Une Méditerranée haute en couleurs...

Dans le cadre du Festival de Musique Sacrée de Perpignan, l'Ensemble Les Eléments proposait l'autre soir un programme d'un éclectisme audacieux, traversant les époques musicales du 14ème siècle à nos jours (avec notamment une émouvante création contemporaine) et parcourant les langues du bassin méditerranéen : il fallait oser ! L'église Notre-Dame de la Real, siège d'un concile qui marqua la fin de la papauté d'Avignon, constituait un écrin bien approprié pour ces polyphonies a capella, en offrant une acoustique flatteuse à cet exercice de haute voltige vocale.

C'est probablement pour l'interprétation du Livre Vermeil de Montserrat que l'acoustique de l'église révéla le mieux l'étendue de ses possibilités. Des chœurs situés à quatre emplacements différents fusaient les voix des Eléments, formant dans les voûtes une manière de polyphonie céleste irréelle de beauté. Pour demeurer dans les époques anciennes, mentionnons aussi les belles basses profondes sur le Kadish de Rossi, qui emplissaient la nef. Pour le Crucifixus de Lotti, huit voix des Eléments nous livrèrent une riche palette de leurs couleurs vocales, délicatement filées, puis fondues dans un pianissimo à couper le souffle. Cette même palette, fortifiée en nombre, illumina les Repons de Gesualdo, avec des attaques bien placées culminant en un chœur puissant. Et le "O vos omnes" de Victoria constitua une pièce de choix pour des voix de ténors lumineuses, reprises par un ensemble bien équilibré.

C'est avec une curiosité de bon aloi que nos chastes oreilles baroques s'apprêtaient à découvrir les pièces contemporaines du programme, et nous ne fûmes pas déçus...Et incarnatus de Petrassi donna lieu à un beau dialogue entre les voix diaphanes des sopranos et des contre-ténors, et des basses viriles et profondes à souhait. Le Lama sabaqtani de Moultaka débute sur un chœur des femmes d'inspiration antique marquée, auquel se mêlent insensiblement les autres voix en un long souffle continu, dans une facture finalement assez classique. A l'inverse, les Bacchantes constituaient l'œuvre la plus stupéfiante de ce répertoire contemporain. Le premier fragment voit les murmures et les sifflements initiaux du groupe interrompus par d'hallucinantes incantations de la jeune soprano Julia Wischniewski, dotée d'un bel abattage. Dans la même veine, citons aussi les appels répétés de Cécile Pilorger, repris en cris déchirants par les altos masculins Frédéric Betous et Marc Pontus.

L'œuvre la plus attendue était toutefois la création sur un texte arabe du 13ème siècle. Sorte de balancement scandé d'abord par deux basses, auxquelles se mêlent ensuite deux ténors, le chant s'éclaire ensuite avec l'entrée du contre-ténor Frédéric Betous, qui y mêle subtilement sa voix aérienne.

Jaquette du futur CD à paraître - D.R.

Le concert reçut de longs applaudissements bien mérités, avec des rappels qui attirèrent un bis (le Crucifixus). Comme il a été dit plus haut, le pari musical initial semblait pourtant relever de la gageure. Sa brillante réussite tient assurément à la qualité intrinsèque et à l'homogénéité de l'ensemble des Eléments, placé sous la direction exigeante de Joël Suhubiette, qui avait conçu le programme de cette soirée inoubliable, qui devrait prochainement paraître au disque en juin.

Site officiel du Chœur Les Eléments : www.les-elements.fr