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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Bach, Passion selon Saint-Jean

Amsterdam Baroque Orchestra & Choir, dir. Ton Koopman

Jean-Sébastien Bach

 

Passion selon Saint-Jean

(Passio Secundum Johannem BWV 245)

 

Marlis Petersen (soprano)

Maarten Engeltjes (contre-ténor)

Tilman Lichdi (ténor)

Klaus Mertens (basse)

 

The Amsterdam Baroque Orchestra & Choir

Ton Koopman

 

Vendredi 22 avril 2011 - Théâtre des Champs-Elysées, Paris

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Un Paris Pascal

Cela vous surprendra peut-être, mais quand on se presse un vendredi saint au Théâtre des Champs-Elysées, ce n’est pas pour y peindre des œufs de Pâques. D’une, la salle est un peu grande pour en faire un atelier convivial, de deux, le poulailler y a quand même bien perdu en fertilité. Non, si l’on se présente Avenue Montaigne ce 22 avril, c’est pour écouter la Passion selon Saint-Jean, que Bach avait créé un vendredi saint, il y a 287 ans (au vu des inondations marketing de type "année Mozart", n'est-il pas salvateur d'évoquer quand on le peut les anniversaires absolument pas ronds ?).

Ton Koopman est accompagné de son Amsterdam Baroque Orchestra and Choir et d’un quatuor de solistes renommés. Pas toujours adulé en France, le musicien Néerlandais est tout de même un grand spécialiste du cantor de Leipzig - dont il a interprété à peu près toute l'œuvre qui se puisse interpréter pour peu que l'on soit à la fois chef d'orchestre, claveciniste et organiste. Tout laisse donc augurer une belle soirée musicale - y compris un petit détail a priori gênant, en l’occurrence un genou douloureux et coincé contre la rambarde. A priori seulement, car enfin, si le corps du Christ habite symboliquement un morceau d'hostie, quoi de plus idéal pour partager son chemin de croix que de sentir une petite épine dans son attention ? Mettant fin à cette brillante interrogation, les musiciens entrent en scène.

D’emblée, l’œuvre nous emporte par cette fameuse tension entre les cordes et le hautbois, superbement bien rendue dans le cas présent. La progression harmonique, accompagnée par un crescendo bien maîtrisé entraîne l’auditeur vers le lapidaire "Herr, Herr, Unser Herr" aussi implacablement que le retrait du sable vers une belle vague à marée haute. Le chœur est bien équilibré entre chair et transparence, enchaînant brèves, longues, contemplations et cascades sans jamais perdre en clarté. Quel que soit le tempo, il nous procurera à l'oreille un sentiment étrange de satisfaction "physique". La direction de Ton Koopman est visuellement expressive et cohérente avec sa projection sonore. Les tempi utilisés sont plutôt enlevés, sans précipitation. Jamais le chœur ni l'orchestre ne se prendront les pieds dans le tapis contrapuntique, même dans les passages les plus rapides et chargés comme ce fougueux "Jesum vom Nazareth", interprété comme une évidence, malgré la virtuosité de mise. Au niveau instrumental, les cordes tisseront pendant toute la durée de l'œuvre un canevas précis et homogène, chaque geste étant exécuté, accentué ou retenu comme par un seul homme. Quelques (très) légères dissonances ne ternissent absolument pas la prestation globale des vents, dont les mélismes accompagneront chaque air d'une façon si gracieuse et musicale qu'on peut vraiment parler d'enrichissement et non d'ornementation, mettant en lumière l'excellence de la partition.

Les quatre vocalistes pourraient être évoqués de façon collective tant ils ont paru suivre exactement le même credo : de la vie, mais pas d'esbroufe. Beauté et simplicité. La soprano Marlis Petersen a attaqué son premier air avec enthousiasme, et fait oublier quelques faussetés dans les aigus par sa vitalité et la brillance de son timbre. Lors de sa deuxième intervention soliste ("Zerfliesse, mein Herze"), plus intimiste,  les quelques soucis de justesse furent seulement imputables à l'accompagnement des flûtes, sans que cela vienne gâcher le plaisir. Malgré une projection moindre, Maarten Engeltjes (contre-ténor) a livré une belle prestation, d'une grande sobriété, avec un très joli vibrato et des ornements tout en maîtrise. Evangéliste du soir, le ténor Tilman Lichdi a très bien assumé le rôle le plus exposé de l'œuvre en parvenant à nous guider pendant presque deux heures sans jamais lasser : juste ce qu'il faut d'expression, de contrastes et de couleurs pour les récitatifs, force et musicalité pour les airs. Enfin, le très expérimenté Klaus Mertens a paru très à l'aise dans son costume christique, autant dans les airs posés et introspectifs que lors des passages rapides en croches sur une syllabe, sortes de "walking bass" enchaînées avec une grande facilité.

Dernier choral. Après quelques secondes de silence faisant écho à celles, poignantes, qui accompagnaient un peu plus tôt la mort de Jésus, les applaudissements finissent par retentir, timides, puis très intenses, et l'on se dit que Monsieur Bravo a eu une très bonne idée de ne pas nous imposer sa présence ce soir. Vous ne connaissez pas Monsieur Bravo ? Allons, cherchez bien. Au TCE, à Pleyel, au Châtelet et dans toutes les salles de France, c'est ce monsieur qui aime à crier "Bravo !" le premier, dans le petit blanc fragile qui suit la dernière note d'un concert, afin que ses voisins de rangée et, on imagine, sa cavalière du soir, comprennent bien qu'il a été plus bouleversé et plus pénétré que tout le monde par la beauté de l'œuvre, à tel point qu'on se demande si Bach ou Beethoven ne l'ont pas écrite rien que pour lui. C'est toujours le même, et il a le don d'ubiquité. Un jour, peut-être, il s'étouffera dans son "Bravo !". Les éventuels secouristes de la salle auront alors un sérieux cas de conscience.

Mais ne parlons pas plus longtemps des absents. Ce qu'il reste de ce concert, c'est le sentiment d'avoir assisté à un moment de grande musique à échelle humaine ; on peut sans doute imaginer certains airs plus transcendants ou des chœurs plus célestes, des instants de grâce éthérée, mais est-ce vraiment préférable ? Est-ce l'habit idéal pour la Passion selon Saint-Jean ? On en doute fortement après cette très belle soirée qui nous a emmenés tout près de son objet et de son décor, en nous faisant même oublier un mal de genou, ou une mauvaise toux, peut-être, pour d’autres… Et même si le balcon du Théâtre des Champs-Elysées n'a rien de commun avec le Golgotha (sinon les deux dernières syllabes), on en redescend avec l'impression d'avoir voyagé un peu, dans un parfait hommage à Bach, entre qualité et humilité.

Gilles Grohan

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

Site officiel de l'Amsterdam Baroque Orchestra et de Ton Koopman : www.tonkoopman.nl

 

 

 

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