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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Haendel, Belshazzar, Akademie für alte Musik Berlin, direction René Jacobs, mise en scène Christof Nel
Belshazzar : Kenneth Tarver © Patrick Nin
Georg
Friedrich HAENDEL (1685 - 1759) Un Belshazzar triomphal ! Créé en 1745, Belshazzar connut une seconde série de représentations en 1751 à Covent Garden, dans une version remaniée et allégée, puis une troisième production en 1758. René Jacobs a choisi de reprendre la version originale de la création, augmentée d'un air de Cyrus extrait du premier acte de la seconde version et replacé au début du second acte. Pour la composition du livret, le Cher Saxon avait fait appel à un mécène et érudit de l'époque, Charles Jennens (qui composa également le livret du Messie). Celui-ci, pétri de foi envers la religion chrétienne, a puisé ses sources dans des textes bibliques (livres de Daniel, d'Isaïe et de Jérémie, Psaumes) mais aussi des textes historiques (d'Hérodote et Xénophon). Grâce à un génie théâtral incontestable, il en assembla les éléments les plus saisissants (conquête de Babylone par Cyrus II, festin de Balthazar, inscirption d'une prophétie sur un mur) pour construire un enchaînement dramatique inexorable, commandé par la volonté divine. L'efficacité en est renforcée par une trame très épurée. Au premier acte, tandis que Nitocris, mère de Belshazzar, craint la chute de l'empire babylonien, les Perses et les Mèdes assemblés devant la ville préparent leur entrée triomphale, qu'ils projettent d'effectuer lors de la fête païenne de Sésach. De leur côté, les Juifs captifs rassemblés autour de Daniel écoutent la prophétie de leur libération prochaine. Impavide, Belshazzar prépare dans son palais un somptueux festin pour les festivités païennes, sous les reproches de sa mère. Au second acte, après que les Perses aient réussi à détourner le fleuve qui protège la ville, Belshazzar s'adonne à son banquet, en buvant dans les coupes sacrées prises dans le Temple de Jérusalem. Une prophétie s'inscrit alors sur les murs, que seul Daniel peut interpréter :"compté, pesé, divisé". Les jours de règne de Belshazzar sont comptés, ses minces actions pesées, son royaume sera divisé entre Mèdes et Perses ! Tandis que Cyrus envahit la ville, Nitocris supplie son fils de se repentir. Au troisième acte, tandis que sa mère attend toujours un geste de remords, Arioch annonce que Belshazzar a choisi de poursuivre le banquet impie. Cyrus est désormais dans les murs du palais, et Belshazzar décide de l'affronter mais périt dans le combat. Victorieux, Cyrus fait preuve de clémence, et annonce qu'il rebâtira la cité des Juifs. Les décors contemporains dépouillés de Roland Aeschlimann mettent en valeur ce livret riche en événements. L'intensité dramatique est amplifiée par la mise en scène très explicite, parfois osée (les simulacres d'acte sexuel de Belshazzar sur un jeune danseur, ou sa danse incestueuse avec Nitocris, lors des préparatifs du banquet...) de Christof Nel, dont l'efficacité est soulignée par les éclairages contrastés d'Olaf Freese. Les costumes de Bettina Walter, soignés, sont assez intemporels pour ne pas choquer par une modernité excessive ni verser dans une antiquité de pacotille. Certains sont cependant bien improbables, comme la tenue militaire de Cyrus (au deuxième acte), agrémentée d'une étrange jupette orange ! A noter en revanche les hautes coiffes dorées de Belshazzar, un peu improbables elles aussi, mais tellement évocatrices d'une antiquité revue à la mode baroque !
Belshazzar : Kenneth Tarver / Nitocris : Rosemary Joshua © Patrick Nin Dans la sobre salle vert et or du Capitole aux trompe-l'oeil à l'antique, René Jacobs imprime aussitôt un rythme fluide et dynamique à une Akademie für Alte Musik aux cordes onctueuses. En fond de scène, des gradins noirs campent un décor austère qui sert aussi de prétexte aux déplacements des chanteurs. Mère émouvante qui annonce le drame, Rosemary Joshua (Nitocris) exprime ses craintes de sa belle voix de soprano, à la projection assurée et à la diction précise ("Vain, fluctuating state of human empire !"), qui se poursuivent en une émouvante prière ("Thou, God most high"). Changement de décor avec l'irruption des choeurs entourant Cyrus et Gobrias, qui raillent avec puissance une entreprise militaire qu'ils croient vouée à l'échec ("Behold, by Persia's hero"). Jonathan Lemalu (Gobryas) pleure la mort de son fils d'une voix profonde de basse, à l'ampleur un peu limitée dans ce premier air ("Oppress with never ceasing grief"). Lui répond alors de son timbre aigu, légèrement acidulé, le contre-ténor Bejun Mehta (Cyrus), au phrasé impeccable qui se projette en superbes ornements ("Dry those unavailing tears"). C'est un Gobryas cette fois en pleine possession d'une projection puissante qui entame le "Behold the monstrous human beast", saisissant dans les profondeurs drmatiques. Devant les Juifs assemblés, Daniel (Kristina Hammarström) lit la longue prophétie qui annonce la victoire prochaine de Cyrus ("O sacred oracles") de son timbre légèrement mat, dans un phrasé délicat et bien ourlé qui réjouit nos oreilles. Puis un Belshazzar (Kenneth Tarver) au regard halluciné appelle à la préparation du banquet, allant chercher dans sa voix de ténor les graves requis par la partition, et annonce une bacchanale endiablée ("Let festal joy") qui culmine avec une danse forcée avec sa propre mère qui résiste d'une voix innocente devant ces préparatifs de débauche ("The leafy honours"). Le duo qui suit est bien rythmé sous la baguette de René Jacobs, attentive à soutenir sans faiblesse le moto dramatique. L'acte II s'ouvre sur le bel air de Cyrus, ajouté du remaniement de 1751 ("Great God !"), superbe prière strophique d'un Mehta recueilli, suivie d'un chœur dense des Perses ("See from his post"). Mehta, impérial et jubilatoire, lance alors son appel à l'assaut de Babylone ("Amaz'd to find the foe so near"), repris par un choeur galvanisé ("To arms !"). Par contraste, le choeur de réjouissance des Babyloniens au banquet ("Ye tutelar gods") ouvre la bacchanale, dans un superbe éclairage orangé qui rend la scène qui presqu'irréelle. De son timbre puissant, Belshazzar appelle à son tour aux libations ("Let the deep bowl"), interrompu par...la descente des cintres de son double inanimé, et l'inscription sur le mur de signes inconnus. Stupeur ! Le roi manque de s'évanouir, appelle ses sages qui arrivent, précédés d'une symphonie brillamment exécutée par l'Akademie für Alte Musik, mais se révélent incapables de déchiffrer la prophétie. Daniel, appelé sur le conseil de Nitocris, intervient : Hammarström déclame de son timbre sombre le sens de la prophétie ("Yet to obey"). Dans un clair-obscur saisissant, Rosemary Joshua, touchante de compassion, appelle son fils au remords sur les plaintes des théorbes ("Oh sentence too severe !"). De son timbre de contre-ténor à l'admirable stabilité, Mehta savoure maintenant sa victoire proche, et appelle ses troupes à la clémence ("Oh God of Truth"), repris par un chœur martial appuyé par les tambours.
Bejun Mehta : Cyrus / Belshazzar : Kenneth Tarver © Patrick Nin Nitocris ouvre sans faillir l'acte III par un nouvel appel au repentir ("Alternate hopes"), Joshua se jouant avec aisance des aigus acérés de l'air. Daniel de son côté n'y croit guère, comme le proclame Hammarström dans des accents rugueux ("Can the black Aethiop"). Ténor à la sombre tonalité, Edmund Hastings (Arioch) vient annoncer que le roi a décidé de poursuivre son banquet sur les adjurations des courtisans ("When you had left the room"). Tandis que les Juifs se réjouissent de la défaite du profanateur, Belshazzar, dans une apparition stupéfiante, dévale avec avidité et aisance les ornements du "I thank thee, Sesach", son dernier (et sublime) air. Il décède au combat, sur une courte symphonie militaire. Cyrus proclame alors sa victoire ("Destructive war") au son des trompettes : d'un timbre à la constance étonnante même dans les projections les plus amples, Mehta se livre à une pyrotechnie d'ornements qui illustre sa puissance d'abattage, puis enchaîne dans un très beau duo avec Joshua, moment d'apaisement après le drame où les voix s'unissent avec bonheur. Cyrus s'unit ensuite au choeur final ("I will magnify thee", sur de belles attaques de hautbois) pour chanter les louanges de Dieu, après avoir promis de rebâtir le cité des Juifs. Un plateau de rêve, où la virtuosité de Mehta, aux aigus agiles et au timbre d'une stabilité remarquable, n'éclipse pas ses partenaires ; un Tarver inspiré et charismatique, à nos yeux véritable révélation de cette distribution, doté de profondeurs inhabituelles chez un ténor ; une Joshua à la voix cristalline et d'une grande sensibilité ; une Hammarström qui campe avec conviction le rigoureux prophète Daniel ; un Lemalu aux profondeurs paternelles déchirantes, sans compter les excellents solistes du choeur (et en particulier Richard Wilberforce, prometteur alto masculin), le tout accompagné par un orchestre à la sensibilité baroque éprouvée, sous la baguette du maestro Jacobs, tels étaient les ingrédients de cette représentation que l'on peut sans hésiter qualifier d'exceptionnelle. Cette chronique, que nos fidèles internautes voudrons bien me pardonner d'être un peu longue, n'avait d'autre but que de tenter de vous restituer les moments forts de ce spectacle. Et pour ceux qui n'auront pas eu la chance d'y assister, signalons la sortie récente du DVD chez Harmonia Mundi, avec les principaux chanteurs de cette distribution.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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