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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Noverre, Ballets d'action, Le Concert Spirituel et la Compagnie l’Eventail Dir. musicale Hervé Niquet
Médée & Jason © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique Jean-Georges NOVERRE (1727-1810) et Jean-Joseph RODOLPHE (1730-1812) Renaud et Armide, ballet héroï-pantomime (Lyon, 1760) Médée et Jason, ballet tragique (Stuttgart, 1763) La Compagnie de danse l’Eventail, dirigée par Marie-Geneviève Massé Sabine Novel (Armide), Noah Hellwig (Renaud), Olivier Collin (le Chevalier danois), Bruno Benne (Ubalde, le Fer), Sarah Berreby (Médée), Adrian Navarro (Jason), Émilie Brégougnon (Créüse), Daniel Housset (Créon), Irène Ginger (la Gouvernante), Bérengère Bodénan (le Feu), Volodia Lesluin (le Poison), Marie Blaise (l’Esprit du Mal), Adeline Lerme et Anne-Sophie Berring (Princesses Corinthiennes), Karin Modigh, Romain Arreghini (Peuples Corinthiens), Koupaïa Bodenan et Bertille Pécusseau (enfants de Jason et Médée), Hubert Hazebroucq, Anna Romani, Emmanuel Soulhat (figurants) Le Concert Spirituel, dirigé par Hervé Niquet Alice Piérot, Olivier Briand, Myriam Cambreling, Benjamin Chénier, Camille Antoinet, Stephan Dudermel, François Costa, Nathalie Fontaine, Matthier Camilleri, Bérengère Maillard, Yannis Roger, Marie Rouquié, Florence Stroesser (violons), Judith Depoutot-Richard, Fanny Paccoud, Marie-Liesse Barau, Benjamin Lescoat (altos), Tormod Dalen, Julie Mondor, Nils de Dinechin, Annabelle Luis (violoncelles), Luc Devanne, Marie-Amélie Clément (contrebasses), Alexis Kossenko, Olivier Bénichou, Anne Périllat (flûtes), Héloïse Gaillard, Luc Marchal, Nathalie Petitbon (hautbois), Nicola Boud, Vincenzo Casale (clarienttes), Nicolas André, Augustin Humeau (bassons), Pierre-Yves Madeuf, Cyrille Grenot (cors), Jean-Baptiste Lapierre, Julia Boucaut (trompettes), Isabelle Cornélis (timbales)
Mise
en scène : Vincent Tavernier Production : Centre de Musique baroque de Versailles Coproduction : Opéra Comique, Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française 15 décembre 2012, Opéra royal de Versailles Le geste pour parole Oser présenter au public du XXIème siècle un spectacle reposant exclusivement sur la pantomime pût paraitre une gageure. Deux heures de ballet d’un baroque classicisant teinté de romantisme, sans chant ni parole, voilà un défi de taille brillamment relevé en ce soir de Décembre à l’Opéra royal. Au XVIIIème siècle, personne n’avait eu avant Noverre l’audace de vouloir hisser la pantomime au rang des arts complets et indépendants, se suffisants à eux-mêmes le temps d’une représentation, et de prétendre ainsi que la danse et le vocable chorégraphique pouvaient bien égaler sinon surpasser la parole dans l’expression des passions et pensées du cœur humain. Théoricien et acteur de la danse, Noverre mena une carrière européenne, de l’Angleterre à l’Italie, ainsi qu’auprès de Marie-Antoinette qui le prit sous son aile dès 1767, et avant elle auprès du duc de Württenberg, à Stuttgart. Ami des grands esprits novateurs des Lumières, cherchant à s’émanciper des conventions et habitudes qui règlaient le jeu artistique, il est aujourd’hui considéré comme l’initiateur de l’essor considérable que prit le ballet au siècle suivant, en tant que genre à part entière. Et ce soir, le Concert Spirituel et la Compagnie l’Eventail ont prouvé que la visionnaire prétention de Noverre à faire sortir la pantomime des rues était plus que justifiée.
Renaud & Armide © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique D’Armide à Médée, c’est un même portrait de la femme trahie et bafouée au cœur du sentiment amoureux, éclairé par deux sensibilités psychologiques différentes. Dans les deux récits, l’homme est davantage l’aimé que l’amant et vit suivant la légèreté volatile d’un cœur plus charmé qu’épris. Ainsi de Renaud qui, rappelé à son devoir de Croisé par ses compagnons, délaisse Armide après avoir recueilli sa part d’une félicité éphémère. Jason fait naitre par son inconstance l’ire d’une femme orgueilleuse et aveuglée de passion, déclenchant l’effroyable processus qui fera périr tout un peuple. Tout, dans ces drames, fit sens en servant l’expression vivante du tragique, pour un rendu saisissant d’éloquence et de modernité. En premier lieu, les somptueux costumes d’Olivier Bériot, dessinés dans des matières fines et caressantes, aux chaudes couleurs chatoyantes. Tunique blanc et or et panache vermeil pour un Renaud fier mais d’une grâce infinie, incarné par Noah Hellwig. Sa silhouette élancée semblait danser en apesanteur dans les duos amoureux qui l’unissaient à Sabine Novel. Les différences de caractère et de personnalité se révélaient de manière surprenante à travers la danse de chaque personnage. Ainsi de Renaud dont les gestes souples et généreux portaient les mots d’un cœur jeune et fougueux, mais qui cède volontiers aux charmes des naïades. Armide s’exprimaient sans détour par des mouvements virtuoses et impérieux, organisant souverainement un discours très intelligible. Danseuse tragédienne, capable de croiser le fer avec les compagnons de Renaud. Après avoir été laissée, seule, avec son feu intérieur, son corps se fit chancelant, tourmenté par les douleurs de l’âme, au bord de la chute. Tout comme pour Médée ensuite, le cœur rendit sa souffrance palpable par les inflexions du corps, tendre roseau qui ploie et oscille sous les assauts du vent. Vêtue d’une ample rouge sang qui laissait présager l’infanticide à venir, Sarah Berreby donna corps à une Médée pleine d’orgueil et amoureuse jusqu’à la démence, inébranlable dans l’accomplissement de ses résolutions les plus terribles.
Médée & Jason © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique Antoine Fontaine conçut pour ces épisodes tragiques des écrins à la douceur toute chimérique, d’après des gravures et modèles d’époque. Décor mouvant qui se construisait au fil de l’action par des "changements à vue", et dont les teintes aquarelles contrastaient avec la noirceur de l’action. Tout au long du spectacle, la scène ne cessa de dialoguer avec la fosse. Comme dans la première scène d’Armide, lorsque l’île enchantée émergea des flots soutenue par basse musicale rampante ; ou lors de la tempête finale, les grandes fusées à l’unisson figurant le déferlement des vagues et l’amoncellement des rochers sur la magicienne et ses suivantes. Mais un lien profond unissait également narration et partition, un même élan entrainait danseurs et musiciens. Ce fut particulièrement frappant dans Médée, au cours des festivités organisées par Créon en l’honneur de Jason et son épouse. La cour en liesse dansait, encourageant l’amour naissant entre Jason et la princesse Créüse. Médée était là et voyait, impuissante ; mais son cœur criait déjà vengeance et la chaconne jouée par l’orchestre faisait pressentir que l’inéluctable se préparait et avançait à grands pas sur cette basse que l’on ne pouvait arrêter. Jason avait été séduit sans résister, l’engrenage était lancé. L’instrumentation changeante et l’audace des mélodies vinrent souligner le caractère terrible du maléfique dessein de la magicienne. Loin de s’en tenir à la préciosité du ballet baroque, la pantomime selon Noverre s’attache davantage à dépeindre des traits de la psychologie humaine, dans tout ce qu’elle peut avoir de noir et de tragique, d’effrayant mais aussi d’’exaltant. Plusieurs passages narratifs furent saisissants d’effroi par leur réalisme (Médée, scène 4).
Renaud & Armide © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique Malgré l’absence de "happy end" dans les deux ballets, on ne put qu’admirer la beauté des corps et la volubilité du geste, l’harmonie des décors et des costumes, le jeu de contrastes entre l’intériorité des personnages et l’action jouée sur scène. Avec l’aide de son orchestre à la sonorité rondelette et bien équilibrée, Hervé Niquet sut comme à son accoutumée sculpter la matière sonore et lui donner un développement presque organique, jusqu’aux notes finales mêmes. Des bourrasques grisantes se sont levées, des danses haletantes nous ont entrainés avec les démons de Médée jusqu’aux tréfonds des enfers. Face à cette connivence admirable des artistes entre eux, nous pouvons à la suite de Gluck affirmer "qu’avant d’avoir vu ce ballet, nous n’aurions jamais soupçonné que la danse pût être susceptible d’une expression si vraie et si touchante". Nous prouvant ainsi que l’art peut bien se passer de mots…
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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