son timbre. Il n'y avait chez Hasse que deux personnages, mais bien plus remarquables : Anne Depuis-Pardoël campait une Tisbe exceptionnelle, avec sa voix claire, ses vocalises impeccables et ses récitatifs expressifs, tandis que Catherine Padaut, malgré un vibrato un peu trop large, nous a enchanté par la richesse de son timbre ; toutes deux stylistiquement irréprochables. Dans la fosse, Stradivaria n'a certes pas l'étoffe des Arts Florissants ou des Talens Lyriques, ni même de la désormais excellente Simphonie du Marais, mais s'est tiré plus qu'honorablement de sa belle partie ; les danses étaient interprétées de manière originale et colorée, en particulier une excellente chaconne, et une reprise instrumentale de "Laissons-nous charmer du plaisir d'aimer" sombre au possible, comme l'état mental de Ninus. C'est heureux, d'ailleurs, car la plupart étaient jouées à rideau fermé, sans agrément scénique, même quand le chœur était chargé de faire semblant de s'occuper. On regrette seulement un continuo peu varié - faute de théorbes ou luths, il n'y avait que le clavecin pour les accords. Le chœur manquait de présence, mais n'avait rien de si triomphant que les "Ses justes lois" et autres flatteries des prologues de Lully, moyennant quoi on s'en accordait sans peine : il ne manquait du moins pas de délicatesse. Cependant, l'engagement, l'équilibre, la spontanéité, l'évidence du Lachrimae Consort font encore pencher la balance du côté italien. La "sinfonia pour l'apparition du lion" en particulier fut très efficace, et les accompagnement jamais trop en retrait, sans pour autant submerger les voix. Mention spéciale aux cors qui, sans briser ce fragile équilibre, ont su se faire remarquer contre toute attente, et surtout aux flûtes qui apportaient lors de leurs intervention une couleur qu'on espérait toujours réentendre vite ! En somme, on sait déjà qui est le gagnant... mais ce sont les perdants qui ont l'avantage : celui d'un disque Pyrame et Thisbé (chez MIRARE) - heureusement pas un DVD ; la musique est tout de même belle, ne nous plaignons pas - tandis que ce Piramo e Tisbe par Philippe Le Corf n'aura sans doute pas le même honneur. Et c'est bien dommage, car la seule version commercialisée ne vaut rien à côté de ce que nous avons entendu. Mais mieux vaut en rire : d'ailleurs un ouvrage regroupant des parodies de la tragédie de Rebel et Francoeur doit paraître très prochainement. A suivre donc...
Loïc Chahine
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