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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Antoine Dauvergne, Hercule Mourant, Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
Christophe Rousset - D.R. Antoine Dauvergne (1713-1797)
19 novembre 2011, Opéra Royal du Château de Versailles, dans le cadre des Grandes Journées Dauvergne du CMBV. Le Choix d'Hercule : “Jealousy, Infernal pest.” Dans le drame quotidien des passions humaines, se greffent toutes les inspirations possibles des produits de la création humaine. Un des drames les plus puissants de la mythologie et de la dramaturgie antiques est celui de la folie jalouse de Déjanire qui mènera vers le trépas d'Hercule et son accès à l'immortalité. Si ce mythe inspira une des plus belles pièces d'Euripide, Les Trachiniennes, l'imaginaire baroque s'en empara avec toute la puissance passionnelle qu'il contient. Nous connaissons, pour ne citer que les plus célèbres, le majestueux Ercole Amante de Cavalli où la mort du héros n'est pas au cœur du drame et bien entendu le sublime et efficace Hercules de Haendel aux accents tragiques quasi antiques qui nous portent vers les affres psychologiques les plus crus de cette narration. La folie jalouse qui est au cœur du drame de la mort d'Hercule, l'amour dans son extrême le plus poussé nous fait nous questionner sur la capacité humaine du surpassement et d'accès au bonheur qui obsède tellement notre époque. Recréer une tragédie avec un thème aussi fort n'est pas anodin, la quête des repères artistiques à notre moralité moderne est cohérente avec la programmation qui, si elle n'était que coïncidence, ne formerait pas autant de vœux parmi les publics. Programmer l'Hercule Mourant de Dauvergne et Marmontel tient de l'exploit et nous tenons à rendre hommage à la vision de Benoît Dratwicki dans cette année Dauvergne aux découvertes flamboyantes. Le livret du jeune Marmontel est bien construit et son intrigue est ponctuée de divertissements qui n'alourdissent en rien les péripéties de l'action. Cependant chez Marmontel, contrairement aux autres adaptations des malheurs de Trachis, le personnage fatal de Déjanire est une sorte d'instrument de la colère divine, une possédée, au lieu d'avoir la conscience froide et terrible de la Dejanira de l'Hercules de Händel. Que le lecteur ne s'étonne guère, Déjanire est la figure même de notre société et de nos menues morales, poursuivant le bonheur jusqu'à l'obsession et jusqu'à une mort certaine de celui-ci ou une métamorphose apothéotique. Déjanire est aussi contemporaine que les gossip girls ou les desperate housewives, c'est pour cela qu'elle nous touche. Et un autre leitmotiv de ce mythe, de cet opéra que Dauvergne a su avec maîtrise mettre en avant, est la noirceur de la jalousie, la violence de son discours, de ses actions et de la possession des esprits. Le livret de l'Hercules de Händel parle du “vulture jealousy” et le livret de Marmontel l'incarne dans une voix de taille, multisexuelle, vicieuse et insidieuse, froide dans l'harmonie et au mélodique angoissant. La glaciale et terrible vengeance des ouraniens n'est pas dans les fracas de la foudre mais dans les cataclysmes émotionnels qu'un cœur peut éprouver.
Reproduction de grand format du célèbre Hercule Farnèse (1891) en haut de la perspective axiale des jardins Vaux-le-Vicomte © Château de Vaux-le-Vicomte / Muse Baroque, 2008
En grand ordonnateur de la recréation, Christophe Rousset à la tête des Talens Lyriques aux couleurs extraordinaires et florissantes, nous offre direction élégante mais inégale. Si l'accompagnement des voix est parfait, avec des soli d'une extase musicale solide, de légers décalages et des déliés entre les divertissements et les scènes ou même entre airs et récitatifs alourdissent parfois la partition et lui ôtent son efficacité dramatique. Ce qui aurait pu être un coup de tonnerre, un éclair vif et brutal tomba parfois dans la mièvrerie ou dans une lourdeur académique qui ne ressemble pas à l'averti Christophe Rousset et ses sensibles Talens Lyriques. Nonobstant nous attendons avec vif intérêt la captation discographique de cet Hercule Mourant pour revoir notre impression qui ne peut se fixer que sur l'instantané du concert. Avec une présence grandiose, un charisme hors pair et une incarnation quasi surréelle d'Alcide, Andrew Foster-Williams dont on ne dit jamais assez de bien est un Hercule idéal. Son grave est cuivré, puissant et coloré, ses vocalises et sa prosodie s'enchaînent avec une aisance et une créativité dans l'ornementation sans faille. Triomphe apothéotique pour ce grand chanteur qui est entré récemment dans le répertoire français et qui nous comble par l'engagement psychologique et dramatique de ses rôles. Incarnant le rôle le plus noir du mythe trachinien, la Déjanire de Véronique Gens est stupéfiante. La présence physique de la chanteuse est manifeste, elle s'approprie la totalité de la salle et en une note, en un seul récitatif elle métamorphose la musique, l'orchestre, le public. Si bien Déjanire n'a rien d'une enchanteresse, Véronique Gens sous ses traits, envoûta et enchanta nos sens. Et surtout elle sut avec une justesse parfaite rendre cette femme qui est la parabole d'une tragédie humaine, la persécution de ce qui ne sera plus, un bonheur évanoui, un tas de ruines sentimental. Nous regrettons au passage que certains airs de cet Hercule Mourant ne figurent pas dans le dernier récital Tragédienne 3 avec le même chef (Virgin Classics). Avec autant d'allant et de finesse nous saluons le merveilleux Hilus d'Emiliano González-Toro aux aigus percutants et bien placés, au dramatisme précis et sensible. Chaque incarnation de ce jeune ténor nous ravit que ce soit dans des rôles plus légers ou dans un héros baroque, il sait toujours entrer avec cœur dans la musique, dans le texte, un chanteur accompli en somme. Malheureusement avec un rôle peu développé dramatiquement, l'Iole de Julie Fuchs ne nous a pas ému autant que celle de l'Hercules de Händel. Le drame a desservi la chanteuse qui possède un timbre charmant et une belle créativité dans la vocalise et l'ornementation, mais la voix n'a pas beaucoup de volume pour une salle comme Versailles. Surprise extraordinaires de la soirée fut le Philoctète d'Edwin Crossley-Mercer au hiératisme de feu. Nous avons été totalement emballés par son baryton profond, velouté et chromatique. Son incarnation et sa restitution du texte était parfaite et nous encourageons les diffuseurs à l'engager dans des futures productions, c'est un talent sûr et ravissant. Dans les rôles plus confidentiels mais sans aucun accroc, la sulfureuse Jaël Azzaretti nous ravit à chaque intervention, Jenifer Borghi est hiératique et puissante en Junon, Alain Buet incarne une jalousie perfide et noire et l'interprétation de Romain Champion se révèle ravissante et raffinée. Les lumières des lustres centenaires de la salle Gabriel firent éclater en mille feux d'or les stucs et les colonnes. Mais pendant que les pas s'affairaient sur le marbre et l'écho fantomatique des pas dans les anciens vestibules, le cœur portait avec lui la blessure de Déjanire. Les plaies d'Hercule qui le rendirent immortel sont le témoignage perpétuel de la gloire, nul n'a les faveurs de Fortune sans un sacrifice, nul n'arrive au sommet indemne. La cour et les grilles étalaient leurs dorures fallacieuses, et dans les lèvres et la pensée se posèrent les vers de Victor Hugo : ”Quel bruit terrible font au crépuscule, les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule”.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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