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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Gretry, Le Huron

La Compagnie de quat'sous, Le Concert Latin

dir. Julien Dubruque, mise en scène  Henri Dalem

 

D.R.

André Ernest Modeste Grétry (1740 – 1813)

  

Le Huron (1768) 

sur un livret de J.F. Marmontel.

 

Le Huron - Carl Ghazarossian – ténor

Mlle de Saint-Yves – Sandra Collet – Soprano

Gilotin – Anthony Lo Papa – Ténor

Mlle de Kerkabon – Séverine Maquaire – Mezzo-soprano

M de Kerkabon – Clément Dionet – Baryton

l'Officier – Olivier Fichet – ténor.

M de Saint- Yves - Jean-François Kopf – comédien

 

La Compagnie de quat'sous  - mise en scène  Henri Dalem

 

Le Concert Latin

Direction Julien Dubruque.

 

2 novembre 2011, Théâtre Adyar, Paris

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"- Vous êtes obstiné.

-   Non, je suis libre!"

Si l'on avait dit à Jean-François Marmontel que son poème allait être réentendu au XXIème siècle, il se serait exclamé à son habitude, que tout cela n'était qu'un simple amusement à côté du magnifique conte de Voltaire qui l'a inspiré. Mais la “bagatelle” que certains contemporains caustiques raillaient avec mépris, est une œuvre poétique, idéologique et d'une profondeur sentimentale étonnante.

Comme bien de livrets d'opéras comiques, Le Huron adopte une liberté de ton qui semble tout à fait étonnante pour l'année de sa création. En 1768, le déclinant Louis XV adopte une politique plutôt répressive, et le Royaume qui vient de perdre un soutien exceptionnel pour la musique en la personne de la reine Marie Lesczinska se complait de plus en plus dans une indifférence et une superficialité relative qui ressemble à celle de nos années 2010.  Alors que l'Académie Royale de Musique continue une course vers le conformisme et l'académisme, l'Opéra Comique, qui n'est pas encore installé dans les dorures de Favart, s'en prend directement à cet archaïsme et bouge les planches dans un fracas de vocalises, traits d'esprit et créativité musicale sans précédent. Que ce soient les livrets brillants de Charles-Simon Favart comme Les Moissonneurs ou Acajou et ceux pleins de charme de Sedaine ou d'Helle, l'Opéra Comique est un vivier incroyable de sensibilité. Celle-ci connaîtra un déclin avec les volutes ampoulées et pathétiques du drame romantique et ne retrouvera un certain éclat qu'avec Meilhac et Halévy et les musiques éloquentes et sensibles d'Offenbach, Chabrier ou Serpette.

Dans cette même veine, Le Huron est une parabole intéressante. À travers les yeux d'un exotique américain, les mœurs de la France sont ouvertement raillées avec naïveté et parfois une pointe de sarcasme. L'histoire évolue vers une trame plus sentimentale quand le Huron en question - se retrouvant être le neveu perdu de l’un des personnages - est sujet du roi de France, et de plus tombe amoureux de la fille du puissant M de Saint-Yves, qui - comble du vaudeville - s'oppose à ce mariage. Voilà une intrigue qui balaye tous les petits défauts liberticides de la société dite civilisée, et dont on relèvera notamment l'air virtuose: “C'est vous cruels, c'est vous et vos lois qu'on doit nommer sauvages!”.

D.R.

Et quelle soirée plus envoûtante pour nous, amoureux de l'opéra comique, que d'entendre le premier ouvrage du divin Grétry en France, une recréation sous le regard de Jérome Corréas qui se trouvait dans la salle, lui qui a si divinement bien recréé tant de beaux opéras oubliés comme la sublime Fausse Magie de Marmontel/Grétry. 

Ce soir qui commençait à rafraichir ses voiles de soie maurelle, sur les avenues pimpantes du Champ de Mars, non loin de la grande Dame de fer aux étincelles émerveillantes, le Théâtre Adyar aux devantures Belle Époque ouvrit sur sa scène une châsse précieuse emplie des bijoux du temps jadis. D'autres auraient pu faire un spectacle aux reconstitutions pompeuses, d'autres encore auraient pu l'agrémenter de fioritures modernisantes et de concepts monstrueux. Mais Henri Dalem a su donner à la partition et au livret de cet Huron une modernité équilibrée, un discours neuf,  l'a rendu à la vie avec de nouveaux appâts. En replaçant l'argument en 1968, trois-cent ans après la création, Henri Dalem réussit à redonner au discours idéologique de Marmontel toute sa puissance et l'imprime dans notre imaginaire contemporain. Le Huron vêtu de cuir et hirsute devient un hippie beatnik roots flower power enfermé dans le monde conformiste des bonnes familles comme il en existe encore Square Rapp. Et le personnage allégorique du soupirant rival Gilotin devient une sorte de sosie de Jean-Paul Sartre fils à papa. Deux mondes qui s'affrontent à travers les eaux glacées de l'Atlantique Nord  sont, dans la mise en scène d'Henri Dalem, finalement deux sociétés qui s'ignoraient et qui se confrontent dans leur profonde incompréhension. Si nous devons tirer une morale de cette aventure opératique, ce n'est pas un fataliste “l'enfer c'est les autres” mais la certitude que la tolérance et la communication brisent tout conflit, toute différence.

Côté fosse nous avons été totalement conquis par Le Concert Latin et Julien Dubruque. Malgré un effectif réduit à deux violons, un alto, une contrebasse, un cor, un hautbois et bien entendu le clavecin, nous avions l'illusion d'entendre un orchestre complet tant les nuances et les attaques étaient puissantes et riches. Nous avons goûté avec plaisir la partition, les soli qui accompagnaient avec délicatesse et investissement la merveilleuse troupe de chanteurs.

Le rôle titre échoit à Carl Ghazarossian qui nous enchante totalement par ses formidables capacités histrioniques et vocales, atteignant parfois dans la vocalise des notes d'une clarté et d'une justesse rares. Sa tessiture et son incarnation du Huron aux multiples facettes complexes le rendent attachant et il garde l'humilité de donner au personnage sa nature quelque peu naïve mais totalement délicate dans le sentimental et brillant dans le virtuose.

Avec la nuance pour bannière la délicate Sandra Collet nous offre avec son soprano aérien des moments de pureté mélodique dans les airs d'Hortense de Saint-Yves. Nous apprécions sa présence scénique empreinte de délicatesse et de tendresse. Son jeu est averti, et elle rend la réplique avec panache à son huron amoureux.

D.R.

Une bien belle découverte fut le ténor coloré et brillantissime d'Anthony Lo Papa en Gilotin. Si le rôle est quelque peu comique et caricatural, Anthony Lo Papa réussit brillamment à nous emporter dans certains moments vers l'acmé musical. Et si son rôle est celui du benêt, il le rend attachant malgré tout par un jeu précis et terriblement humain, Gilotin n'est plus le fils à papa odieux mais un jeune homme qui cherche à être aimé.

Incarnant la fratrie de Kerkabon la désopilante Séverine Maquaire au mezzo puissant et velouté est une Mlle de Kerkabon au porte-cigarettes, turban et poses d'Alice Sapritch et le M de Kerkabon de Clément Dionet à la démarche chuintante Giscardienne et la perruque poudrée jospinienne, mais au baryton harmonieux que nous aurions voulu entendre davantage, dommage pour ce couple extraordinaire qu'ils n'aient pas eu des airs pour entendre toute l'étendue de leur talent.

Dans le court rôle de l'Officier, le ténor aux couleurs ambrées d'Olivier Fichet incarne à merveille le fier militaire aux virils accords dont Grétry affuble souvent les personnages en uniforme. Nous espérons le réentendre vite dans d'autres rôles plus développés. Enfin, avec le rôle de composition de M de Saint-Yves, Jean-François Kopf donne à son personnage l'envergure des potentats de ces dernières années du gaullisme et la carrure redoutable d'un père sévère mais juste.

À la fin de cet Huron, heureuse et quasi cinématographique dans le dénouement, la salle Aydar palpita de bout en bout avec les personnages et leur engagement. Nous saluons cette production exceptionnelle où l'audace de recréer un opéra comique aussi important pour l'histoire de la musique a démontré que le cœur doit être indissociable de tout projet, c'est avec l'âme et la sensibilité que tout aboutit et tout se réalise.

En rentrant, dans les rues encore animées du 7e arrondissement aux intérieurs feutrés et aux moulures extravagantes, le chroniqueur mexicain, sauvage naguère dans les salons des avenues chic, sentit monter en lui le fredon :”Sous l'empire de l'Amour, il n'est plus de sauvages. L'air de ce charmant séjour les rend doux et sages.”

Pedro-Octavio Diaz

 

Le site officiel de la Compagnie de Quat'sous : http://www.compagniedequatsous.fr/dotclear/index.php/2011/06/27/71-julien-dubruque-et-le-concert-latin

 

 

 

 

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