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6 janvier 2014

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Chronique Concert

"Jeanne La Pucelle"

Sandrine Bonnaire, La Capella Reial de Catalunya

Hespèrion XXI,

 dir. Jordi Savall

Sandrine Bonnaire (Jeanne d'Arc) © Pierre Grise Productions

"Jeanne La Pucelle"

Jordi Savall, conception du programme

 

Sergi Grau, Jordi Savall, choix et sélection des textes historiques

 

Versions musicales réalisées par Jordi Savall en 1993

pour les films de Jacques Rivette Jeanne la Pucelle : Les Batailles et Les Prisons

 

Sandrine Bonnaire, récitante (Jeanne la Pucelle)

René Zosso, inquisiteurs et narrateur 2

Pascal Bertin, narrateur 1 et écuyer

 

La Capella Reial de Catalunya :

Elisabetta Tiso, Raphaële Kennedy, Chiara Maggi, sopranos

Pascal Bertin, José Hernández-Pastor, Gabriel Díaz, contreténors

Lluís Vilamajó, Francisco Fernández-Rueda, Víctor Sordo, ténors

Marco Scavazza, baryton

Daniele Carnovich, Josep-Ramon Olivé i Soler, basses

 

Hespèrion XXI :

Pierre Hamon, flûtes

Haïg Sarikouyoumdjian, duduk

Guy Ferber, René Maze, trompettes

Jean-Pierre Canihac, cornet et trompette

Béatrice Delpierre, Jean-Noël Catrice, chalémies

Harry Ries, sacqueboute altus et basse

Daniel Lassalle, Frédéric Lucchi, sacqueboutes ténors

Josep Borràs, basson et bombarde

Jordi Savall, vielle d’archet

Sergi Casademunt, viole de gambe ténor

Imke David, Philippe Pierlot, violes de gambe basses

Andrew Lawrence-King, harpe médiévale et psaltérion

Xavier Díaz-Latorre, luth

Michaël Grébil, luth médiéval et cistre

Luca Guglielmi, orgue

Dimitri Psonis, David Mayoral, cloches et percussions

Pedro Estevan, Michèle Claude, percussions

Pablo Cueco, tambour

 

Jordi Savall, direction

 

16 novembre 2011, Cité de la Musique, Paris.

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Coupez cordes, hurlez bataille !

Alors que Philippe Ramos propose sur le grand écran la diaphane, transparente et insipide Clémence Poésy dans sa Jeanne Captive contemplant l’océan, Jordi Savall convoque le ban et l’arrière-ban de son ost pour rendre hommage de bien belle manière à notre héroïne nationale. Ceux qui ont pu goûter aux 6 heures du film en deux parties de Jacques Rivette (1993), l'un des plus abouti sur la geste johannique avec le Procès de Jeanne d'Arc de Robert Bresson (1962), et la Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer (1928), reconnaîtront ici la version longue de la bande-son alors envisagée par le Catalan, et parue sous une forme raccourcie au disque (Astrée).

Le parti-pris de Rivette a été de montrer une Jeanne dans son quotidien, une Pucelle humaine et démythifiée, tout en respectant de très près les sources historiques, et en faisant l'ellipse de la scène tant attendue du procès (on ne voit que l'abjuration puis le bûcher). Le réalisateur a fait appel à Jordi Savall pour la musique du double long-métrage. Ce dernier a ainsi été amené à assembler des œuvres au caractère bien différent : des mélodies populaires illustrant les origines modestes de Jeanne ("Ce jour de l'an" de Dufay), des pièces sacrées pour le mystère de son inspiration et le fastueux sacre de Charles VII et des passages martiaux (sonneries de trompettes, tambours, adaptation de la Messe de l'Homme armé") pour les séquences guerrières.

A la manière des opulents livre-disques qu'il affectionne, Jordi Savall a convié l'auditeur à une immersion de plus de deux heures à chevaucher aux côtés de La Pucelle, en un parcours chronologique ponctué d'extraits judicieusement sélectionnés parmi les chroniques contemporaines. On regrettera, et c'est là d'ailleurs la seule réserve que nous apporterons à cette soirée accomplie, que Sandrine Bonnaire se soit révélée peu préparée, peinant souvent à lire les textes poignants de son procès de condamnation, trébuchant sur les tournures et les mots, bien loin de l'assurance simple de son passage cinématographique. De même, le chanteur Pascal Bertin, au timbre agréable, s'est montré un peu plat en récitant.

Jordi Savall © Vico Chamla

 

Ces insuffisances étant d'autant plus perceptibles que l'Inquisiteur et troisième narrateur le comédien Réné Zosso a déclamé avec brio ses répliques, campant un sévère et arrogant Cauchon, délivrant avec conviction et dédain ses accusations insultantes, se délectant de ce vieux français modernisé si savoureux, explosant de haine contenue et glaciale dans sa sentence : "nous estimons que, tel un membre pourri, pour que tu n’infectes pas les autres membres du Christ, tu es à rejeter de l’unité de ladite Église, a retrancher de son corps, et que tu dois être livrée a la puissance séculière ; et nous te rejetons, te retranchons, t’abandonnons (…)". A entendre ce timbre grainé et vibrant, l'auditeur en frissonne dans son fauteuil et espère ne jamais être traduit en procès de foi.

Hespèrion XXI a offert une orgie évocatrice de timbres plongeant instantanément l'auditeur dans un ailleurs non identifié, ici dans la France tourmentée du XVe siècle. Musique viscérale, épidermique, d'une remarquable immédiateté pour l'auditeur. Musique des âmes et des affects, qui déjoue les doctes tentatives d'analyses du type "vous observerez la spatialisation des effectifs, et l'utilisation de musiques dites fonctionnelles recomposées ou adaptées pour les besoins (Marche royale, Te Deum, Fanfare royale, hymne anonyme avec deux textes simultanés "Rejois toy terre de France" et " Viva Rex in eternam")" pour se concentrer sur l'essentiel : cette poésie amère, que renforce l'usage de leitmotiv (la "Ballade de la Pucelle" nostalgique et tendre qui lorsqu'elle résonne alors que Jeanne est en captivité traduit l'innocence perdue, les regrets et les pleurs).

Que retiendra t-on de ce spectacle ? L'intensité de Veni Sancte Spiritus de Dufay chanté par La Capella Reial de Catalunya a capella, d'une précision mystique, pure et intense ? La chanson populaire Le Départ avec sa douce flûte de Pierre Hamon, son luth perlé et tendre, les tonitruants échanges entre trompettes, sacqueboutes, cornets, chalemies et percussions secs et belliqueux du siège d'Orléans ?  Rien de tout cela, et c'est là la grande réussite de Savall que d'avoir su faire de cette évocation littéraire et musicale un tout cohérent et indissociable, chaque pièce trouvant naturellement sa place et son atmosphère au sein de cette fresque épique et colorée, plus opulente et fastueuse que les images qu'elle illustrait, et pendant laquelle l'on se prend fréquemment à vouloir hurler "Montjoie !" de concert avec les trompettes, ou "Noël, vivat Rex" au son des cloches, ce qui est un signe de la redoutable efficacité de ce voyage en pleine Guerre de Cent Ans.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel de la Cité de la Musique: www.cite-musique.fr

La captation vidéo sera disponible gratuitement pendant 4 mois : http://www.citedelamusiquelive.tv/concert/0977235.html

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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