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6 janvier 2014

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Chronique Festival

 

Festival d'Ambronay 2011

 

Samedi 1er octobre

Cloître d'Ambronay © Muse Baroque, 2010

Alors que le globe de feu continue sa course sur l'empyrée au ventre cobalt, une nouvelle journée aux douceurs estivales débuta au pied des arbres de l'Abbatiale, sous leur ombre protectrice le chroniqueur admira les vallons verdoyants des contrées de l'Ain, basses vallées fertiles au limon nourricier, et les collines aussi frisées d'antiques forêts que les troupeaux blancs qui ponctuaient ça et là les collines encore sous la torpeur du matin.

À l'orée de la fraîcheur des bois, juste avant l'heure du déjeuner, une petite pause bien méritée dans la salle à manger où la fenêtre solaire et légère s'ouvrait sur les flancs d'Ambronay et ses tuiles joyeuses, blessées à jamais de l'orangé du crépuscule quotidien.

Mais tandis que durant le déjeuner se poursuit une passionnante conversation avec l'eminent Gilles Cantagrel sur la musique Française et se dessine une interview avec Leonardo García Alarcón, au loin sur la pelouse s'ébranlent les jeux d'enfants et leur rire semble un bon augure des concerts à venir.

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Le NCB à Ambronay © Bertrand Pichène

Chaos et Ordre

 

Giuseppe Brescianello (1690 - 1758)

Sinfonia n°5

Concerto en si majeur

Chaconne en La majeur

 

Jean-Féry Rebel (1666 - 1747)

Les Elemens

 

Jan Dismas Zelenka (1679 - 1745)

Hipocondrie a 7

New Century Baroque

17h – Salle Monteverdi

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Dans la salle Monteverdi, aux murs tapissés des témoignages de restauration de l'abbatiale, le brouhaha des impatiences contenues, faisaient écho aux raccords et retouches des instrumentistes sur scène. Enfin, vêtus de rouge et de noir, de ce contraste vif entre la nature posée et les éléments les plus fougueux, les jeunes silhouettes des membres de New Century Baroque entraient en scène. Et sans attendre, ils attaquèrent la Sinfonia et le concerto en si de Brescianello, avec la brillance et l'ardeur qui nous ont interpellé.

Mais c'est quand les premiers accords de l'étrange Chaos des Élemens de Jean-Féry Rebel a retenti, que nous avons été saisis par le talent et la maitrise indéniable de ce jeune orchestre. Nous tenons à saluer leur respect du style, l'originalité dans l'ornementation, la prosodie instrumentale parfaite et surtout l'entrain des rythmes et des tempi, avec un génie de coloriste dans les cordes, les claviers et les vents. On distingue ainsi le basson incroyable de Zoe Matthews, à la sonorité vive, tempérée mais empreinte d'une puissance exemplaire, la tenue élégante et précise du violon de Raphaëlle Pacault, l'entrain de Naomi Burell, la délicatesse à l'hautbois de Philip Wagner, le clavecin alerte et omniprésent de  Matias Häkkinen, pour ne citer qu'eux. Si, durant la trop étrange Hipocondrie à 7 de Zelenka aux tempi extrêmes, nous avons remarqué quelques problèmes de justesse au niveau des cordes, la température de la salle est souvent cruelle pour les fragiles cordes en boyau, et c'est avec audace que les difficultés redoutables de ce morceau furent surmontées. Après un remarquable retour vers Giuseppe Brescianello, nous fûmes gâtés par un bis du tambourin des Élemens.

 

La recherche dans le programme, la maîtrise de la technique et du style, le caractère affirmé et unique de chaque interprète et la cohérence de la restitution commune laissent présager un ensemble promis à de grandes productions et à l'avenir aussi vif et lumineux que le fier soleil qui se refuse à céder aux premiers frimas de l'automne.

Sorti par le cloître ensoleillé, entre les ombres qu'en mille jeux d'estampes l'empyrée se plaisait à décorer la pierre alentours, le chroniqueur s'attarda un instant pour respirer l'air parfumé de la promesse de fraîcheur que l'octobre imminent soufflait sous les piliers. Le chaos de l'été allait survivre encore. L'avenir des feuilles moirées de rouge n'avait pas encore tranché leur altitude pour la chute gracieuse sur le tapis d'émeraude.

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Il Diluvio Universale © Bertrand Pichène

Michelangelo Falvetti

 

Il Diluvio Universale

 

Fernando Guimaraes – Noé

Mariana Flores – Rad

Matteo Bellotto - Dio

Evelyn Ramirez – La Giustizia Divina

Caroline Weynants – L'Aere e l'Humana Natura

Magali Arnault – L'Acqua

Thibaut Lenaerts – Il Fuoco

Benoît Giaux – La Terra

 

Percussions – Keyvan Chemirani

 

Choeur de Chambre de Namur

La Cappella Mediterranea

Direction Leonardo García Alarcón.

 

Samedi 1er octobre 2011, abbatiale d’Ambronay

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Dès la sortie de table du catering des artistes, on pouvait sentir l'attente. Une atmosphère d'événement, de privilège et d'extase contenue. Les dernières lumières du soleil, aux accords carmins, caressaient avec leurs ombres spectrales la silhouette de l'abbatiale. La foule se massait à l'entrée du cloître, piaffante, impatiente et rieuse, d'une gaieté communicative, d'une allégresse nouvelle.

Et nous avions l'impression, comme l'annonce sublime d'un orage après la canicule, que la foule enthousiaste attendait impatiemment la manne des portées diluviennes aux accents puissants et envoûtants pour désaltérer l'attente du retour de l'extasiante musique de Falvetti à Ambronay. Parurent, alors le hiératique Chœur de Chambre de Namur, puis les solistes, et enfin le maestro Leonardo García Alarcón. Après un instant de recueillement pour rassembler les forces musicales, une invocation, ses mains se levèrent et restèrent en l'air quelques secondes tel le vent silencieux juste avant l'ouragan.

La déclinaison des furies de la nature, des passions humaines et élémentaires ont déchainé leur force émotive ce soir. Si bien des moments tendres, à l'embrasante passion quasi profane ont parcouru le regard et la voix du duo sublime entre Rad et Noé, la fragilité éloquente et évocatrice de la Nature Humaine, sans cesse confrontée à la raillerie de la Mort, et la voix terrible du Maître Universel qui, en ordonnateur de la catastrophe, a fait trembler de mille feux les vieux murs de l'abbatiale.

Il Diluvio Universale de Falvetti, œuvre votive à caractère religieux mais à la prodigieuse sensualité baroque, avec ses nuances passionnées dignes des premières lueurs de l'affect opératique que le très jeune Alessandro Scarlatti explorait l'année de sa création en 1692. Diluvio passionnant et théâtral, accentué par les percussions aux parfums d'islam et de perse de Keyvan Chemirani qui nous transportaient aux confins de l'Histoire, quand la Sicile et Messine étaient des plaques tournantes culturelles. Entre punique et latine, carrefour de Chrétienté et d'Islam, l'île des forges de Vulcain, fait naître tout près de Charybde et Scylla les oranges douces des jardins baroques.

Il faut en quelque sorte vivre le Diluvio Universale, être confronté à cette œuvre dans la chair, sentir la terreur animale de la disparition, l'insignifiance de la nature humaine face aux éléments déchainés dans la beauté de leur barbarie, être envahi par la peur primale de la Mort imminente. Cette sorte d'initiation musicale porte ses fruits, puisque de bout en bout, pris dans le tourbillon superbe de l'équipe artistique, l'assemblée ahurie a été menée jusqu'aux eaux paisibles de l'iris de Paix par un Leonardo García Alarcón transfiguré, avec sa pléiade d'interprètes en Heosphore guidant les mortels sur les flots de l'inconnu.

Le Chœur de Chambre de Namur s’est révélé cohérent, nuancé, superbe dans le dramatisme et à la prosodie prodigieuse. Les parties chorales du Diluvio Universale aux accents cataclysmiques ont été restituées avec fougue, brillance et un réalisme renversant, notamment les chœurs qui accompagnent le déchaînement des éléments “Assorba la terra” et le terrifiant “E chi mi da aita?” aux syllabes tronquées par la noyade et la vacuité du trépas. Et que dire enfin de la poésie émouvante en tous points de la célébration de l'Iris ?

Il Diluvio Universale © Bertrand Pichène

 

Avec une précision exceptionnelle, un engagement sans faille et une sensibilité rares, la Cappella Mediterranea est homogène et brillante dans ce répertoire. Bien plus que cela, les musiciens de cet ensemble jouent non seulement avec les yeux, avec les mains et les bras, mais également avec le cœur, réussissant à faire communier leur incroyable passion avec les battements des spectateurs : chaque note est une élévation, une leçon, une émotion sublime et fragile qui flotte comme un voile sur l'abbatiale envoûtée. Parmi les instrumentistes, on distinguera la harpe cristalline de Marie Bournisnen lançant les premières gouttelettes de la tempête, les sacqueboutes de Fabien Cherrier et Jean-Noël Garnet, coups profonds de la tourmente sur la terre blessée, les violes de gambe de François Joubert et de Margaux Blanchard aux accents sensuels, et bien entendu la passionnante présence du violon alerte de Flavio Losco. Enfin, l'alchimie sensible du rythme de Keyvan Chemirani confère à ce Diluvio Universale sa nature justement “universelle”.

À la tête de cette équipe magnifique, Leonardo García Alarcón, totalement immergé dans cette passionnante partition, sourit de bout en bout, énergique et sensible, parvenant à faire communier le public et à briser la barrière entre la salle et la scène. Leonardo García Alarcón nous offre tout simplement la musique et la rend si humaine, accessible et sensible que nous pouvons dire sans hésiter que le Diluvio Universale de Falvetti nous appartient.

Côté solistes, comment ne pas commencer par la sublime Giustizia Divina de Evelyn Ramirez, contralto profond et velouté chilien ? Dès son intervention intempestive, Evelyn Ramirez au regard de nuit, flammigère comme l'obsidienne sortie des entrailles des volcans, est le miroir redoutable de cette Justice Divine qui brame l'ire divine sur l'humanité. Avec son jeu transfiguré et sa voix nous ne pouvons que regretter que le truchement de partition de cette version ait tronqué son air sublime “l'Universo e mia palestra” disponible sur la captation vidéo de la RTBF.

Membre de la triade féminine qui annoncera avec joie quasi vernaculaire l'arrivée de l'arc-en-ciel, la soprano Magali Arnault, aux aigus cristallins, à la restitution agile et poétique, incarne en soliste le rôle de l'Eau. Extraordinaire coloriste, elle nous apparaît lors de sa réponse à la Justice Divine avec la poésie absolue du livret “Et j'agiterai en furieuses tempêtes, les pelages d'argent”, Magali Arnault réussit à nous faire voir cette Méditerranée telle une lame argentée sous le zénith et la furieuse évocation du déluge.

Incarnant avec lyrisme l'Air, l’une des voix célébrant l'iris et la divinement fragile Nature Humaine, Caroline Weynants se montre renversante de délicatesse et de naturel, que ce soit dans sa confrontation avec la Mort, ses supplications déchirantes au Ciel courroucé ou l'apothéose désespérée du “Apritemi il varco a la morte”. 

Fabián Schofrin, Il Diluvio Universale © Bertrand Pichène

 

Avec une présence incroyable sur scène, d'une sensualité et d'une poésie extraordinaires Mariana Flores est une Rad d'exception. Sa voix est d'une force évocatrice ciselée, nous offrant non seulement la profondeur sentimentale mais aussi la puissance dans l'interprétation, avec la clarté narrative qui caractérise les grandes voix. Mariana Flores, rythme avec ses apparitions dans ce Diluvio la prophétie des éclaircies futures.

À la tête de la distribution masculine, le délicat ténor Fernando Guimaraes incarne un Noé à la fois fragile face à la puissance surdimensionnée des éléments conjurés et d'une puissance vocale qui annonce son rôle de sauveur de l'humanité. D'une intelligence et d'une sensibilité hors norme, Fernando Guimaraes est remarquable dans ses duos avec Mariana Flores, unique dans sa confrontation suppliante face au Dieu redoutable de Matteo Bellotto et poétique à l'extrême dans les ensembles. Fernando Guimaraes, comme nous l'avons dit plusieurs fois dans nos écrits passés, possède la voix idéale pour le répertoire baroque, un ténor suave dans l'émotion, mais d'une puissance nuancée, nous souhaitons l'entendre encore et encore dans bien d'autres partitions qu'il nous restituera avec son génie dramatique.

Dans le rôle macabre et ambigu de la Mort, avec une présence sans égal sur scène, le contre-ténor Fabián Schofrin, affublé du cilice noir et de la faux terrible du Trépas, est incomparable dans sa restitution musicale et théâtrale. Si bien parfois la partition frôle la comédie, notamment dans la magnifique tarentelle “Ho pur vinto”, véritable danse macabre où Fabián Schofrin aux aigus précis et nuancés nous offre une Mort tellement proche de nous que s'en devient effrayant quand on réalise que la fin est toujours proche de la naissance. Saluons donc cet acteur génial, au charisme magnétique, à la musicalité ciselée et d'une générosité scénique passionnante. Fabian Schofrin arrive à surpasser les poncifs sur la Mort, et épouse avec excellence la philosophie baroque d'une mort fatalement humaine et presque rassurante.

Il faut enfin distinguer aussi le Dieu terrible, comminatoire, de Matteo Bellotto aux graves percutants, la poésie de Benoît Giaux et de Thibault Lenaerts membres élémentaires du Chœur de Chambre de Namur qui ont sublimé de leur présence les ensembles.

Après près d'une heure de rappels et 3 bis dont un morceau tout à fait inattendu, “Tutta la vita e burla” du Falstaff de Verdi, la magie du Diluvio Universale flottait de tous ses voiles aquatiques et musicaux dans le ventre fertile de l'abbatiale Tandis que nos pas s'éloignaient vers les arbres gardiens de l'abbatiale, des milliers d'étoiles scintillaient dans l'harmonie des sphères, gages de paix octroyés par le divin dans un arc-en-ciel de diamants et de feu.

Pedro Octavio Diaz

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Vers les autres chroniques d'Ambronay

 

 

 

 

 

9 septembre - 2 octobre 2011 : Festival d'Ambronay "Passion Bach"

 

Le site officiel du Festival : www.ambronay.org/Festivals (programme, réservations...)

 

 

 

 

 

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