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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Monteverdi, L'Orfeo
Balthasar-Neumann Chor &
Ensemble
Thomas Hengelbrock - DR Claudio Monteverdi
L'Orfeo
Nicolay Borchev Orfeo
Balthasar-Neumann Chor & Ensemble
Une soirée d'Enfers Point n'est ici le moment de disserter sur les conditions de la création de cet illustrissime Orfeo, créé dans les appartements du Palais Ducal de Mantoue, le 24 février 1607, dans une pièce aujourd'hui aussi étroite que probablement disparue, la Sala degli Specchi, anciennement Galleria. Point n'est ici l'instant de se lancer dans de doctes ratiocinations sur l'Euridice de Peri et Caccini qui détrône Monteverdi dans son auréole de fondateur de l'opéra moderne. Les mélomanes connaissent si bien cette œuvre que ce serait leur faire injure, les dilettantes curieux quant à eux se tourneront vers la biographie de référence de Roger Tellart (Fayard), complétée par l'essai aussi érudit qu'agréable de Rinaldo Alessandrini (Actes Sud)... Thomas Hengelbrock, propose une version mise en espace, qui a le mérite de souligner efficacement les effets dramatiques. Si les costumes sont particulièrement peu esthétiques à l'exception de la veste d'or d'Orphée, et que l'on sourit devant ce Caron à l'allure de cow-bow dépravé, ou encore cet Apollon en veste blanche et chemise rose tout droit sorti d'une soirée 80's, les déplacements tout comme la gestuelle, et la dispersion spatiale du chœur apportent indéniablement de la tension à l'ouvrage, d'autant plus que le manque de moyens est compensé par un classicisme théâtral de bon aloi évitant les roulades et autres scènes aussi physiques qu'inadéquates pour les chanteurs. Nous avons été particulièrement frappé lors de la scène des Enfers par l'attention portée au symbolisme du topos, avec les cuivres infernaux disposés à gauche, conformément à l'étude fine du musicologue Stefano Aresi à partir des quelques indications scéniques qui parsèment la partition et qui le conduisit à reconstruire une scénographie originale restituée autour des "dedans, derrière, à gauche et à droite". Toutefois, lors de la poignante scène où Orphée retourne au monde terrestre et abandonne Euridice, il est regrettable qu'Hengelbrock n'ait pas persévéré dans ce souci de cohérence spatiale, puisque le monde des vivants passe cette fois-ci à sénestre, et le retour aux Enfers à dextre...
Nicolay Borchev - DR Le chef livre une vision éminemment énergique et personnelle de l'opéra, d'une lisibilité extrême. Contrairement à notre habitude, nous ne détaillerons donc la distribution que de manière cursive, pour nous concentrer sur le cheminement dramatique soigneusement construit jusqu'au retour final du demi-dieu esseulé. Après une Toccata hélas jouée avant l'extinction des feux, et de manière cérémonielle mais discrète (quitte à rappeler la fonction d'hymne des Gonzague de cette fanfare, nous aurions préféré des cuivres alignés devant le rideau, ou perché dans les loges), Hengelbrock prend le drame à bras le corps, multipliant les contrastes entre les climats, alternant les moments de tension et de relâchement, n'hésitant pas à bouleverser la métrique, à raccourcir et accélérer le temps. Cette logique de tableaux permet au Balthasar Neumann Ensemble de sculpter les timbres, voire de forcer un peu le trait. La Musica de Johanette Zomer au timbre velouté et à l'émission sensuelle et agile donne ainsi un ton madrigalesque au Prologue qui, à la manière hédoniste et solaire d'un Cavina insuffle à chaque syllabe sa valeur poétique. S'ensuit un premier et début de second acte solaire et hédoniste, avec de très belles cordes pincées, où le chef insiste sur l'aspect rustique et paysan du chœur, et des parties dévolues aux Bergers : "Lasciate i monti" très dansant et populaire, interventions des pasteurs avec chant de gorge rocailleux et pressé, à l'inverse du chant à la musicalité chaleureuse, plus lyrique et mélodique de l'Orfeo de Nicolay Borchev, qui dès son apparition, affirme son statut de chanteur et demi-dieu et sa suprématie sonore sur l'aimable bergerie qui l'entoure. L'Eurydice de Katja Stuber, tendre et fragile objet bientôt terrassé par le vil serpent, se plie à cette vision de son timbre clair et innocent. L'orchestre lui-même nimbé de couleur, d'un optimisme conquérant, enfile les ritournelles avec boulimie, rabaissant cette partie de l'œuvre à de bouillonnants ébats de village, manquant singulièrement de noblesse tragique.
Anna Bonatibus - DR Le génie d'Hengelbrock, peut-être excessif pour certains mais terriblement efficace, a été de segmenter les affects et les atmosphères avec une netteté brutale. Ainsi, ces petits riens campagnards insignifiants (quitte à ne pas extraire la substantifique moelle de la partition mont verdienne) se muent d'un seul coup à l'arrivée de la Messagère désolée d'Anna Bonatibus dont l'incarnation malheureuse et poignante, à la vocalité italienne intense tout aussi accomplie que dans sa récente Didone, rompt le charme des jeux pastoraux. En quelques mesures, l'œuvre se mue en une implacable tragédie, dont le spectateur, choqué tout autant qu'Orphée, ne sortira pas indemne. Cette superbe rupture de ton, remarquablement menée, a hissé cet Orfeo parmi les plus grands, rappelant par certains choix notamment choraux la seconde version inaboutie mais audacieuse d'Harnoncourt. Que dire ensuite, tant les Parques dévident avec fluidité la suite de la destinée des protagonistes ? Ah, oui, louer l'Espérance sensible mais un peu terne d'Anna Stephany, déplorer le Caron peu redoutable et aux graves légers de Marek Rzepka, souligner le manque de précision de Borchev dans le "Possente spirito" de bravoure confirmé par le faible duo final avec un Apollon engorgé? Ou encore se délecter du dialogue entre le Pluton régal de Tiziano Braci face à une Anne Bonitatibus plus caressante que jamais ? Non, vous l'aurez compris, en dépit de l'Orfeo à la fois héroïque et humain de Borchev, ce n'était pas pour un plateau vocal que nous étions là ce soir, mais pour nous plonger dans une vision. Celle de la froideur percutante des sacqueboutes infernales à l'univers bleuté. Celle où les armures se fissurent peu à peu, où l'Orfeo monolithique et narcissique du 2nde acte s'effondre soudain sous sa douleur, où l'inflexible Pluton se résout aux suppliques de l'Amour, où le demi-dieu hagard presque malgré lui retrouve sons statut et sa raison. Et cette traversée des Enfers valait toute les mises en scène du monde.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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