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mise à jour 6 janvier 2014
| Interview "Lorsqu'on vient à l'opéra, on ne vient pas pour des Castafiores qui beuglent en langue étrangère" Rencontre avec Olaf van Radmussen, metteur en scène
Olaf van Radmussen © Olaf van Radmussen / Muse Baroque 2007 Olaf van Radmussen, le grand metteur en scène norvego-hollandais au parfum de scandale, a exceptionnellement consenti à nous accorder un entretien. Le voici donc, ce redoutable enfant de l'art à l'apparence aristocratique et décalée, debout au bord du bastingage chromé de son engin, scrutant de ses yeux myopes mais perçant l'horizon incertain de l'opéra et du théâtre post-contemporain.
Muse Baroque : Bonjour M. van Radmussen et merci d'avoir bien voulu nous accueillir à bord de votre zeppelin privé.
Olaf van Radmussen : You are very welcome.
M.B. : Après un début de carrière fulgurant avec la mise en scène du Songe d'une Nuit d'Eté de Shakespeare au Théâtre municipal de Trondheim, vous vous intéressez aux autres œuvres de cet auteur, mais votre traduction libre d'Hamlet "videregående utdanning fra et land utenfor Norden, og ønsker å få den vurdert i forhold til generell studiekompetanse, kan du sende papirene dine til Samordna opptak" pour le "To Be or Not To Be", soulève une vague de protestation. Et vous vous exilez en Angleterre.
O.v.R. : Non, pas exactement. Ce n'est pas cette traduction osée de Shakespeare qui a provoqué mon départ. Bien sûr, certains ne comprennent rien au néo-constructivisme dissociatif qui m'anime. En recréant Hamlet dans le personnage d'un conseiller d'éducation drogué qui regarde un fjord, j'ai insisté sur le poids des conventions : la noblesse autrefois, la bureaucratie aujourd'hui.
M.B. : Vous êtes donc parti de vous-même à Exeter ?
O.v.R. : Si vous vous souvenez, j'ai étudié la biologie sur l’île de Svalbard. C'est comme cela que je rencontrai mon fidèle ami Sverre Ibsen. Il entretenait à cette époque une liaison douteuse avec la grande actrice Ida Børsende, épouse d'un influent politicien. En 1978, elle accepta de jouer dans Cléopâtre au Tapis, une pièce contemporaine dont j'ai oublié l'auteur, un Belge je crois [Alphonse de Beerk]. Quoiqu'il en soit, à l'acte III, j'avais prévu des voilages, un tracteur et des carrés de savon luminescents, tout cela dans un décor assez traditionnel de latrines publiques romaines. Le contraste, voyez-vous, là est le génie, là est la surprise, la rupture avec le conformisme ambiant si confortable.
M.B. : Ca, c'est Radmussenien !
O.v.R. : Donc, Ida sort du tapis, s'approche de César et débite sa tirade tragique "Bain ou douche". Hélas au moment où elle devait lui passer les menottes, elle a glissé sur un savon, et m'en a tenu personnellement responsable. Pendant une semaine, elle a été la risée de Tromsø et s'est faite étrillée par la presse. Et moi, je me suis fait passé un savon (rires).
M.B. : C'est donc en Angleterre que vous peaufinez votre style très particulier. Quelles en sont les lignes directrices ?
O.v.R. : Cela dépend naturellement de la pièce ou de l'opéra. Je ne suis pas prisonnier d'une recette précise. Je suis libre, dans la mesure où les marques sponsors sont citées.
Ca n'a pas toujours été le cas. Dans les années 80, j'adorait le minimalisme post-moderne. Grands murs unis, peu d'accessoires, gestes hiératiques. La couleur elle-même était un luxe, le chant ou le dialogue un abandon dans la luxure intolérable. Le regard, tout devait passer par le regard, notamment lorsqu'il est dirigé orthogonalement au public. Dans les Troyens de Berlioz, j'avais prévu que les acteurs miment le cheval, en chantant les deux mains en avant comme des sabots. Dans Louise de Charpentier, des figurants avançaient habillés en cheminées pour le célèbre scène des toits de Paris. Quelques fumigènes rendaient la scène d'un réalisme presque soviétique. La Tour Eiffel au loin était représentée par un triangle noir... Mais je n'avais pas pu caser la crème bronzante des laboratoires Bendik Fehne dans les accessoires.
M.B. : Vous avez évolué...
O.v.R. : Oui, je mets toujours la crème bronzante des laboratoires Bendik Fehne depuis, ou alors leur crème de nuit. C'est une question de signature, de leitmotiv. En outre, après mon second mariage avec Lady Bolimbroke, je me suis assagi. L'austérité, tout cela était un peu extrême, trop brechtien, trop élitiste. Ce qui m'intéresse désormais, c'est le paradigme transpositionnel intertemporel.
M.B. : Pouvez-vous développer, pour nos lecteurs ?
O.v.R. : Eh bien, il s'agit de mêler des attitudes, des costumes, des décors provenant d'époques différentes avec une évolution dans l'opéra ou la pièce. Contrairement aux "simples" metteurs en scène, je ne dis pas : "tiens mettons Giulio Cesare de Haendel à la fin du XIXème avec des Anglais en Egypte". Je ne dis pas : "Rinaldo, ce sont des Palestiniens et des Américains". Il faut une progression historique qui accompagne la prise de conscience des personnages dans le drame. Par exemple, dans mon Couronnement de Poppée, on commence dans les années 30-40 avec la montée des fascismes, mais au fur et à mesure, on régresse dans le temps pour finir au XVIIème, c'est-à-dire l'époque de Monteverdi. Je rétablis donc la distance, j'éloigne le regard du spectateur après l'avoir plongé dans des soucis très actuels. Je mets la gravure et la peinture, après la photographie et le film. J'accomplis le rêve de tout enfant qui est de remonter le temps, de brouiller les chronologies. Et ça, c'est nouveau.
M.B. : N'est-ce pas un peu troublant ? Ne perd t-on pas l'unité du spectacle ?
O.v.R. : Non, pas si cela est bien fait. Ainsi, dans Armide de Lully, des abeilles effeuillent l'armure de Renaud pendant le divertissement, et il se retrouve en peignoir Hilda Tesman (100 % coton, ceinture réglable, disponible en six tailles). C'est une renaissance symbolique, qui rappelle mes expérimentations de jeunesse autour du thème de la piscine. Je crois à l'hymne constallatoire, à l'empathie par le pointillisme autoréférentiel. Ca, ce sont des concepts à la portée de tous. Qui n'a pas de piscine aujourd'hui dans sa cuisine ?
M.B. : Effectivement. Comment travaillez vous avec les chanteurs, les musiciens, le reste de l'équipe ?
O.v.R. : Je ne travaille pas avec eux. Je dirige les techniciens, les décorateurs, les costumiers, les éclairagistes. Ensuite, je dis simplement au chef d'orchestre : "vous avez 4 minutes 34 pour cette scène parce qu'ensuite le plafond s'écrase sur la plage et on passe aux Enfers lorsque le sous-marin émerge" [mise en scène d'Hippolyte et Aricie de Rameau, en 1992, au Palazzo Vitti de Turin].
La musique n'est que la bande-son de mes images. Lorsqu'on vient à l'opéra, on ne vient pas pour des Castafiores qui beuglent en langue étrangère, mais pour rêver. Les chanteurs, c'est une plaie. Ils faut les forcer à se rouler par terre, ils refusent toute position acrobatique. Et certains ont même le culot d'émettre des avis sur les costumes !!! Ainsi, Nathalie Fitzwilliam, la soprano australienne, ne voulait pas qu'Alcina apparaisse sur le périphérique vêtue de bouteilles d'eau recyclées roses. J'ai fait pression pour maintenir ma vision artistique, et la production l'a remplacée par Véronica Laticelli. Elle chante moins bien, mais c'est la mise en scène qui importe, le reste, on peut l'avoir en disque chez soi. Quand même, un sous-marin grandeur nature, c'est merveilleux, ça a de la gueule (sic) !
J'ai donc d'excellents rapports avec les gens qui m'environnent. J'ordonne, ils exécutent, un peu comme dans la politique de votre pays, si je ne m'abuse. (rires)
M.B. : Pourquoi confier vos carnets d'esquisses à Muse Baroque ?
O.v.R. : Parce que je dois payer les frais de ma villa en Toscane ! (rires). Non, plus sérieusement, j'adore votre revue, bien évidemment.
M.B. : (gêné) Hum. Passons, si vous le voulez bien, à la question suivante : vous êtes d'origine hollandaise. Cela a t-il une influence sur votre vision des choses ?
O.v.R. : Bien sûr, dans ma jeunesse, je passais mes week-end au Rijkmuseum puis dans le quartier rose et les coffee shops d'Amsterdam. Vous couperez ce passage, naturellement, c'est du off. Entre la lumière dorée de Vermeer, les néons agressifs et les patchworks avec la tête de Bob Marley, on apprend une certaine forme de poésie qu'on appelle le méta-collage contrasté. C'est encore aujourd'hui un principe que j'applique.
M.B. : Olaf van Radmussen, je vous remercie, et je vous prie de transmettre mon bonjour chaleureux à votre ravissante fille Tilda.
L'entretien s'est fait en anglais. Traduction Muse Baroque.
"Je tiens à exprimer mon admiration au Maestro Radmussen, dont la compréhension visionnaire de l'opéra transcende, que dis-je, subsume le paradigme horizontal-vertical traditionnel pour ouvrir un espace pluri-dimensionnel à plusieurs inconnues, dans l'infini duquel la résonnance harmonique ouvre un champ post-néo-inspiratoire à l'heuristique du Temps." (M.K., Lyon)
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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