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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert Haendel, Teseo
Georg Frederic Haendel
Teseo Drama tragico en 5 actes, créé le 10 janvier 1713 au Queen's Theatre, Haymarket
Max Emanuel Cencic (Teseo) Mary-Ellen Nesi (Medea) Xavier Sabata (Agilea) Ana Quintans (Clizia) Damien Guillon (Arcane)
"Frappons, perçons, frappons, qu'on n'épargne personne" (Quinault, Thésée, I, 5) Voici un Teseo qui rappelle dès son Ouverture la sève concentrée d’un Minkowski et l’abîme de noirceur d’un Lopez-Banzo. Voici un Teseo, certes en version de concert et sans les opulents décors dont Gilbert Blin affublait la version de Gilbert Bezzina à Nice en 2007 (à quand le DVD ?), mais où les protagonistes courent chacun vers un finale apparemment destructeur, d’une téléologie irrépressible, où se déchaînent les évènements et les passions. Voici enfin un Teseo, qui, au détriment des composantes galantes du livret et des aimables scènes de séduction - aux tempi trop pressé -, tourne essentiellement autour de la folie amoureuse et meurtrière de Médée, personnage qui à l’instar des Circé et autres Armide se révèle aussi effrayant qu’attachant dans son désespoir excessif. On n’a pas vraiment envie de détailler un plateau pourtant superlatif, de disséquer les airs et les da capos, de signaler l’absence – compréhensible pour des raisons triviales de budget – du chœur triomphal de retour de Thésée avec ses trompettes ("Ogn'un acclami il nostro Alcide"), pour ne retenir que ce météore insolent et farouche, d’une incandescence ravageuse qui déferle sur le public, presque sonné par cette violence aussi brute que suggestive et pourtant non dénuée d’une musicalité sensible dirigée avec fermeté par Patrick Cohën-Akenine et des Folies Françoises aux graves musclés et aux remarquables bois. La Médée de Mary-Ellen Nesi est de celle qui n'accepte pas les refus. Alors que le livret de Niccolò Francesco Haym, habilement adapté du non moins habile Quinault, fait durer le suspens en n'introduisant ce personnage-clé qu'au second acte, son ombre menaçante plane sur les protagonistes tout au long de l'œuvre, et le "Dolce riposo ed innocente pace" initial dégage à contresens de ses paroles un trouble torturé. La projection puissante, le timbre un peu voilé à la manière d'une tragédienne blessée, moulé d'un airain tragique capable de fulminer dans un acharnement hargneux ("O stringerò"), confèrent à la mezzo les habits d'une créature redoutée et instable, à la psychologie savamment distillée, d'une volatilité bipolaire qui transparaît dans ses fiers da-capos. Le "Sibillando, ululando atterrate la rival", boosté par un orchestre compact et sombre, s'avère effrayant, tout comme le court appel aux puissances infernales "Dal cupo baratro venite, oh furie", ou le nihiliste "Morirò, mà vendicata".
M-E Cencic © Robert Recker
Face à cette fatale ennemie aussi monstrueuse qu'attachante, Max-Emmanuel Cencic campe un Thésée noble et virtuose, affrontant une tessiture particulièrement aigue qui met parfois son talent à rude épreuve, en prenant en compte les tempi souvent très resserrés du chef qui compresse ainsi le temps et insuffle une impression d'urgence et de perdition au drame. Le phrasé et les articulations sont toujours sensibles, l'émission énergique, le timbre agréable (sauf dans l'extrême aigu un peu tiré). Le "Non so più che bramar" pulsant et d'une naïveté presque fanfaronne, le "S'armi il fato" naturel, le "Chi ritorna alla mia mente" - court arioso qui réminiscent du dernier air du Trionfo avec son hautbois obligé - plein d'émotion dans la triste expression du renoncement à l'amour.
Le reste du plateau s'avère aussi homogène, avec une Agilea d'Emmanuelle de Negri équilibrée et sage, qui délivre un beau "Deh aprite, oh luci belle", berceuse évocatrice et sensuelle nimbée d'un halo de flûtes évanescentes, une élégante Ana Quitans qui manquait un brin d'abandon dans les premiers actes, mais a fait valoir un timbre velouté et un phrasé idiomatique (duetto "Addio" avec Damien Guillon un peu guindé au début de l'opéra alors que le "Unito a une puro afetto" était bien plus convaincant), un Arcane incarné par Damien Guillon avec une justesse flegmatique au chic très british ("Ah cruda gelosia"). Enfin, le Roi Egée retrouve grâce aux graves profonds et chaleureux de Xavier Sabata un peu d'une superbe que le livret ne lui octroie guère (duetto "Si ti lascia" où il tient crânement tête à Médée), puisque Quinault en fait un royal jouet impuissant de la magicienne.
Alors que Teseo ne fait l'objet que de deux enregistrements sur instruments d'époque (un Minkowski ancien chez Erato un peu sec, et un DVD Arthaus inégal dirigé par Axel Köhler), il faut savoir gré à Patrick Cohën-Akenine d'avoir sélectionné l'une des œuvres les plus dramatiquement abouties du caro Sassone, bénéficiant d'un livret en 5 actes et sans les sorties obligées des chanteurs à la fin des da-capos, pour en livrer cette vision destructrice et échevelée, magnifique course vers l'abîme qui garde un goût amer après le lieto fine copieusement et justement applaudi.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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