Rédigé par 6 h 50 min CDs & DVDs, Critiques

Salon de musique (Telemann, Six Trios, Le Timbres & Harmonia Lenis – Flora)

Georg Philipp TELEMANN (1681-1767)

Six Trios (Francfort, 1718)
Trios n°2 et n°8 extraits des Essercizii Musici (1739)

Les Timbres :
Yoko Kawakubo, violon
Stefanie Troffaes, traverso
Myriam Rignol, viole de gambe
Julien Wolfs, clavecin et orgue

Ensemble Harmonia Lenis :
Kenichi Mizuuchi, flûte à bec
Yukiko Murakami, basson
Elena Andreyev, violoncelle
Akemi Murakami, clavecin et orgue

1 CD Flora 5925, 2025, 78’28

C’est toujours avec un plaisir renouvelé que l’on se plonge dans les projets de l’ensemble Les Timbres. Le jeune ensemble s’était notamment distingué par un magnifique enregistrement dédié aux Concerts Royaux de François Couperin, et ce, malgré des effectifs que l’on pouvait juger alors un peu trop étoffés (Flora). Ici, pour les Six Trios de Telemann, publiés à Francfort en 1718 (ainsi que pour les extraits du recueil Essercizii Musici de 1739), les musiciens font montre d’une parfaite intelligence des styles mêlés — cette fameuse réunion des goûts français et italien — et d’un art des textures absolument époustouflant. Effectifs obligent, Les Timbres ont dû s’adjoindre le concours de l’ensemble ami Harmonia Lenis, au sein duquel on distingue notamment la présence des vents (flûte et basson).

Revenons sur ces Six Trios de 1718 qui constituent la substantifique moelle de cette parution. Il faut rappeler que Telemann, compositeur parmi les plus prolifiques de l’histoire (plus de 6000 œuvres, dont une quarantaine d’opéras, 44 Passions et 12 cycles de cantates, reléguant la productivité de Bach à celle d’un modeste artisan), composa ces pièces alors qu’il résidait à Francfort. Il y occupait les postes de Kapellmeister puis de directeur musical de la ville. Ces œuvres, destinées aux musiciens d’une chapelle de cour, furent dédiées à Frédéric II de Saxe-Gotha.

Leur instrumentation s’avère extrêmement intéressante. Si le premier instrument est fixe — ce sera ici le superbe violon au grain et aux courbes sonores d’une plénitude dense de Yoko Kawakubo —, le second instrument mélodique varie sans cesse. Hautbois, flûte à bec, flûte traversière, second violon, viole de gambe ou basson : le travail de coloration des Timbres est absolument remarquable. On sent à la fois une familiarité avec ce langage très poussé et une précision maniaque dans les ornements, qui se révèlent pourtant d’un déconcertant naturel.

La fusion sonore des Timbres rappelle insensiblement Les Nations ou les Nouveaux Concerts de Couperin. Stylistiquement, une certaine pudicité, un lyrisme maîtrisé et une mesure d’une rare élégance évoquent indéniablement le style français. On regrettera toutefois que la captation pourtant signée par l’excellente Aline Blondiau déleste un petit peu trop les graves : la viole de Myriam Rignol ou le clavecin de Julien Wolfs semblent ainsi parfois lointains, alors que les instruments de dessus sont, eux, parfaitement captés.

Sur le plan de l’interprétation, on pourra noter un léger manque de folie pour les passages les plus italianisants. L’ Allegro du Premier Trio (violon/hautbois) s’avère davantage galant que vif. En revanche, dans le Deuxième Trio, le mouvement introductif Affettuoso, porté par la magnifique flûte à bec de Kenichi Mizuuchi se balançant avec le violon de Yoko Kawakubo, fait merveille. Mais là encore, en dépit de temps forts marqués, le Vivace semble plus tempéré que véritablement véloce. Les entrées fuguées demeurent néanmoins d’une lisibilité exemplaire.

Nous avouerons une prédilection pour le Grave de ce deuxième trio : la viole un peu plaintive, l’usage du positif et l’atmosphère de mystère recueilli y sont admirables. Dans le Quatrième Trio, on soulignera un splendide Largo à deux violons qui, cette fois-ci, lorgne clairement vers l’Italie et Corelli.

Le Cinquième Trio présente une configuration particulière : basse de viole, violon et basse chiffrée. De manière surprenante, la viole n’y est pas suffisamment présente à l’écoute, un comble alors qu’elle tient la première ligne — sans doute un souci de balance à la captation. L’ Adagio, presque bachien par moments, déploie une poésie rêveuse, sorte de rêverie brumeuse aux contours nuagés. Le Sixième Trio est quant à lui dévolu à un duo basson-violon. On reste plus circonspect face au basson pétulant, presque ironique, de Yukiko Murakami. Si les sonorités sont magnifiquement égrenées, rappelant parfois davantage la verdeur tonitruante de Jérémie Papasergio plus que le douceurs de Sergio Azzolini, il se crée une désynchronisation de style entre les deux voix de dessus : l’une tendre, l’autre presque au second degré.

Les deux extraits des Essercizii Musici (Trio n°2 et n°8) dénotent un style sensiblement différent, à la fois plus virtuose et moins français. Ces sonates adoptent un format singulier de trios avec clavecin obligé, impliquant donc deux clavecins (l’un concertant, l’autre réalisant le continuo), un équilibre étrange qui diffère des concertos pour plusieurs clavecins de Bach. Si le second trio nous a davantage surpris que touché — malgré un Largo réussi et italianisant —, le Trio n°8 débute par un Dolce pris de manière un peu trop allante. Si le Vivace est rieur et virtuose, la Sicilienne paraît trop rapide, là où Telemann excelle pourtant à sculpter la mélodie. Le disque se conclut par un dernier Vivace qui aurait mérité plus de spontanéité.

En dépit de ces quelques réserves, notamment sur la dynamique du huitième trio final, les Six Trios francfortois méritent indubitablement le détour. Soulignons enfin la très belle présentation du digipack, illustré par les singes des tableaux de Christophe Huet (Singerie : Le Concert), qui trouve une place de choix dans ce contexte raffiné.

 

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : captation claire et proche, privilégiant les instruments de dessus.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 24 décembre 2025
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