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6 janvier 2014

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Chronique Festival

Jean-Baptiste Lully, Atys,

La Symphonie du Marais, dir. Hugo Reyne

 

 

Hugo Reyne - D.R.

 

 

Jean-Baptiste Lully (1632-1687)

Atys
Tragédie en musique en un prologue et cinq actes (1676)

sur un livret de Philippe Quinault (1635-1688)

 

Romain Champion : Atys, le Sommeil

Matthieu Heim : Idas, Le Temps (prologue), Phobétor, Sangar

Bénédicte Tauran : Sangaride, Flore (prologue)

Maud Ryaux : Doris, Iris (prologue)

Amaya Domínguez : Cybèle, Melpomène (prologue)

Maïlys de Villoutreys : Mélisse

Aimery Lefèvre : Célénus, Phantase, un Songe funeste

Vincent Lièvre-Picard : Morphée, Zéphyr (prologue)

 

Chœur et Orchestre de La Simphonie du Marais

Continuo : Étienne Mangot, basse de violon, Delphine Le Gall, basse de viole, Marc Wolff, Leonardo Loredo, Damien Pouvreau, théorbes, Florian Carré, clavecin

Direction Hugo Reyne

 

Concert donné le 12 août 2009, 20h30, dans la Cour d’honneur de la Chabotterie (Vendée).

Enregistrement les 17 et 18 août 2009 à Paris, sortie prévue en avril 2010 pour le label "Musique à la Chabotterie"

 

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"Ils remplissent leurs chants d'une douceur nouvelle" (Sangaride, Acte I, scène 3)

Atys : voilà bien l’un de ces noms mythiques du renouveau du baroque français, l’opéra auquel peut-être Lully doit le plus auprès des mélomanes modernes, même s’il ne fut pas le premier recréé en notre temps (Alceste l’a précédé). Un opéra, ou pour mieux dire une tragédie en musique – et non même tragédie lyrique, comme on se plaît à raccourcir l’étiquette générique – exigeante, équilibrée, mais d’un abord point difficile. Une tragédie en musique qui doit une partie de son mythe à la production de 1987, par William Christie et Jean-Marie Villégier, à l’enregistrement qui en découla et qui reste une référence, même plus de vingt ans après (Harmonia Mundi).

Pourtant, nul doute qu’un chef d’œuvre tel qu’Atys a bien droit à une nouvelle lecture, différente. Après tout, nul ne vient se plaindre d’avoir le choix entre plusieurs versions d’Orlando ou de Rinaldo, pour rester dans le domaine baroque. Le baroque français doit pourtant se contenter généralement d’une seule lecture, mais il faut dire aussi que de nombreuses œuvres restent encore à redécouvrir, des compositeurs mêmes ne sont connus que par un unique enregistrement, sinon rien : à quand une Hésione de Campra, une Omphale ou une Issé de Destouches, une Didon ou une Iphigénie de Desmarest, un Thétis et Pélée de Colasse, un Endymion de Colin de Blamont, ou encore des Amours des dieux de Mouret ? À quand, même chez les célèbres Lully et Rameau, Bellérophon, Le Temple de la Gloire et Les Dieux de l’Égypte ou les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour ?

Dans l'attente, on ne saurait regretter ce nouvel Atys servi par une distribution jeune et déjà talentueuse, sous l'égide d'un chef inspiré, un orchestre et un chœur toujours équilibrés et dramatiques. Car faut-il le rappeler, un véritable esprit d’équipe règne dans cette production, qui fait que chaque ensemble est réussi et que les voix s’y confondent sans s’y brouiller, que le chœur et l’orchestre respirent aussi comme une seule entité, bref, que l’on est bien en présence d’un tout, et non de parties mises bout à bout.

 Logis de La Chabotterie © Conseil Général de Vendée

Les performances individuelles n’étaient cependant pas en reste, à commencer par une Cybèle, Mère des Dieux humaine et sensible, comme lors de sa descente des cieux ("on se fait pour aimer un plaisir de descendre"). Si Amaya Domínguez souffre parfois d'un vibrato trop ample et d'une prononciation peu claire - défauts intimement liés l’un à l’autre - ceux-ci sont largement contrebalancés par une voix au timbre charnu et chaud sur toute la tessiture et son engagement dramatique de tous les instants. La progression dans l’acte V de la haine jusqu’à l’attendrissement puis la grâce finale est proprement époustouflante : l’on croit voir la mortelle redevenir déesse, avant d'adopter de nouveau son hiératisme, désormais teinté de cette tendresse acquise dès "Espoir si cher et si doux" (acte III, sc. 8).

Autre personnage qui évolue tout au long du drame : l’Atys de Romain Champion qui traverse les méandres depuis l'indifférent cœur de glace des débuts jusqu’à l’ardeur finale du combat contre le monstre supposé invoqué par Cybèle et Alecton, en passant par la tendresse des serments avec Sangaride ("Je jure – Je promets", acte IV, sc. 4).  Le haute-contre fait montre d'une voix claire au timbre charmeur, toujours à l’aise dans la tessiture, au phrasé idyllique ; une voix pleine de poésie qui sait équilibrer à la perfection texte et musique. Il est difficile de croire que pas un mot du texte ne fut perdu ce soir-là, ni même une phrase de musique, et pourtant cela fut le cas. L’on ne peut s’empêcher d’être charmé de ses petites ariettes qui sont l’héritage de l’air de cour et qui parsèment l’acte I, chantées avec tant de goût et de discernement ("L’amour fait trop verser de pleurs" puis "Non, vous ne me connaissez pas", acte I scène 3). C’est aussi cet engagement progressif dans le drame qui fait que l’auditeur, même dans une représentation de concert, ne cède jamais aux charmes soporifiques des doux pavots de la scène du sommeil.

Des remarques similaires pourraient s’adresser à Bénédicte Tauran, Sangaride d’exception qui remplaçait au pied levé Céline Scheen. Les premières scènes nous la montraient réservée, d'une réserve pleine de charme ("Quand le péril est agréable", acte I scène 3) qui n'aspire qu'à se muer en douceur dès l’ "Atys est trop heureux" de la scène 4 de l’acte I, scène à la beauté rêveuse merveilleusement rendue. Puis survient le drame ; Sangaride y reste Sangaride,  jeune fille vertueuse et timide, qui délivre un "Hélas ! j’aime… hélas ! j’aime… – Achevez ! – Je ne puis." à la fois crédible et touchant, à l’image du personnage.

Que dire d’Aimery Lefèvre en Célénus, si ce n’est qu’il campe un roi toujours noble à la voix de baryton-basse soutenue, mais qu’il sait aussi montrer l’autre facette de son personnage, celle du futur époux glorieux qui veut se faire aimer pour lui-même ? Il faut savoir bannir de trop royaux excès dans "N’avancez pas plus loin", puis s'affirmer en amant jaloux dans "Quelque rival caché ?" (acte II, scène 1), en amant heureux dans "Rien ne m’alarme plus" (acte IV, scène 3), pour finir en amant noble avec "Je suis trop vengé" (acte V, scène 3). Nul doute qu’Aimery Lefèvre a rendu toutes ces inflexions sensibles, rendant son personnage présent dans le drame en dépit de la brièveté de sa présence scénique. Il sait aussi se faire redoutable en Songe funeste, tout cela avec une diction toujours irréprochable.

Matthieu Heim fut Idas, le Temps, Phobétor et Sangar avec une égale maîtrise de la musique et du vers. Le souffle long sur lequel la voix vient se poser rend son phrasé clair, et dès les premières phrases du Temps, on est étonné et ravi d’entendre chaque vers comme une entité cohérente. De l’Idas discret mais présent au Sangar joyeux, chaque intervention est un enchantement, dont la variété ne laisse pas supposer les autres personnages tenus par le même chanteur. La voix est belle - une de ces belles voix de basse comme on en entend rarement - pleine et profonde tout en étant soutenue. Matthieu Heim a su interpréter chaque moment comme une capsule de poésie, qu’elle soit galante ("Amants qui vous plaignez", acte I scène 2) ou bachique ("Que l’on chante, que l’on danse", acte IV, scène 4).

Où entend-on un chœur qui articule avec autant de perfection que celui des Chœurs de la Simphonie du Marais ? "On comprend tout" : telle est la remarque que se faisaient nombre d’auditeurs en sortant du manoir, "tout", même le redoutable chœur des songes funestes "L’amour qu’on outrage / Se transforme en rage". Toutes les inflexions lui sont connues, du fort (forte, diraient les Italiens) triomphant qui célèbre les rois et les dieux (du Prologue, mais aussi Cybèle) jusqu’au doux (piano) des déplorations finales. L’écriture polyphonique reste perceptible malgré une  parfaite cohésion du tout.

L’Orchestre de la Simphonie du Marais est lui aussi équilibré, entre les bois et les cordes frottées, les cordes pincées du continuo (trois théorbes, quel luxe de couleurs !). Il n’accompagne pas le chœur, il ne fait qu’un avec lui et livre une partition colorée de teintes nobles, tendres, tristes, enchanteresses. Hugo Reyne dirige en effet Atys en poète et en coloriste. Aux flûtes à bec du Sommeil (acte III), il joint les traversières (tel que ce put se faire lors des reprises après 1681) conscient que le timbre des deux flûtes s’associe parfaitement et crée un effet plus particulier encore. Le chef sait donner et ôter des hautbois, bassons, flûtes, tout en maîtrisant un continuo riche en subtilités, avec la douceur de la basse de viole et l’entrain de la basse de violon, la poésie dosée entre les théorbes et le clavecin. Reyne insuffle aussi des nuances délicates aux répétitions : entre le premier et le dernier "Il faut encore plus l’aimer" (à propos de Cybèle, acte I, sc. 8), il insuffle une évolution reflétant celle de la psychologie des personnages eux-mêmes. Les déplorations de la fin s’enflent et se réduisent comme un seul homme le ferait avec son instrument. La joie n’est pas non plus absente, par exemple dans le divertissement de l’acte IV.

C’est donc à une lecture nouvelle, séduisante, souvent poétique, souvent dramatique, colorée et équilibrée, à l’image du drame créé par Quinault et Lully qu'Hugo Reyne et la Simphonie du Marais nous ont convié en cette cour d'honneur, qui aurait ce soir-là put être de Marbre. Il faut par ailleurs saluer l’équipe qui s'est risquée à donner une œuvre si conséquente en plein air. A tous ces ingrédients s'ajoute l’agrément du lieu, la convivialité du festival (le concert est suivi d’un bref cocktail ouvert à tous où l’on peut rencontrer les artistes) et le très beau feu d’artifice sur la musique de Rameau enregistrée par la Simphonie du Marais (critique à venir). L'on attend donc avec impatience l'enregistrement qui ravivera les souvenirs émus de cette soirée vendéenne d'exception.

Loïc Chahine & Pedro Octavio Diaz

Site officiel du Festival de la Chabotterie : http://chabotterie.vendee.fr/le_festival

 

 

 

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