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mise à jour 2 janvier 2014
| Chronique Livre Anne-Madeleine Goulet & Laura Naudeix (dir.) La Fabrique des paroles en musique (CMBV / Mardaga, 2012)
Textes
réunis par Anne-Madeleine Goulet & Laura Naudeix
Anne-Madeleine Goulet et Laura
Naudeix :
Contextes Prima le parole Dans le monde de la musique et notamment de l’opéra, il est souvent d’usage de faire passer la musique avant le livret. Les musicologues, souvent aux prises des partitions et de l’esthétique, ne donnent pas l’impression de juger l’importance du livret comme objet d’analyse à part entière. « Prima la musica, poi le parole » diront certains ; mais sans ces « parole » la tragédie lyrique, le madrigal, le motet, l’opéra ne seraient pas. S’il est vrai que le livret peut être d’une qualité esthétique et littéraire inégale, c’est sa nature profonde de vecteur de communication qui demeure intéressante. Dans cette somme, la première qui traite véritablement des livrets en langue française, parallèlement n’oublions pas aux travaux entrepris pas des pionniers tels que Jérôme de la Gorce ou bien Jean-Pierre Néraudau. C’est une belle démonstration que la musicologie peut dialoguer et cohabiter avec l’histoire littéraire et disons le, l’histoire tout court. N’oublions pas non plus les travaux publiés au Presses Universitaires de Vincennes sous la direction de Françoise Decroisette : « Le Livret d’opéra : œuvre littéraire ? » qui donnent un éclairage nouveau sur la nature du genre. Parmi les grands noms qui composent ces mélanges, nous avons lu avec intérêt les articles de Jean Duron, toujours aux prises entre la micro-histoire, la musicologie et l’histoire littéraire. Mais aussi les brillantes conclusions de Georgie Durosoir qui porte un éclairage significatif sur la nature politique et holistique du livret. Catherine Massip et Raphaëlle Legrand nous offrent une vision plus musicologique mais qui traduit cette transformation du raisonnement de cette matière qui veut intégrer le livret comme source. Mais il faut avouer que cet ouvrage nous paraît incomplet, car occultant un aspect fondamental du livret d’opéra. Ainsi, en étant tout à fait franc, l’absence des historiens modernistes dans cette somme est regrettable et révélatrice d’un pan totalement mis à l’écart par l’académisme musical et scientifique, celui de l’opéra comme moyen de communication de masse. Mais, contrairement à ce que certains coryphées du marxisme musicologique pensent, l’opéra était avant tout une affaire d’Etat. Au XVIIème siècle, que se soit à la cour des empereurs Habsbourg, ou celle des rois Louis XIII et Louis XIV ou bien celle de Charles II d’Angleterre, sans parler des princes scandinaves, des Etats Italiens et même des cours Vice-royales américaines, le fait de représentation lyrique, est, par dessus tout, le fait de représentation du prince. L’opéra est écrit, et je parle bien du livret, pour soutenir, communiquer, prévenir de la politique de l’Etat moderne. Cette pratique dont les feux les plus significatifs commencèrent avec le Pomo d’Oro de Cesti en 1667, rejaillirent en France pour la tragédie en musique et s’exportèrent dans le nord avec la guerre célèbre entre Gustave III et Catherine II à coups de livrets parodiques, pour finalement ne se tarir jamais. Le livret était lu, et j’invite tous les sceptiques à admirer au Musée du Louvre dans la grande salle des italiens près de la Porte des Lions, le magnifique tableau de Paninni qui montre la Fête au Teatro Argentina de Rome en l’honneur de la naissance du Dauphin Louis de France en 1747. Rien qu’au premier coup d’œil, pour cette cérémonie on remarque le public lisant le livret de la sérénade que Jommelli dirige du clavecin. Mais aussi j’invite les contradicteurs à visiter la Bibliothèque de l’Opéra de Paris où on peut trouver des éditions « bon marché » des livrets de Lully, Campra, Rameau ou d’autres, vendues avant la représentation. Au delà d’une œuvre littéraire, le livret est une arme politique. La déformation du mythe représenté, l’interprétation de tel ou tel épisode, l’apparition de tel ou tel personnage, tout faisait sens à l’époque. Citons à ce propos Madame de Sévigné dans une lettre à sa fille après la première parisienne de Proserpine de Lully (1681) : « (…) Il y eut une scène entre Mercure et Cérès dont tout le monde a pu saisir le sens (…) » Le livret d’opéra n’est pas qu’une trace esthétique du passé, c’est un fer de lance qu’il ne faut pas admirer comme un silex des temps anciens, mais saisir qu’il porte en lui un message qui peut nous donner une vision de cette société complexe, étonnante qu’était celle de l’époque baroque. Et c’est ce sens là qui pourra nous rendre la musique bien plus profonde, plus sensible et notre plaisir bien plus pérenne.
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