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6 janvier 2014

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Origines et fondements de l'opposition italo-française parmi les musiciens

Eglise du Dôme des Invalides, Paris © Muse Baroque 2006

Au milieu du XVIIème siècle, la France - au début de son ascension dans la vie culturelle européenne - est un pays sans musique ; et quand sa musique va apparaître, elle sera sous la domination d’un Italien ; tout est là, toutes les racines de notre Querelle sont dans ces deux petits faits, presque rien, et presque faux.

En Italie, Euridice[1] et Orfeo ont déjà vu le jour, les Nuove musiche de Caccini, propositions résultant des recherches menées par la Camerata Bardi, sont déjà publiées ; le recitar cantando est admis, et l’opéra se répand dans la botte. En France, rien de tout cela ! Le récit commence seulement à exister, mais uniquement dans le cadre strict du ballet de cour : au début, pour introduire la danse, un chanteur, souvent une basse-taille, donne un récit assez mélodique, et terminé.

Mais cela ne pouvait pas se passer comme ça ! Mazarin, ministre qui va diriger la régence, est un amoureux des arts, et la musique en est un ; italien d’origine, il ne va pas faire venir que les tableaux : à sa demande, on représentera à Paris trois grands opéras italiens : un Orfeo de Luigi Rossi, un Xerse, composé par Cavalli en Italie, mais revu pour l’occasion[2] par le compositeur qui n’avait pas pu terminer à temps le troisième de notre liste, Ercole amante[3]. Des deux derniers, les Français vont surtout aimer les intermèdes dansés de la composition du petit Lulli ; du premier, ils retiendront les décors merveilleux, la machinerie fantastique. Et l’opéra en lui-même ? Ça a plutôt ennuyé les spectateurs. Comment, comment ? vous écriez-vous, quelle sacrilège ! Avant de bondir, songez bien : beaucoup de récitatif, peu d’intermèdes instrumentaux, des airs qui sont plutôt des ariosos pleins d’harmonies étranges avec des vocalises, “roucoulades” qui tombent comme des cheveux dans la soupe, et le tout en italien sans sous-titrage : avouez que cela ne devait pas être très exaltant. En somme, exit l’opéra : loin d’y avoir accoutumé le public français, il l’en a plutôt dégoûté.

Le problème n’est pas tant que la France n’ait pas eu une musique nationale ; regardez l’Angleterre : en a-t-elle vraiment une alors ? Purcell ne naît qu’en 1659. Quand l’opéra va se présenter à elle, ce sera avant tout sous forme d'intermèdes[4] – ce qui n’est pas sans rappeler la comédie-ballet – et le cas de Dido and Æneas reste exceptionnel. Pourtant il n’y a pas en Angleterre de Querelle. Il n’y a pas eu non plus en Angleterre de Mazarin, pas d’opéra italien avant Händel, bref, pas d’a priori.

Mais les Français, eux, veulent une musique ; la France doit être la première nation d’Europe comme elle est la fille aînée de l’Église. A ce titre, elle doit briller en tant que puissance politique et militaire, mais aussi en littérature – la langue française se répand dans les cours étrangères –, en architecture – on invite Le Bernin pour refaire le Louvre, on entreprend Versailles – comme en peinture – mais on a Le Brun – et donc en musique – et l’on a pas. Pourquoi ? parce qu’on a refusé l’Œuvre la plus brillante et la plus complète : l’opéra. N’oublions pas qu’opera en italien, c’est justement l’œuvre[5].

La musique instrumentale n’est guère encore prisée ; d’ailleurs, elle ne permet pas qu’on monte sur scène pour faire un spectacle, ou quand c’est le cas, c’est qu’on danse, et la danse l’emporte sur la musique quand le ballet. Ceci, jusqu’à Tchaïkovski exclu. Il est symptomatique, me semble-t-il, que ceux qui composent la musique de ballet sont les maîtres à danser, soit les chorégraphes et danseurs : la musique du ballet n’a aucune indépendance, aucune valeur autre que celle de se prêter à la danse. De même, le bon livret d’opéra est celui qui se prête bien à la mise en musique, et non celui dont la valeur littéraire intrinsèque est exceptionnelle[6].

On pourrait m’opposer encore la musique religieuse. Le grand motet versaillais n’est pas encore né, d’une part, et puis elle ne sort pas des chapelles : on ne brille que difficilement avec elle. On peut éblouir les voyageurs, mais la musique d’église n’est pas une musique qui peut être, à l’époque, considérée et exécutée indépendamment du service religieux. Là encore, les choses ont bien changé…

La France, donc, a refoulé l’opéra, qui est l’œuvre majeure de la musique au XVIIème siècle. Et pour affirmer sa domination sur le plan musical aussi, elle devra le rappeler, ce qui ne sera pas sans créer quelques problèmes : il faudra éviter de faire ce qui a déplu. Autrement dit, il faudra éviter, en faisant une chose italienne, d’en faire une chose italienne ! vous voyez bien que Lully, qui n’est encore que Lulli, ne va pas y arriver du jour au lendemain… Et ce, non seulement en lui-même, mais aussi pour le public.

 

                                                                                                                                            Loïc Chahine
Vers la naissance d'un style français

 

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[1] Je pense à celle de Peri ; on a beau la connaître, non seulement parce qu’on sait qu’elle existe, mais aussi parce que la musique en est conservée, on continue à penser l’Orfeo comme le premier opéra !

[2] Le mariage du roi.

[3] N’en cherchez pas la musique : elle est perdue. Ne sont conservés que les intermèdes de Lully.

[4] Là encore, on oublie souvent que the Fairy Queen comme King Arthur ont été conçus comme les compléments d’œuvres théâtrales parlées, et que l’indépendance qu’on leur donne est toute relative. Il faut rapprocher cela, en inversant le processus, du cas de George Dandin : on en a retenu que la pièce de Molière, alors qu’entre ses actes, aussi longuement, se développait une pastorale sur la musique de Lully.

[5] Rappelez votre latin : opus, operis, n., l’œuvre, donne au nominatif-accusatif pluriel opera.

[6] Il va sans dire que ce sont là les théories de l’époque. Si l’on sera facilement d’accord en ce qui concerne les livrets, la bonne musique de ballet peut s’écouter sans le visuel chorégraphié. Ainsi, l’on peut écouter le Ballet de Flore de Lully, mais aussi le Lac des cygnes et le Casse-noisette de Tchaïkovski sans avoir le moindre danseur sous les yeux. Songez en revanche à la musique d’autres ballets “classiques”, comme Giselle, la Sylphide ou la Bayadère, Paquita et Don Quichotte : la musique, sans être franchement désagréable, n’est pas d’une qualité inouïe, et on ne l’écoute pas ; d’ailleurs, on ne l’enregistre quasiment pas.

 

 

 

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