Rechercher
- Newsletter
-
Qui sommes-nous ?
-
Espace Presse - FAQ
-
Contacts -
Liens
- |
mise à jour 20 janvier 2014
| Chronique Concert Charpentier, Médée Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm mise en scène Pierre Audi
Médée – Charpentier © Ruth Walz Médée
Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue (1693)
Pierre
Audi mise en scène
Michèle Losier Médée, La Gloire
Le
Concert d’Astrée Emmanuelle Haïm, direction Représentation du 12 octobre 2012, dans le cadre de la trilogie Médée. « Le ciel s’arme de feux » Près de 20 ans après les mémorables représentations à l’Opéra Comique mises en scène par Jean-Marie Villégier, revoici cette tragédie lyrique, unique œuvre du genre de Charpentier (si l’on exclut la tragédie biblique du David & Jonathas destiné à être couplée avec une pièce de théâtre), au livret puissant et ravageur de Thomas Corneille. La complexité du langage, notamment des récitatifs, les nombreux changements de tons, la forte présence de l’orchestre, les accents italianisants (et la scène de l’Amour en italien), surprirent les contemporains, prompts à la controverse. Les lullystes cherchèrent querelle, défendant le leg du Surintendant, et sa manière plus épurée, plus stylisée de s’exprimer. Pourtant, à la réflexion, et en dépit de son style sombre et psychologiquement plus profond, ce Charpentier s’inscrit fondamentalement dans les canons de la Tragédie lyrique lullyste, reprenant son fastueux Prologue de propagande, ses 5 actes ponctués de divertissements, sans compter la fameuse séquence infernale ou même une grande scène de déploration se mesurant à celles d’Alceste.
Médée – Charpentier © Ruth Walz Hélas, pour mettre en scène cette intrigue mythologique sanglante, où l’Amour excessif mais touchant de Médée se heurte à la médiocrité calculatrice des autres protagonistes, Pierre Audi s’est adjoint les services de Jonathan Meese. L’artiste, qui se voit confier la scénographie - célèbre pour sa confrontation alcoolisée de 2006 à la Tate Modern avec Adolf Hitler, Jimmy Hendrix ou le marquis de Sade sur un ring de boxe – décrit lui-même son désintérêt pour le mythe et ses sources, et nous avouons notre incompréhension totale devant ses créations colorées et provocatrices. Ainsi, pourquoi introduire des croix de fer géantes lors des célébrations guerrières du premier acte qui sont selon Meese des "miroirs" qui absorbent et renvoient ce que souhaite le spectateur, mais constituent surtout une très - trop - facile référence au militarisme prussien ou au nazisme ? Pourquoi ces lingots d'or géants qui servent de bancs et d'éléments de décors insistant encore une fois de manière lourde sur l'avidité des hommes de pouvoir ? On ne mentionnera pas même le rideau de scène orné d'un visage féminin, rappelant la bouche et les yeux de Claudia Schiffer et dont le motif récurrent parsèmera le fond de décor ou le sol. Enfin, nous demeurons sceptiques quant à la photographie géante de la scène infernale : un postérieur moulé dans un caleçon blanc sur lequel figure le mot "cuisine", et qui sans doute, doit illustrer une antre diabolique... Pourtant, à compter de l'acte III, l'on retrouve la patte épurée et abstraite de Pierre Audi, son sens de la couleur et des symboles, conduisant le drame avec intelligence et tension jusqu'au puissant final où Médée s'enfuie dans les air après avoir semé la mort autour d'elle (cf. photo supra). On admire l'économie des moyens, inversement proportionnelle à leur efficacité, une fois la pollution des gadgets postindustriels de Meese évacuée. Ainsi, l'assassinat de la Princesse Creuse, agonisant dans sa robe empoisonnée, donne lieu à un tableau saisissant : appuyée contre une cloison autrefois dorée mais désormais blafarde, la jolie blonde pantelante, sanglée dans un robe verte, laisse échapper un sang violet qui tâche les murs, inonde ses mains. La vision est forte, dure, en même temps très sophistiquée et raffinée dans son jeu de couleurs. On passera sur les chorégraphies fluides de Kim Brandstrup, élégantes et convenues.
Médée – Charpentier © Ruth Walz Dans la fosse, Emmanuelle Haïm conduit le Concert d'Astrée avec vigueur, dressant le cadre épique d'une tragédie que son énergie modernise. Le Chœur en particulier, équilibré et enthousiaste, s'avère tout à fait remarquable. Des coupes judicieuses (reprise de l'ouverture omise, parties de divertissements, récitatifs) resserrent l'action, compriment le temps, insèrent un sentiment d'urgence et de passion que les sonorités moirées mais sombres et compactes de l'orchestre renforcent. Le prologue expédié, Emmanuelle Haïm se concentre sur les ambitions des personnages, très caractérisés. Le Créon de Laurent Naouri, superbement déclamatoire, au timbre charmeur et puissant, infiniment juste dans sa difficile scène de folie, en un mot très "Christie" et politicien calculateur, paraît ainsi décalé par rapport à ses alter ego, ce qu'on regrettera un peu. En effet, le Jason d'Anders Dahlin, puissant mais aux aigus un peu tendus, de même que l'incandescente Médée de Michèle Losier adoptent un style plus direct voire brutal préférant à un récitatif compréhensif et scandé, respectant scrupuleusement la prosodie mais parfois un peu monotone, le primat du chant. Cela est flagrant pour la Médée parfois quasi-wagnerienne de Michèle Losier flamboyante et tumultueuse, aux aigus acides, à la projection puissante. Peu compréhensible dans les dialogues, impériale dans la scène infernale "Noires filles du Styx", cependant touchante et blessée dans le fameux "Quel prix de mon Amour", la soprano va encore plus loin que Lorraine Hunt dans son incarnation d'une femme amoureuse et instable. Enfin, la Créuse de Sophie Karthauser, au chant sensible et délicat, a dénoté une fraîcheur d'abord naïve pour acquérir au gré du drame de plus en plus de profondeur jusqu'à son trépas au milieu d'un palais en flammes, perdant pouvoir, père et amour. Et l'on retiendra de cette Médée sa superbe scène finale, fascinante dans son horreur, et qui hantera encore pendant bien des nuits les spectateurs sous le choc.
VENDREDI 12 OCTOBRE 19 HEURES 30 Coproduction Théâtre des Champs-Elysées / Opéra de Lille
|
Affichage minimum recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
|