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6 janvier 2014

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Chronique Concert

"Tradition et transmission :

de l'Art de la Fugue à la musique de nos jours",

Quatuor Arpeggione

Le Quatuor Arpeggione D.R.

"Tradition et transmission : de l'Art de la Fugue à la musique de nos jours"

 

J-S. Bach, l'Art de la fugue : Contrepoint 1

L. van Beethoven, Grande fugue op. 133

A. Schnittke, Quatuor n°3 (premier mouvement)

J-S. Bach, l'Art de la fugue : Contrepoint 9

 

Quatuor Arpeggione :

Isabelle Flory et Nicolas Risler, violons

Artchyl Kharadze, alto

Alexandre Tchidjavadze, violoncelle

 

Anthony Girard, conférencier

 

Vendredi 18 mars 2011, Collège des Bernardins - Grande Nef, Paris.

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Fuite à travers les siècles

Chacun connaît les vendredis soir libérateurs, ou l’honnête travailleur peut entamer son week-end bien mérité sous la coupe avenante de ce bon vieux Bacchus. Mais il est des vendredis soir où Jupiter aime à rappeler que c’est lui le patron, tout de même. Et vous vous retrouvez trempé, informe, ainsi qu’une serpillère essoufflée qui aura eu le malheureux réflexe de vouloir échapper à la pluie en pressant le pas. On n’échappe pas à Jupiter, quand bien même on va écouter l’Art de la fugue, encore moins si on se rend pour cela dans un bastion de ce christianisme qui l'éjecta de l’Histoire d’un grand coup d’épaule antique. Passée cette aigreur païenne, l’entrée est rassurante : le Collège des Bernardins recèle une grande nef magnifique dont l’architecture et la lumière douce vous sèchent et vous reposent déjà pour moitié. Il ne reste alors qu’à tendre l’oreille.

Le concert se présente comme une initiation à l’écriture fuguée, avec le Quatuor Arpeggione (sur instruments modernes) dans le rôle des quatre voix, et Anthony Girard, compositeur et professeur d'orchestration, dans celui du maître de cérémonie. Le programme s'ouvre et s’achève avec un contrepoint du chef d’œuvre inachevé de Johann-Sebastian Bach. Entre-temps, les quartettistes et l'orateur nous auront emmené du baroque à Alfred Schnittke, en passant par la Grande fugue, gros morceau du soir et du corpus à cordes Beethovenien.

La soirée est une vraie réussite au point de vue didactique. Sans jamais prétendre à entrer dans l’analyse minutieuse de ces oeuvres, dont les arcanes peuvent occuper une vie d’exploration, M. Girard a le mérite de conduire ce questionnement sur la fugue avec consistance et profondeur. Chaque pièce est suivie ou précédée d’une décomposition des thèmes principaux par les différentes voix, d’une présentation des intentions du compositeur et d’une mise en perspective historique de cette technique contrapuntique si singulière. Pour Beethoven, par exemple et bien qu’hors du champ temporel de notre revue, au delà de ses caractéristiques habituelles de vitalité, de puissance et de contrastes, l’accent est mis sur son approche de la fugue, dont il essaya d’étirer et d’adapter les règles à sa volonté, pour "dépasser" le "maître" Bach qui avait, lui, cherché tout ce qu’il pouvait obtenir de ce type d’écriture, mais en restant dans les clous de sa rigueur formelle. La filiation entre ledit maître et ledit élève apparaît un peu exagérée, mais il est clair que Beethoven n’entendait pas (entre autres) se laisser brider par la scolastique musicale en général. En témoignent ces mots recueillis par son assistant Karl Holz, pendant l’écriture de l’opus 133, justement : "Ce n’est pas de l’art de faire une fugue : j’en ai fait par douzaines, à l’époque de mes études. Mais l’imagination réclame aussi ses droits ; et aujourd’hui, il faut qu’un autre esprit, véritablement poétique, entre dans la forme antique."

 

Le seul bémol à cette belle expérience musicale sera un bémol malheureusement approximatif, car si le Quatuor Arpeggione se prête efficacement aux interactions avec la parole, on peut regretter quelques problèmes de justesse, déjà perceptibles dans le premier contrepoint de l’Art de la fugue, et gênants dans certains passages très chargés chez Beethoven, notamment aux violons. L’ensemble fait néanmoins preuve d’une belle vigueur rythmique dans cette même oeuvre, et paraît très à son aise avec le premier mouvement du quatuor n° 3 de Schnittke, dont le final contemplatif et désabusé résonne magnifiquement sous les voûtes. L'approche du compositeur russe est expliquée comme un questionnement spirituel, citant Pergolèse ou Beethoven au milieu des dissonances de l'époque, mirant la fugue du haut de son perchoir post-moderne. Après ce beau dénouement, c'est à Bach que revient le contrepoint de la fin, le neuvième de son testament musical en l'occurrence, dont les thèmes résisteront aux applaudissements pour continuer de nous habiter à la sortie.

Dehors il pleut toujours. Bacchus, ce garnement, commence malgré tout à grossir les voix alentour. Mais c’est désormais avec une distance apaisante que l’on reçoit les cris de la fête ou les hallebardes. La fugue, quintessence de l’écriture contrapuntique, ne fait pas que suspendre la hiérarchie entre les voix. C’est d’ailleurs pour cela, sans doute, que cette approche perdure et réapparaît cycliquement depuis la Renaissance jusqu’à nos jours sans que l'on n’y sente une logique évolutive ou linéaire : l’art de la fugue, c’est peut-être de suspendre le temps, ou en tout cas de nous en donner quelques instants l’impression. Ce qui, vous en conviendrez, revient exactement au même.

Gilles Grohan

Site officiel du Collège des Bernardins :  www.collegedesbernardins.fr

 

 

 

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