Rechercher Newsletter  - Qui sommes-nous ? - Espace Presse - FAQ - Contacts - Liens -   - Bookmark and Share

 

mise à jour

6 janvier 2014

Editorial

Brèves

Numéro du mois

Agenda

Critiques CDs

Critiques concerts

Interviews

Chroniques 

Tribune

Articles & Essais

Documents

Partitions

Bibliographie

Glossaire

Quizz

 

 

Chronique Concert

Antoine Boesset & Jacques de Belleville,

Le Ballet des Fées des Forêts de Saint-Germain
Le Shlemil Théâtre,

Les Pages & les Symphonistes du CMBV,

dir. Olivier Schneebeli

 

 

Rabel Daniel (1578-1637), Ballet des Fées des Forêts de Saint Germain
Ancienne collection Mariette; cabinet du roi
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage

 
Les Fées des Forests de S. Germain,
Ballet Dansé par Sa Majesté – Salle du Louvre, le 11e jour de février 1625

Récits vocaux d’Antoine BOESSET (1587-1643)
Entrée instrumentales attribuables à Jacques de MONTMORENCY DE BELLEVILLE (mort après 1637)
Musiques additionnelles de Louis CONTANTIN (1585-1657), Michael PRAETORIUS (1571-1621), Robert II BALLARD (1575-1649)

Jean-François Novelli, taille

Les Pages du CMBV :
Henri Baguenier, Adèle Huber, Samuel Menant, Romain Mairesse, Alix de la Motte, Hugo Vincent
 
Les Symphonistes du CMBV :
Benjamin Chénier (dessus de violon), Léonor de Récondo (haute-contre de violon), Charles Etienne Marchand (taille de violon), Jean-Luc Thonnerieux (quinte de violon), Steina Stefansdottir (basse de violon), Sylvia Abramowicz (viole de gambe), Claire Antonini, Manuel de Grange, Miguel Henry (luths), Maud Caille (flûtes à bec et cornets), Elsa Franck (flûtes à bec et hautbois), Jérémie Papasergio (basson, serpent et flûtes à bec), David Joigneaux (percussions), Fabien Armengaud (clavecin)
Compagnie Le Shlemil Théâtre : Simone Benedetti, Pedro Guerra, Liz Braga Guimaraes, Rocco Leflem, Ghislain Ramage, Caroline Siméon, Jean-Claude Welche

Direction musicale : Olivier Schneebeli
Ecriture et mise en scène : Cécile Roussat et Julien Lubek
Scénographie : Cécile Roussat, Julien Lubek et Élodie Monet
Réalisation des décors et accessoires : Antoine Milian
Costumes : Sylvie Skinazi
Lumières : Julien Lubek et Grégory Hagège
Maquillage : Georgia Neveu

Samedi 10 novembre 2012, Opéra royal de Versailles

horizontal rule

"Amour ravy de vos attraits si chers aux Dieux,

A guidé nos pas pour voir vos beaux yeux.

Et pour ranger dessous vos loix

Nos luths et nos voix.

Que le Ciel n’en soit jaloux,

Nos cœurs sont à vous."

A. Boesset – Récit pour les Musiciens de campagne

19h55, un samedi, à l’Opéra royal. Ce soir, l’affiche promet d’attirer les foules ! Le Ballet des Fées des Forests de Saint Germain, écrit pour le Carnaval de l’année 1625, sera rejoué pour la première fois depuis le XVIIème siècle. Mais pour l’heure, les sièges vides sont encore plus nombreux que les pavés de la cour d’honneur…

20h10, un samedi soir de spectacle, à l’Opéra royal. Le parterre est comble à présent ! Mais les balcons et l’amphithéâtre sont quant à eux encore clairsemés. Au compte-goutte, d’élégants spectateurs s’y installent, sans se presser…  derrière le rideau, les instruments s’éveillent, s’accordent, disent qu’ils sont prêts à jouer, mais attendent encore, pour les derniers retardataires.

20h15 passé. L’obscurité se fait, suivie d’un silence habité de curiosité. Le spectacle commence…

Mais est-ce aux artistes de se régler suivant les occupations du public et d’exprimer leur art sur commande ? Sont-ils à notre service, que l’on puisse se permettre d’arriver avec autant de retard et de s’installer posément, comme si l’on était attendu ? Bon nombre de nos contemporains feraient bien de retenir qu’un concert annoncé à 20h est supposé pouvoir commencer à cette heure et qu’ils doivent en conséquence anticiper leur installation. Ce, pour le plus grand agrément de tous et le respect des artistes.

Rabel Daniel (1578-1637), Ballet des Fées des Forêts de Saint Germain
Ancienne collection Mariette; cabinet du roi
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage

Cette page d’indignation tournée, entrons à présent dans le vif d’un sujet qui ne manque pas d’intérêt. Antoine Boesset fut en son temps un des musiciens les plus réputés à la Cour, parmi les favoris de Louis XIII. Il succéda en 1622 à son beau-père Guédron pour la charge de Surintendant de la Musique du Roy ; sa renommée naquit de plusieurs ballets de cour auxquels il collabora, ainsi que des nombreux livres d’Airs de cour et de quelques motets qui nous parvinrent. Il est ici l’auteur des six récits que comporte le Ballet des Fées. Arrêtons-nous un instant sur l’origine de ce ballet et sur le long et minutieux travail réalisé par les chercheurs du CMBV pour lui permettre de revivre, trois siècles après sa création.

La première moitié du XVIIème siècle français fut marquée par l’âge d’or du ballet de cour. Genre pluridisciplinaire, désigné comme "spectacle total", il se fait le  "miroir d’une société aristocratique qui met en scène  (…) ses préoccupations politiques"1. Chaque année se tenait le Carnaval, précédant l’entrée en Carême, et il était d’usage qu’un ballet nouveau fût présenté pour l’occasion ; ballet auquel la noblesse participait, ainsi que le roi en personne, en tant que danseur. C’était pour lui le moment d’imprimer dans l’esprit de ses sujets l’image d’une royauté puissante, mécène de la création artistique. La fine fleur des maîtres en musique, danse, poésie, arts plastiques et techniques (pyrotechniques notamment) confrontaient leurs savoirs et unissaient leurs compétences, aspirant à une  "harmonie universelle" qui illustrerait dans les arts une politique juste et efficace. Deux visées étaient donc présentes dans la conception du Ballet du roi. Les lecteurs qui souhaiteraient approfondir l’utilisation et les fins politiques du ballet de cour trouveront une explication précise et fort bien renseignée dans le récent ouvrage publié par le CERS et le CMBV (ed. Thomas Leconte). Les travaux de reconstitution de l’œuvre, musicale et scénique, y sont également détaillés. Retenons simplement pour notre affaire qu’à côté des desseins stratégiques sous-jacents, les ballets de cour manifestaient également une recherche du plaisir des sens et du simple émerveillement.

Rabel Daniel (1578-1637), Ballet des Fées des Forêts de Saint Germain
Ancienne collection Mariette; cabinet du roi
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage

C’est sans aucun doute sur ce dernier point que Cécile Roussat et Julien Lubek réussirent le mieux à gagner le spectateur. L’émerveillement. Avec le secours de Sylvie Skinazi pour les costumes, et celui d’Antoine Milian pour les décors, ils transformèrent la scène de l’Opéra royal en un lieu enchanteur et féerique, fait de verdures arborescentes, de satins chatoyants et d’homme-animaux fascinants. L’histoire débute au milieu des années soixante, alors qu’un couple de jeunes doctes, armés d’un guide explicatif, explore le parc du château de Versailles. Leur fils Louis les suit distraitement, garçon curieux et rêveur. Celui-ci croise le regard d’un intrigant jardinier, que ses parents ne semblent pas voir…  soudain tout bascule lorsque Louis clame haut et fort que les fées existent, pour de vrai ! Sa foi permet alors l’avènement d’un univers caché aux incrédules. Au son de la "Pavane pour le mariage du roy Louis XIII", des mains, des jambes et des têtes naissent et meurent avec grâce du portique de feuillage central. Disposés en fond de scène derrière des arcades de frondaison, les musiciens participent à l’établissement de ce monde plein de poésie. Les archets et le clavecin côté cour, les vents et les luths côté jardin. Du fait de cette disposition éclatée et lointaine, la musique demeurera discrète, dans des nuances pastelles. Le Prologue, sorte de course-poursuite entre Louis et les fées, manquât de générosité de son, d’ampleur et de faste, en dépit de l’engagement des artistes ; c’était comme si on avait encore un pied dans le monde réel…

Cinq entrées (ou minis ballets indépendants du point de vue de la narration) se sont ensuite succédé, chacune étant l’allégorie d’un art nobiliaire, mais sous le vocable de l’autodérision. Toutes cependant révélèrent un bel équilibre d’humour enfantin, d’inventivité et de poésie. Chaque nouvelle scène était introduite par un personnage étrange, sorte de mage-musicien incarné par Jean-Claude Welche qui exposait les thèmes musicaux au moyen d’instruments aussi insolites qu’un cor des Alpes, qu’une scie-violon ou qu’un arrosoir-trompette…

Rabel Daniel (1578-1637), Ballet des Fées des Forêts de Saint Germain
Ancienne collection Mariette; cabinet du roi
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage

Dans le Ballet de la Musique, les acrobates évoluaient avec grâce sur bande de prairie, entourés de grosses fleurs blanches qu’ils agitaient entre deux pirouettes. Ces fleurs avaient pour bouton une sorte de cloche qui tintait une fois secouée, accompagnant la mélodie des instrumentistes avec un parfait synchronisme. Subterfuge invisible et charmant.

Le Ballet du Jeu fut sans doute le plus cocasse ! Plusieurs actions se superposèrent, de manière parallèle, avec des enjeux et des trames différentes. D’un côté, deux grands singes velus de noir et d’orange jouaient aux cartes sur un talus d’herbe, cherchant à se piéger l’un et l’autre, l’air de rien, pour emporter la partie. Sous ce même talus, roi de pic et dame de cœur filaient le parfait amour. Le somnambulisme de cette dernière servit de prétexte à d’impressionnants tours d’équilibre, Liz Braga Guimaraes et son compagnon défiant toutes les lois de la pesanteur avec une assurance et une solennité déconcertantes. Mais c’est bien le voltigeur de la troupe, Rocco Leflem, qui nous donna la plus grande émotion. Petit singe noir né d’un dé géant, avide de décrocher les fruits suspendus au sommet d’un mât-cocotier. Avec une souplesse féline, il essaya de monter de différentes manières, sans réussir. C’est finalement à la seule force de ses bras qu’il y parvint, avec une vélocité déconcertante, tout en se balançant de droite et de gauche. Et quoi de plus efficace, une fois le butin décroché, que de descendre, tête en bas, le gros fruit entre les mains, en n’arrêtant la chute libre qu’à quelques centimètres du sol ?

Tout du long de cette périlleuse cueillette, comme au cours de la partie de cartes, les musiciens n’eurent de cesse de suivre et de soutenir l’action, pour en accroître l’effet sur les spectateurs en émoi. L’instrumentation des pièces variait selon leur caractère ; les vents eurent souvent la responsabilité du burlesque qui servit de tremplin à leur virtuose dextérité. Poly-instrumentistes, ils rivalisaient avec un esprit débonnaire d’audace et d’inventivité, s’encourageant les uns les autres à travers des diminutions subtiles et euphorisantes.

Avec le Troisième Ballet, nous entrons dans le domaine de "la Fée des Estropiez de Cervelle", des "Eperculates" et des "Demy-Foux"… le plus surprenant est donc à venir ! On prépare un banquet ; les jongleurs dressent la table en faisant allègrement valser la vaisselle, sans rien casser… de jeunes Pages entonnent l’un après l’autre "Une jeune fillette", lorsque l’on soulève la cloche qui leur recouvre la tête. Plus loin, on rencontre un laquais ivre. Monté sur une corde un peu distendue, il tente de boire à la bouteille qu’il tient en mains, tout en restant sur son fil. Numéro d’équilibre délicat, réussi avec brio. Les jambes fébriles et branlantes, notre ivrogne ne s’en fut pas moins déambuler sur un pied ou avec les mains, d’avancer et de reculer, simulant dans sa danse des pertes d’équilibre rétabli in extremis, pour la plus heureuse frayeur du public !

Rabel Daniel (1578-1637), Ballet des Fées des Forêts de Saint Germain
Ancienne collection Mariette; cabinet du roi
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi / Thierry Le Mage

Le Ballet de la Guerre marqua une nouvelle avancée dans un univers en apparence de plus en plus déstructuré et loufoque, mais aux charmes toujours plus prenants. Il permit notamment à Jean-François Novelli d’exprimer ses grands talents d’acteur, en incarnant un capitaine boiteux, désespéré par sa petite troupe composée de soldats de fortune dont l’un perdit la tête en saluant… Comédien dans l’âme, sachant par l’art oratoire à toucher son auditeur, Jean-François Novelli se fit davantage entendre par ses gestes que par sa voix. Etait-ce dû à l’éloignement du public de la scène ? Les paroles du chanteur ne parvenaient clairement à nos oreilles, et c’est bien sa gestuelle éloquente et ses mimiques expressives qui nous rendirent le texte intelligible.

Quand entra la Fée de la Danse pour le ballet final, la Poésie retrouva pleinement son expression la plus touchante. Les teintes se firent plus douces et caressantes, l’atmosphère plus intime. Plusieurs tableaux d’une grande sensualité se succédèrent. Dans le premier, un jeune page paré tel la banche statut d’un roi chanta du haut d’une boule-mappemonde, tout en la faisant rouler sous ses pieds. Sa voix était si parfaitement droite et posée, ses mouvements si gracieux et mesurés que nous n’avons pu qu’être charmée par sa candide assurance et, déjà, une profonde expressivité musicale. Il réapparut peu après, entouré de ses compagnons, ainsi que de Cécile Roussat qui, vêtue de légers voiles blancs, fit quelques pas silencieux, dansant avec l’espace et la musique. Vinrent enfin les brumes qui précèdent le réveil. Ghislain Ramage resta seul sur scène, avec son cerceau. Etiré comme une étoile, il dansa, et entraina avec lui ce grand cercle suivant des rythmes envoûtants. Exercice physique, l’acrobate en fit une œuvre d’art, reposant sur une maitrise sans faille du corps et de son équilibre, et offrant de la beauté même quand l’artiste reprend son souffle.

Louis est revenu, le fruit de ses rencontres féériques entre les mains. Il croise le regard de l’acrobate. Celui-ci se retire, discrètement, comme venu de rien. Le rêve prend fin et semble se dissiper, malgré des yeux humides qui tentent de le retenir…

Courrez ! Courez donc mes amis, tendez les mains vers ce précieux don qui nous est fait ! Celui de renouer avec la puissance de l’imaginaire, de se laisser toucher par des choses simples mais belles, d’accueillir l’inattendu et l’improbable et de passer du rire aux larmes avec un plaisir toujours vif. La direction engagée d’Olivier Schneebeli ainsi que l’affection manifeste qui unit les musiciens entre eux et aux autres artistes permirent ce soir de vivre une aventure commune, rare par sa qualité artistique et sa portée humaine. Il ne manqua que les bougies…

Isaure d'Audeville

 

Le site officiel du CMBV : www.cmbv.fr

Site officiel de Château de Versailles Spectacles : www.chateauversailles-spectacles.fr

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

Muse Baroque, le magazine de la musique baroque

tous droits réservés, 2003-2014