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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert "La Belle Dame", Hommage à Francine Lancelot Les Fêtes Galantes, dir. Béatrice Massin
© Luc Barrovecchio "La Belle Dame" Hommage à Francine Lancelot
Musiques de Lully, Rameau, Rebel
Recréation des chorégraphies : Béatrice Massin
Compagnie Fêtes galantes
17 mai 2011, Opéra Comique, Paris "Nous pouvons dire à la gloire de notre Nation, qu’elle a le véritable goût de la belle danse" (Pierre Rameau, Le maître à danser, 1748) Le goût français pour la "fille de l'harmonie" s’est pleinement illustré mardi à l’Opéra Comique, par une Belle Dame en forme d’hommage double, à la Danse baroque et à Francine Lancelot. Installée dans le décor unique et somptueux d’Atys, le spectacle de Béatrice Massin et de la Compagnie des Fêtes Galantes s’émancipe de l’art totalisant de l’opéra, Terpsichore "inventée pour le plaisir" seule en scène dévoilant ses charmes à un public conquis et acquis d’avance. Hommage donc, à la danse baroque – et c’est bien la danse pour elle-même qui s’expose, sans prétextes narratifs : nous sommes conviés à apprécier l’art pour l’art, dans une forme de pure admiration pour le geste, le rythme, le contretemps, l’accord sans pathos des corps et de la musique, et la retenue pleine d’élégance – mais non dépourvue d’humour- qui caractérise la gestuelle baroque. Hommage aussi à Francine Lancelot, décédée en 2003, qui fonda la compagnie Ris et danceries, contribua à faire (re)découvrir la danse baroque, forma Béatrice Massin, écrivit La Belle Danse, catalogue raisonné aujourd’hui ouvrage de référence sur les chorégraphies et les pas baroques… et composa la chorégraphie d’Atys en 1987, chorégraphie qu’a rebâtie Béatrice Massin elle-même pour la reprise de l’opéra qui vient juste de défrayer la chronique. Cette boucle historique semble s’achever sur scène, où s’entremêlent chorégraphies personnelles de la Belle Dame (comme La Gavotte et ses doubles ou Les Caractères de la danse), et belles danses issues principalement des chorégraphies de Feuillet et Pécour, aussi bien de bal (Le Passepied de Pécour, ou La Matelotte de Feuillet) que de théâtre (avec Le Rigaudon des vaisseaux de Pécour).
D.R. Le spectacle s’ouvre donc dans le décor d’Atys, mais les costumes aux couleurs vives de Patrice Cauchetier tranchent avec ceux qu'ils a également conçu pour l'opéra du Roy, plus monochromes. Ici, les justaucorps et robes apportent une note de gaité et de fantaisie, affirmant d’emblée la nuance de ton qui sépare la tragédie lyrique (et Atys compte parmi les plus funestes) de la légèreté des danses festives. Les entrées en scène, souvent courues, contribuent à élaborer au fil des chorégraphies un rythme enlevé : les danseurs donnent l’impression d’être dans la hâte d’exposer leurs talents, rappelant ainsi que l’âge baroque est aussi celui de l’art la mise en scène – ici, de soi-même, de son propre corps et de sa maîtrise technique, proposé à l’admiration des spectateurs. La bande-son qui vient régulièrement interrompre l’enchaînement des danses introduit également une forme de regard distancié porté sur le spectacle : des voix et des rires s’entremêlent, dont la nature fait hésiter entre un enregistrement de répétitions – et c’est l’arrière-scène et la conception du spectacle qui s’affichent alors sous nos yeux, resituant en une forme de mise en abyme la théâtralité dans son caractère fictionnel -, et une imitation d’un second public, virtuel celui-là, peut-être celui de la Cour ? – mimesis nous replongeant dans l’atmosphère des spectacles du Grand Siècle, animés de part et d’autre de la scène… Les danses à deux, comme celle de la Sarabande de Tancrède de Campra, jouent d’ailleurs sur la peinture de cette sociabilité particulière et élaborent une vision dynamique des rapports entre les danseurs, qui par la gestuelle baroque se rapprochent, s’éloignent, puis se retrouvent, dans des évocations presque romanesques incitant l’imagination à broder des canevas narratifs autour des personnages. Les jeux de regard, suggestifs, contribuent à structurer l’espace, de même que les lentes déambulations qui laissent admirer au passage le chatoiement des tissus. A ces duos répondent en alternance des solos parfois virtuoses comme celui, remarquable, de La gavotte et ses doubles de Rameau, dont le clavecin au rythme rapide et aux temps forts marqués a permis à Francine Lancelot de livrer une chorégraphie complexe, emplie d’équilibres aériens sur demi pointes et de tours en l’air plus athlétiques. La danse semble véritablement ici exprimer les sentiments musicaux, les interpréter, dans une pureté formelle dégagée de toute intention narrative.
D.R. Les danseurs des Fêtes Galantes se jouent des difficultés techniques et sont remarquablement expressifs, particulièrement dans la Passacaille d’Armide, aux attaques nettes et vigoureuses soulignées à dessein par l’orchestre ; la tension interne de la célèbre passacaille, traversée par une double impulsion d’étirement élégiaque et d’empreintes rythmiques plus marquées nées de la furor d’Armide, est parfaitement rendue par la conjonction de pas presque valsés et de petits sauts, dont l’interprétation des danseurs rend à souhait l’ambivalence émotionnelle. D’autres pièces sont plus légères, comme celle de la Gigue d’Alcide de Marais, aux percussions presque africaines ; les mouvements des bras évoquent ici des gestes d’escrimeur, et rappellent que la danse baroque a également des origines martiales… La chorégraphie de la Matelotte de Marais quant à elle n’hésite pas à jouer sur des gestuelles plus désarticulées, en opposition avec l’harmonie visuelle et la perfection esthétique qui se dégage des premières pièces : imitant l’ivresse, la danse se fait ici plus populaire et introduit un registre comique qui s’immisce dans la dernière partie du spectacle. Ainsi, à la noble passacaille de Persée, succède une Chaconne d’Arlequin digne de la Comedia del arte, la danseuse esquissant à son tour des gestes d’escrimeur de façon quelque peu caricaturale, n’hésitant pas à introduire une forme de second degré. La dernière chorégraphie, de Francine Lancelot sur Les caractères de la danse de Rebel, illustre une dernière fois l’adéquation entre la danse et la musique, les mouvements de l’une exprimant les humeurs de l’autre ; la coordination des danseurs est parfaite, et, tout en évoquant presque les mécaniques des automates de l’époque, replace à nouveau la galanterie des relations entre les hommes et les femmes au cœur d’échanges dansés qui jouent de la distance (proche mais sans contact direct), de la symétrie, du jeu amoureux et des codes sociaux pour évoquer dans une forme de marivaudage élégant plus qu’une esthétique : une vision des relations humaines. C’est donc à un spectacle "pour le plaisir" que nous ont conviés les Fêtes galantes, plaisir de l’évocation d’une époque et de ses valeurs, plaisir de la danse bien sûr, mais aussi plaisir de la réflexion qui s’élabore au fil du spectacle sur les divers aspects de la danse baroque – du registre noble au registre plus comique et populaire, des solos expressifs aux duos galants, de la théâtralité et du mime à l’intériorité… Un bel hommage à Francine Lancelot, qui vient clore symboliquement le Cycle Atys tant attendu à l’Opéra Comique, et démontre une nouvelle fois la vitalité de chorégraphies qui ne demandent qu’à être dansées et appréciées pour elles-mêmes.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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