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mise à jour 6 janvier 2014
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La Chute d'Icare : Grandeur & décadence de Nikolaus Harnoncourt Essai suivi de la comparaison des deux enregistrements des Concertos Brandebourgeois BWV 1046-1051 de J.-S. Bach. Avertissement: Il ne s'agit pas ici d'une biographie de Nikolaus Harnoncourt mais bien d'un essai polémique sur sa "trahison" à l'égard des baroqueux. L'article donc est engagé et argumentatif.
Un pionnier Johann Nikolaus de la Fontaine d'Harnoncourt-Unversagt a été l'un des premiers à s'engager sur la voie de l'interprétation historique. Historique non seulement par l'usage d'instruments d'époques (originaux ou copies) mais aussi par les recherches musicologiques intenses nécessaires à la compréhension de l'oeuvre et à sa recontextualisation. Retrouver la partition la plus fidèle possible, les effectifs de l'époque, la façon de jouer des musiciens d'il y a deux à trois siècle n'est pas une mince affaire et cette démarche fut avant tout une (re)-création. Harnoncourt lui-même est l'un des premiers à en convenir : "J'ai toujours détesté le mot authenticité parce qu'il est dangereux ; la musique de musée ne m'intéresse pas, je n'ai pas l'intention d'organiser des visites guidées de Louis XIV ou Jean-Sébastien Bach !" .
Grandeur & Décadence En 1953, le Concentus Musicus Wien est né. Il nous laisse dès les années 60 des joyaux tels l'Orfeo de Monteverdi, les Brandebourgeois de Bach, du Biber, du Fux, du Schmelzer... Orgie de timbres, vigueur de l'interprétation, sécheresse enflammée, le Concentus imprime sa marque. La décennie suivante voit le début d'un projet pharaonique : l'enregistrement de l'intégrale des cantates de Bach, en association avec le Leonhardt Consort de Gustav Leonhardt. Harnoncourt et Leonhardt deviennent les Castor et Pollux de la musique baroque. Mais, tandis que Leonhardt reste fidèle jusqu'à aujourd'hui à son monde baroque et à l'excellence de ses interprétations, Nikolaus Harnoncourt commence dès les années 80 à dériver vers d'autres répertoires, notamment Mozart. Il n'en oublie pas pour autant le baroque et continue d'étinceler avec Bach, Monteverdi ou Händel. Enfin, avec la chute du mur de Berlin, Harnoncourt choisit son camp : celui du Philharmonique de Vienne, du Royal Concertgebouw Orchestra, du Chamber Orchestra of Europe. C'est le temps de l'intégrale des symphonies de Beethoven et de Mendelssohn. Celui qui avait vilipendé les formations symphoniques dirige à présent le concert du Nouvel An viennois tout en souriant idiotement sur la pochette du DVD.
Dans ce Nouveau Monde, il se met à Dvorak, à Brahms, à Verdi, Bruckner ou encore Schmidt (mort en 1939). (Voir la discographie intégrale d'Harnoncourt sur http://perso.wanadoo.fr/mandarine)
Pourquoi ? La lecture des deux recueils d'articles d'Harnoncourt Le Discours musical (1984) et le Dialogue musical (1985) permet de comprendre sa "trahison", comme William Christie et d'autres chefs le conçoivent. Son entretien avec Jordi Savall en 2000 paru dans Classica (http://classique.abeillemusique.com/dossiers/clasav.php?nomdossier=clasav&rg=3) nous permet également de nous faire une idée de son évolution intellectuelle et de son désir de ne pas rester cantonner au répertoire baroque. Il est vrai que l'approche scientifique voire quasi positiviste des années 60 a laissé la place à de nouveaux principes plus flexibles où la compréhension de l'oeuvre est la clef. Il est également vrai qu'il serait très grave et très dommage que les formations symphoniques cessent de jouer Bach ou Händel, ce qu'elles commencent hélas à faire. Néanmoins, force est de constater que la spécialisation des orchestres baroques leur permet d'être beaucoup plus performants et que cette différence est encore plus flagrante avec les chanteurs, les techniques vocales étant très différentes entre Mozart et Purcell, sans même aller jusqu'à Wagner. Imaginez la différence entre un champion de tennis et un joueur qui devrait s'entraîner en même temps au badmington, au squatch, à la natation et au tennis. Vous avez là l'écart entre un ensemble baroque et un orchestre philharmonique qui doit savoir aussi bien jouer Copland que Lully le lendemain. Vous me direz que certains orchestres baroques sont mauvais. Cela est vrai. Bien entendu, il existe de mauvais orchestres baroques, comme il existe de mauvais philharmoniques. Les instruments et la technique ne font pas tout...
Diagnostic provocateur Le cas Harnoncourt peut se résumer de façon provocante à ceci : un excellent chef baroque (et joueur de viole de gambe) est pris de Mozartite aigue. Le pauvre Amadeus en souffre un peu mais dans l'ensemble, Harnoncourt s'en tire assez bien, notamment en musique religieuse. Bien entendu, il n'a pas beaucoup d'affinités avec les tempi et la Grande Messe est jouée au pas de charge mais bah... Pourquoi pas ? L'ennui est que la qualité du baroque chute en même temps de façon considérable. La Bourse Baroque en tremble. L'indice CMW (Concentus Musicus Wien) perd 13.3 %, les baroqueux revendent leurs actions Harnoncourt/Teldec/Des Alte Werk and Co. sauve qui peut !!! Bach sauve la mise par habitude mais les Concerti Grossi de Händel sont joués avec la finesse de Wagner. On croirait du Dutoit, c'est dire l'étendue du désastre. Felicity Palmer massacre Apollo e Dafne du même Saxon. Pis encore, les sacro-saints brandebourgeois de Bach sont re-enregistrés dans une version Maurice André (cf.infra). Un peu après, rechute grave. Beethoven. Agréable surprise : l'intégrale des symphonies montre une maîtrise et une compréhension insoupçonnées. Puissante et sensible, l'interprétation laisse rêveur et perplexe. Le temps du Concentus Musicus est-il terminé ? Non !!! Ce dernier résiste glorieusement avec des cantates sacrées et les Passion selon Saint Matthieu et Saint Jean de Bach, Saul de Händel, les Vêpres à la Vierge de Monteverdi ou encore la Musique de Table de Telemann. Le seul ennui est qu'Harnoncourt réunit de moins en moins le Concentus et passe son temps à lutiner des compositeurs plus tardifs... Pour finir, considérons de plus près deux moments de la pensée d'Harnoncourt qui coincident avec deux instants cruciaux de sa carrière.
Les Brandebourgeois dans une perspective comparative.
Harnoncourt a enregistré par deux fois les concertos brandebourgeois de Bach. Deux coffrets, deux visions, deux contraires. En 1964, un Concentus Musicus jeune et plein de mordant attaque ces magnifiques concertos du Bach de la Cour de Köthen. Il en ressort une interprétation désormais légendaire emplie d'un irrésistible souffle. Certes, le cor naturel joue un peu faux, les cordes grincent agressivement, mais quelle cohésion, quelle puissance et quelle sensibilité !!! L'émotion est palpable, les interprètes jubilent dans un halo de complicité bonhomme. On croit écouter les Brandebourgeois pour la première fois, même si les tempi sont aujourd'hui un peu pesant, et le phrasé outrageusement haché.
1981/1983. La fin d'un monde. Presque le titre du roman cauchemardesque de Orwell. Le Concentus joue comme une orchestre symphonique qui n'aurait pas tiré les leçons des formidables progrès musicologiques des 10 années précédentes. Seul le nom des musiciens et l'instrumentarium tentent de prouver qu'on a pas vendu le nom de la formation à un vague groupe post-beatles en quête de reconversion. Le son est ample, mou, visqueux. Les musiciens ne s'écoutent pas et les pupitres se brouillent dans une bouillie informe. Seuls les trompettes et cors naturels gardent leur allant d'antan. Cependant, ils semblent presque incongrus dans cet océan de platitude. Cédant à une pulsion étrange, Harnoncourt décide de faire des "vagues", c'est-à-dire d'introduire de subits changements de tempo aux endroits les moins appropriés. En outre, le chef tient à faire des expériences dignes de la mallette du petit chef amusant (vendue en kit chez votre marchand de journaux) : Le résultat est la perte du "dialogue musical" et de la ligne mélodique - tous deux si chers à Bach - au profit d'un contrepoint à quatre sous. "Et si on mettait en première voix la partie de cet instrument-là ?" "Mais Nikolaus, c'est la basse continue !" "Silence, insolent !"
Sic transit gloria mundi. V.L.N. |
Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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