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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Folias & Romanescas

© Vico Chamla

Jordi Savall, viole de gambe

Xavier Díaz-Latorre, guitare et théorbe

Pedro Estevan, percussions

 

Jeudi 15 mai, Musée des Beaux-Arts, Nantes

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Incroyables morceaux pour programme hétérocilte

Pour ce concert d’ouverture du Festival, comme pour les autres, le Printemps des Arts a vu grand, et nous offre Jordi Savall à la viole, accompagné de seulement deux acolytes, mais ils sont de choix : Xavier Díaz-Latorre et Pedro Estevan. Le public nantais a d’ailleurs apprécié, comme le marquaient les applaudissement pour l’accueil du trio, au début du concert. Et ce fut mérité. À la fin, on applaudissait encore, et à tout rompre : jamais l’auteur de ces lignes n’a entendu réclamer un bis ou un rappel de manière si unanime (et si synchronisée), jamais remercier avec tant d’énergie même dans une grande maison d’opéra. Le concert a offert un programme très varié, tant dans les œuvres que dans les styles, et on s'excusera par avance de l'aspect quelque peu fragmenté de ce compte-rendu, qui en suit pas à pas le déroulement.

Si cette soirée a été mémorable, c'est grâce à l'implication totale des artistes. Il faut dire que le Maître et son équipe se donnent à fond, et nous immergent entièrement dans la musique. À commencer, par exemple, avec les pièces de Diego Ortiz, où l’on s’attend à entendre quelque chose d’assez convenu, répétitif, certes virtuose, mais sans doute pas si prenant. Et pourtant, avec ces trois musiciens-là, il y a quelque chose d'indéfinissable, au-delà de l’énergie et de la prouesse pyrotechnique. Dès les premières notes de La Spagna, quelques petites notes toutes simples, on se laisse emporter. Les pièces s’enchaînent, liées les unes aux autres, et déjà Jordi Savall quitte la scène car cette partie du programme s'est finie sans qu'on la voie passer. Le morceau suivant est pour guitare seule, mais les percussions de Pedro Estevan vont venir soutenir l'instrument au son léger. Cette fois, on se sent proche de la musique populaire, et on tient à peine en place sur son siège devant ses rythmes dansants qui semblent même être plus l’affaire de Xavier Díaz-Latorre que de son comparse percussionniste. Les notes perlées déferlent, sans perdre pourtant la ligne ni la cohésion de l'ensemble. On a l’impression que Xavier Díaz-Latorre fait corps avec son instrument.

C’est au tour de Jordi Savall de se trouver seul sur la scène. « 1553, c’est l’année de la publication des pièces de Diego Ortiz ; 1605, celle de la First part of Ayres de Tobias Hume. » explique lui-même le gambiste, précisant les spécificités des pièces de Hume – notes pincées, notes frappées avec le bois de l’archet sur les cordes – et de Tobias Hume lui-même (« un peu extravagant »). Pendant A Souldiers Resolution, Savall lira même les “didascalies” de la partition, « Counter-March », « Trumpet », « March Away »... s’exprimant simplement, presque amicalement dans un français élégant, légèrement hésitant, avec une pointe d'accent. Puis il enchaîne, comme pour illustrer son propos, sur d'incroyables morceaux aux effets tout aussi incroyables, tels les "neuf lettres pincées" [comprenez : "notes". Hume écrit en tablatures]  dans Harke, harke.

La fin de la première partie est consacrée à des pièces liées à l’improvisation. On remarque que les interprètes se regardent énormément les uns les autres. À la fin de cette séquence, pour les Diferencias d’Antonio Martin y Coll, on retrouve le thème des « Folies d’Espagne » tel que l’utiliseront Corelli et Vivaldi ; et l'on attend cela avec impatience les variations de Marais.

Depuis le début du concert, la lumière du jour n’a cessé de diminuer. Ainsi les improvisations nous trouvaient dans la pénombre, quand pour Ortiz, d’ailleurs lumineux, il faisait encore jour. Quand on revient après l’entracte et que les lumières s’éteignent, il fait entièrement nuit, seule la scène est éclairée, et judicieusement : on croirait presque que c’est un nouveau Georges de La Tour qui se charge de la régie lumière. Du coup, l’ambiance change. Cette Fantaisie pour viole seule de Sainte-Colombe y contribue d’ailleurs énormément. C’est une pièce bouleversante, dont Savall nous livre une saisissante lecture, indescriptible. Chaque accord semble explorer une nouvelle inflexion de la tristesse, de la mélancolie ou de la nostalgie, tantôt violentes, tantôt soupirantes.

La pièce suivante est pour théorbe. Cette Chaconne, loin de l’ombre de la Fantaisie qui la précédait, est une pièce pleine d’espoir et de douceur ; on ne peut s’empêcher d’être naïvement joyeux en l’écoutant, sauf quand vient la partie en mineur, où l’on fronce les sourcils ; on s’inquiète de la voir durer, mais nous revoilà en majeur. Et l'on voudrait ne voir jamais la fin de cette pièce, tant elle est touchante.

Et puis, voici les Voix humaines : un rondeau, sans doute l'un des plus beaux de Marais, d'ailleurs, tant cette pièce est rafinée et expressive à la fois. Savall a la subtilité de faire évoluer le refrain, le goût de faire durer un peu ce qu’on entend un peu comme un prélude aux Folies qui vont suivre. Et les Folies, évidemment, il n’y a rien à en dire : tout l’art, mais aussi toute l’habileté du Maître s’y trouvent réunies. Alternance de variations lentes et rapides, toutes plus impressionnantes les unes que les autres. C’est un peu comme l’apothéose de la viole. Entre les deux belles musettes de Marais que Jordi Savall a joué en bis, une autre petite pièce qu’il introduit en la qualifiant de « berceuse », mais une « berceuse pour la viole, car sans doute Jean-Baptiste Antoine Forqueray savait que la viole allait ensuite tomber dans un long sommeil de plus de cent ans ». Une pièce simple, empreinte de classicisme, touchante néanmoins, surtout introduite en ces termes.

Au total, que pourrait-on reprocher à ce concert si remarquable ? Peut-être un programme manquant d'homogénéité, où l'on a l’impression de voyager insensiblement d’une chose à une autre pendant deux heures de musique, qui finissent avec grâce de nous convaincre que « La Beauté sauvera le monde », comme le dit Dostoïevsky, cité par Savall...

 

Loïc Chahine

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Diego Ortiz : Folias & Romanescas La Spagna, Folia IV, Passamezzo antico I, Passamezzo moderno III, Ruggiero IX, Romanesca VII, Passamezzo moderno II

Gaspar Sanz : Jácaras & Canarios

Tobias Hume : Musicall Humors A Souldiers March ; Harke, harke ; A Souldiers Resolution

Jordi Savall : Variations sur O soñjal (Gwerz Traditionnel breton)

Anonyme : Canarios (improvisation)

Antonio Martin y Coll : Diferencias sobre las Folias

M. de Sainte Colombe : Fantaisie

Robert de Visée : Chaconne

Marin Marais : Les Voix humaines ; Folies d’Espagne (IIe Livre)

bis :

Marin Marais : Musette en sol majeur (IIIe Livre)

Jean-Baptiste Antoine Forqueray (fils) : La Duvaucel, tendrement

Marin Marais : Musettes en la mineur et majeur (IVe Livre)

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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