
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
L’Enlèvement au sérail,
opéra (Singspiel) en trois actes, créé au Burgtheater de Vienne le 16 juillet 1782 sur un livret de Johann Gottlieb Stephanie (traduction française de Pierre-Louis Moline (1739-1820))
Mise en scène : Michel Fau
Scénographie : Antoine Fontaine
Costumes : David Belugou
Lumières : Joël Fabing
Maquillages coiffures et perruques : Laurence Couture
Constance : Florie Valiquette, soprano
Belmont : Mathias Vidal, ténor
Osmin : Nicolas Brooymanns, basse
Blonde : Gwendoline Blondeel, soprano
Pédrille : Enguerrand de Hys, ténor
Bacha Sélim : Michel Fau
Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal
Direction musicale Gaétan Jarry
Enregistrement, montage et mixage : Olivier Rosset
Coffret cartonné avec 2 CDs et 1 DVD, enregistré à l’Opéra Royal de Versailles du 20 au 24 mai 2024, Château de Versailles Spectacles, 133’34 (CDs) ou 141′ (DVD)
Création en français à Paris le 26 septembre 1798 au Cirque du Palais-Royal
Voici une petite curiosité, un retour vers le futur. Il n’y a de cela pas si longtemps, on chantait les opéras italiens de Haendel dans d’horribles traductions en anglais, en français, en allemand ou dans toute autre langue. La pratique était courante en récital jusqu’aux années 70, pour conserver le sens du texte, l’immédiateté du contact avec le public (sans avoir à se plonger dans un programme, ou regarder des sur-titres alors inexistants). C’était avant la vague baroqueuse, celle de l’historiquement informé. Même encore à présent, l’English National Theatre résiste. Et pourtant personne n’imaginerait, au Met, une “Titus clemence”, ou un “Lord John” (Don Giovanni) ! Les résultats sont exotiques et périlleux. Parfois la traduction ennoblit le texte original mais s’en éloigne. Parfois l’artificialité d’avoir à coller aux mesures conduit à des acrobaties maladroites. Toujours, on y perd en fidélité aux affects, et au caractère de l’original, et ce encore davantage quand on sait à quel point le langue est importante : l’opera seria italien qui était joué à travers l’Europe, de Londres jusqu’à Petersbourg l’était évidemment dans des contrées dont il n’était pas l’idiome. De même la tragédie lyrique est, de naissance, intimement liée à la volonté d’une alternative française, bien spécifique, à l’opéra italien, qui nous délectera de nombreuses querelles tant musicales que politiques et philosophiques. Changer Enfin le Singspiel allemand, si l’on oublie Seelewig (1644) de Sigmund Theophil Staden, trouva en Mozart, dès sa prime jeunesse un ardent défenseur (n’hésitant pas d’ailleurs à germaniser et singspieler sa jolie Finta Giardiniera en Die Gärtnerin aus Liebe en 1779).
Tout récemment encore, les Angloys, encore eux, n’hésitaient pas à monter Médée de Charpentier dans leur idiome avec le placide Curnyn. Heureusement, les traces de ce bidouillage d’un autre âge ont été gommées de la toile (impossible d’en trouver un extrait vidéo). Mais ici, la démarche est relativement différente, car doublée d’une intention musicologique : on jouait bien Mozart, traduit en français, à Paris, à une époque proche de sa création. Cet Enlèvement au Sérail francisé fut représenté en français à Paris le 26 septembre 1798 au Cirque du Palais-Royal dans une traduction souple de Pierre-Louis Moline (1739-1820), dans une version abrégée. Hélas, la production actuelle ne résiste pas à un peu de renflouage tant musical que parlé pour refarcir un peu l’animal, car les coupes de Moline ont été jugées excessives, ce qui est peut-être le cas, mais ne permet plus la rigueur d’une exécution de la création de 1798.
Pour ne pas dérouter le spectateur, ceux qui ont eu la chance de voir le spectacle en 2024 admireront l’écrin visuel somptueux d’un Orient de pacotille rassurant et coloré conçu par Michel Fau. Les rampes d’avant-scène, les perspectives forcées, le jeu des couleurs de carton-pâte participe de la réussite d’un onirisme léger. Les costumes de David Belugou dénotent la même élégance colorée. La réussite du coffret, qui heureusement comprend également le DVD, permet ainsi de savourer dans arrière-pensée une sorte de Singspiel francisé, chatoyant et vif, véritable cousin à mi-chemin entre opéra comique et turquerie baroque. Molière n’est pas si loin.
Mais venons-en à notre principale réserve. Certes, certains chanteurs sont un peu étriqués, certes, l’orchestre, clair et nerveux, n’est pas le plus soyeux ni le plus noble, mais c’est du côté de la prosodie que le bât blesse. Malgré les efforts de Moline, la prosodie française épouse mal la musique allemande. Certains accents tombent à côté, des vers s’étirent pour suivre une ligne mélodique qui n’était pas la leur, ailleurs se rétractent, le tailleur ajuste un habit, mais cette seconde main n’a pas le confort du sur-mesure. A l’inverse, comparez la version française de l’Orfeo ed Euridice et sa consœur italienne pour comprendre ce qui différencie un changement de langue réussi. Mais le passage d’une langue latine à une autre était sans doute bien plus aisé. On oscille entre une fidélité syntaxique trop rigide (qui gêne le phrasé) et une adaptation trop libre (qui trahit les contours mélodiques). Le résultat est souvent bancal : un mot trop court se retrouve sur une note tenue, un mot trop long trébuche sur une mesure trop étroite alors que les passages parlés sont pleinement convaincants, et nous rappelle le comique sans fard d’un Gretry, et son humour permanent. C’est bien le chant qui semble plaqué et artificiel.
Sur scène, Florie Valiquette campe une Constance solide, à la musicalité certaine même si les aigus sont parfois tirés (“Martern aller Arten” en français). Nicolas Brooymans est un Osmin impressionnant théâtralement mais assez sage vocalement, manquant de rugosité et de vibrance dans les graves. Le reste de la distribution participe d’une rendition à l’ honnête timide, à la pudique modestie. On sourit sans véritable éclat. C’est un paradoxe : alors que la version française devrait offrir une proximité accrue avec le texte comme le public, elle semble ici inhiber les chanteurs, comme si chacun avançait à petits pas pour ne pas briser un équilibre précaire entre texte et musique.
L’orchestre de l’Opéra Royal est tout à fait convaincant, on admire la finesse des couleurs, la vivacité ferme des tempi. Les cuivres naturels et les percussions rehaussent la texture, impulsent un ressac, sculptent les airs et les chœurs. On en regrette encore plus les passages parlés, privés d’un continuo éloquent.
On saluera donc cette curieuse curiosité, qu’on renfermera proprement et soigneusement dans le cabinet du même nom. c’est toujours mieux que Giulio Cesare en teuton.
Viet-Linh Nguyen
Technique : captation audio claire et transparente. Captation vidéo très dynamique.
Étiquettes : Blondeel Gwendoline, Brooymans Nicolas, Château de Versailles Spectacles, Choeur de l'Opéra Royal, de Hys Enguerrand, Fau Michel, Jarry Gaëtan, Mozart, Muse : airain, Orchestre de l'Opéra Royal, Valiquette Florie, Vidal Mathias Dernière modification: 8 décembre 2025
