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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert Haendel, Giulio Cesare in Egitto, Marie-Nicole Lemieux, Karina Gauvin, Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis
Alan Curtis - D.R. Georg Friedrich HAENDEL (1685 – 1759) Giulio Cesare in Egitto, HWV 17 Opéra (HWV 17) en 3 actes, sur un livret de Nicola Haym
Romina Basso (Cornelia), Emöke Baráth (Sesto), Karina Gauvin (Cleopatra), Mary-Ellen Nesi (Tolomeo), Milena Storti (Nireno), Johannes Weisser (Achilla)
Direction Alan Curtis
25 novembre 2011, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. "Se peut-il que seul et désarmé le monarque du monde erre sur cette plage déserte ?" Le Conquérant aurait dû se méfier. Car débarquer en Égypte avec une légion décimée, avec une carte d’état-major partielle, face à un adversaire si renommé et redoutable, malgré l’excellence des officiers revenait à faire de cette expédition un calvaire. Et malgré le soutien de la population locale, aux débordements de joie indicibles à chaque da capo, malgré la couple vedette du Général et de la Souveraine tragique, le souvenir de la soirée demeure mitigé, en raison des choix et des insuffisances du chef. Pourquoi diantre Alan Curtis n’a-t-il obtenu qu’un Complesso Barocco en sous-effectif ? Alors que la partition de Giulio Cesare compte justement parmi les plus opulentes, requiert pour l’extraordinaire "V’adoro pupille" un orchestre sur scène avec harpe et viole, demande l’engagement martial de 2 paires de cors accordés différemment, Alan Curtis n’a pu mobiliser que 8 violons, 2 altos, 1 cor (à mi-temps ou en grève), 2 hautbois, 1 traverso/ flûte, 1 basson / flûte,1 théorbe, 2 violoncelles, 1 violone et un clavecin (hélas, la nouvelle maquette des notes de programme du TCE ne donne plus la liste des instrumentiste, quand bien même certaines pages restent à moitié vides). "(The orchestra) made a terrible noise, often covering the voices" (L'orchestre faisait un bruit terrible, recouvrant souvent les voix) écrivait John Clerk of Penicuik, à propos d'une représentation d'Orlando, le 5 Mai 1733. Ici, le Complesso sonne hélas de manière incroyablement étriquée, ce qui est certes intéressant pour les airs intimistes, mais ne saurait rendre la grandiose épopée du livret, ivre de sang et de fureur, alternant avec maestria les scènes de charme, les intrigues vengeresses et le fracas des combats. Ainsi l’Ouverture se transforme en Tafelmusik élégante mais sèche, au lieu de plonger l’auditeur dans un drame passionné. De même, comment expliquer… l’absence de l’unique corniste dans le chœur initial "Viva nostro Alcide" ? Ou encore la présence discrète et apparemment virtuose dudit corniste solitaire pour un "Va tacito" avec un instrument au tube troué afin d’éviter la correction pavillonnaire et les problèmes d’intonations mais qui perd considérablement en couleur et en puissance. Le "V’adoro pupille" perd également en suavité merveilleuse, les effets de spatialisation (dualité des orchestres), et de miroitement de timbres (avec la harpe et la viole) passant tout bonnement à la trappe. Gadgets impensables en temps de crise peut-être… Mais tout de même, n’aurait-on pu étoffer un peu les cordes et en particulier les violons ? En effet, la première déception de ce Giulio Cesare est venue de la fosse et d’un orchestre chambriste. On s’attend à regarder un Cecil B. De Mille, et l’on se retrouve devant le minimalisme de Robert Bresson. Deuxième désillusion : le chef a accepté de pratiquer de très nombreuses coupes dans la partition, qui seront espérons-le rétablies pour le futur enregistrement. Contrairement à ce que certains confrères bienveillants ont tenté d’affirmer afin de défendre le chef (et Dieu sait que nous vouons un respect admiratif à cet infatigable défricheur des terres haendéliennes dont l’Admeto d’il y a 40 ans fut pour beaucoup une révélation), contrairement à ce que certains confrères bienveillants ont tenté d’affirmer, l’élagage ne s’explique pas uniquement par la version sélectionnée. Pour mémoire, Giulio Cesare a été créé le 20 février 1724 au King's Theatre de Haymarket joué treize fois avec une distribution prestigieuse comprenant Francesca Cuzzoni (Cléopâtre), Margherita Durastanti (Sesto), et le castrat Senesino (César). La reprise de 1725 abrégea les récitatifs, supprima – hélas - le rôle déjà muet de Curio le seul air de Nireno. Le rôle de Sesto fut alors transposé à un ténor au lieu d'une soprano, et trois nouvelles aria furent composées. Puis, après quelques représentations, Haendel transforma Nireno en Nirena pour une soprano, pour laquelle il écrivit deux airs. On passera pour éviter d’ennuyer nos lecteurs sur les reprises de 1730 et 1732… Quoiqu’il en soit, la version choisie ce soir fut – comme celle de référence de la NHA – un compromis entre la version d’origine de 1724 et celle de 1725. Si l’on excusera des bribes de récitatifs amputées, certaines coupes sont très préjudiciables à l’équilibre dramatique de l’ouvrage, et se font clairement au développement du développement psychologique des protagonistes qui perdent en profondeur et en ambigüité : on regrettera ainsi l’absence du "Tu la mia sei" de Cléopatre, du "Se a me non sei crudele" d’Achilla, du "Se, spietata" de Tolomeo, de l "Aure che spira" de Sesto, du vengeur "Qual torrente" de César, ainsi que la grande fanfare héroïque de la scène ultime. De surcroît, certains da capos ont été tronqués, ce qui est contraire à l’esprit même de cette forme cyclique (sauf quand la disparition de la partie initiale montre justement une urgence ou un trouble prévu par le compositeur).
Colonne hathorique du Temple de Denderah
La distribution, très féminine, nous a fait rêver dès la programmation du TCE rendue publique. Est-ce la patte alanguie du chef ? Une chute d’enthousiasme passagère ? Là-encore le bilan est tout en nuances. Le Jules César de Marie-Nicole Lemieux est celui d’un pari risqué, bouleversant les habitudes, heurtant la technique de la chanteuse. Voici un combattant brut et viril, poitrinant ses graves, délogeant les double croches des coloratures avec verdeur et énergie. La justesse est souvent prise en défaut, ainsi que la synchronisation avec Il Complesso. Qu’importe, le défi est à louer quand bien même la musicalité est prise en défaut. Le "Empio, diro, tu sei" se révèle colérique et instable, loin de l’effigie marmoréenne dans sa précipitation, le "Se in fiorito" superbement inventif, le "Dall' ondoso periglio" plus troublé que las. La Cléopâtre de Karina Gauvin, tragique et altière, a par contraste étalé son timbre riche et soyeux, d’une grande noblesse. Les très attendus "Son pietà di me non senti" et bien entendu "Piangerò la sorte mia" ont ainsi permis à la soprano canadienne d'effleurer la tristesse du néant d'un admirable timbre de velours fané. Cependant, cette incarnation trop monochromatique n’a pas su rendre d'autres aspects de la personnalité de ce nez qui changea le monde, telles la sensualité brûlante et aguicheuse du premier acte ("Venere bella" commun, "V’adoro pupille" casual), ou l’ironie mordante et fière de la jeune souveraine ("Non disperar" bien studieux). Le Ptolémée de Mary-Ellen Nesi était en méforme, et n’a pas su rendre la trivialité malsaine du monarque ("Domerò la tua firezza" presque agréable), et l’on ne peut que regretter les fusillades d’un Derek Lee Ragin glaçant, ou les rodomontades ridicules et jouissives d’un Dominique Visse ou Christophe Dumaux. Appliquée, à la projection moyenne, Nesi a paru bien trop ordinaire dans un rôle d'adolescent dérangé et ombrageux. Enfin, si ce n’est l’Achilla stable et puissant de Johannes Weisser, très carré, la Cornelia de Romina Basso s’est montrée discrète, et le Sesto énergique et agile d’Emöke Baráth encore un peu vert bien que théâtral et convaincant. Ainsi, le duo "Son nata lagrimar" qui conclut le premier acte, s'est révélé fragile et angoissé. La direction d’Alan Curtis, qui a considérablement gagné en respiration et en fluidité en deuxième partie de soirée, est comme à son accoutumée sensible et raffinée, avec des tempi qu’on aurait aimés plus contrastés. La basse continue, très sage, avec un excellent théorbe et un violoncelle très vivant, n’a pas su "muscler" les récitatifs, commenter les rebondissements. De même, l’orchestre s’est plus présenté comme un complice attentif que comme une force de proposition, et l’ensemble a manqué de continuité dramatique, et de souffle épique. Au final, voici une lecture qui demande à mûrir, et qu’il conviendra de revoir en concert lorsque l’interprétation sera plus vivante et investie, les rôles mieux caractérisés, l’orchestre remplumé, et la partition rendue dans son intégralité. Reste une soirée classieuse, qui a emporté l’adhésion d’un public survolté, et qui donne envie de se replonger une énième fois dans l’un des serie les plus emblématiques et les plus charmeurs du Caro Sassone.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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