“Suzanne un jour d’amour sollicitée
Par deux vieillards convoitant sa beauté
Fut en son cœur triste et déconfortée
Voyant l’effort fait à sa chasteté.
Elle leur dit : si par déloyauté
De ce corps mien vous avez jouissance,
C’est fait de moi ! Si je fais résistance,
Vous me ferez mourir en déshonneur :
Mais j’aime mieux périr en innocence
Que d’offenser par péché le Seigneur.”
(Suzanne un jour, Guillaume Guéroult, Premier livre de chansons spirituelles (1548))

Suzanne un jour
musique française pour luth
C. Gervaise : Pavane
A. Le Roy : Passemèze
B. de Vendatour : Can l’erba fresch
Anonyme : Saltarello Zorzi
P. Attaignant : Basse-dance “Celle qui m’a le nom d’ami donné”
Ronsard / R. Ballard : Mignonne allons voir – Je sers une cruelle
P. Phalèse : Alemande “D’Amours”
A. Le Roy : “La Souris”
P. Attaignant : Basse-dance “La Magdalena”
Anonyme : Tourdion
P. Attaignant : Gaillarde
P. Attaignant : Pavane
T. Arbeau : Branle “Pinagay” – Branle “Les Pois”
Anonyme : Can vei los pratz verdesir
B. de Palou : Tan m’abelis
P. Phalèse : Pavane “Lesquercarde”
Maubuisson : Courante
P. Attaignant : Branle “Mari je songeois” – Courante – Basse-dance “La Roque”
Praetorius : Volte 1 et Volte 2
Anonyme : “Vivons”
B. de Ventadour : Can vei la lauzeta
N. Vallet : Gaillarde de la Passemèze
C. Gervaise : Branle
P. Phalèse : Branle “Petit Homme”
P. Attaignant : Basse-dance “La Brosse”
D. Lupi : Suzanne un jour
P. Phalèse : Branle “Gay”
G. Isbin (né en 1953) : Gift to the fall
Alban Tixier, luth
(accompagné de Evelyne Moser, voix et vièle d’archet & Laurent Tixier, voix)
1 CD digipack, En Phases / Unik Access, enr. en octobre 2023 à la Chapelle des Pères Montfortins, Saint Laurent sur Sèvre (85), 51’52
C’est un jeune luthiste, de 23 ans, forgé dans un admirable creuset familial – un père et une sœur musiciens, avec lesquels il se produisit sous l’appellation de Trio Tixier. Il apprit le luth auprès de Jean-François Deruy, se perfectionna auprès de Miguel Henry, habite en Vendée dans un logis Renaissance. Mais ces quelques bribes biographiques ne nous disent pas sa maturité musicale : ce langage posé, cette sérénité à la souplesse de baladin conjugué au regard de poète, loin de toute nervosité fougueuse de damoiseau. Cette vision déjà très personnelle, dirigée, homogène, presque uniforme, la jaquette épurée dédiée au seul instrument, les notes de programme à la couverture blanche, simplement ornée de SUZANNE UN JOUR en capitales, nous laissaient l’entrevoir.
Nous ne nous sommes pas pressés à rédiger cette notule, car ce vaste florilège de musique française de luth contenait nombre de pièces plus renaissantes que baroques. Mais un soir d’été qui sent déjà l’automne, nous avons voulu rendre hommage à Alban Tixier pour ce voyage dansant mais équilibré, d’une grande clarté dans ses articulations, d’une éloquence présente mais discrète. Le choix et la brièveté des pièces, d’une rare intelligence, permet d’éviter toute lassitude, tandis que certaines incursions s’autorisent – rarement – des invités, un truculent “Mignonne allons voir si la rose” ou “Vivons” avec son père Laurent Tixier dont le timbre et la verdeur nous rappellent Marc Mauillon, une doucereuse et sensuelle vièle d’Evelyne Moser qui prête aussi sa voix innocente pour une nuit de troubadours occitans (“Can vei los pratz verdesir” et “Tan m’abelis”), pièce qui détonne en termes d’atmosphère avec le reste de l’enregistrement, tout comme l’épilogue du XXIème siècle, alors que le “Can vei la lauzeta” de Bernard de Ventadour, au luth seul, égrène sa poésie de manière quasi intemporelle et en perd presque de son aspect médiéval.
D’un Passemèze entêtant et boiteux du XVème à un Saltarello Zorzi élégant et détaché, le musicien tisse des va-et-vient que son interprétation rythmée et perçante unit. En effet, on goûte constamment une sorte d’épure sonore, d’une grande précision et d’une grande intensité, digne d’un vitrail à contre jour laissant voir son armature, qui se dégage d’un jeu assertif et naturel, appuyé sur les temps forts. Il y a à la fois le sourire dansant de Paul O’Dette, mais aussi le scalpel d’un Eugen Dombois derrière ce jeune homme réfléchi. De cette bande dessinée en ligne claire, on citera pêle-mêle parmi nos pièces favorites : un Branle “Pinagay” frais et vif, sans étourdissement, une noble Gaillarde de Nicolas Vallet, une Pavane de Pierre Phalèse d’un raffinement ourlé. Avouons un faible pour la Suzanne un jour de Didier Lupi, d’une lenteur écartelée, disséquée sous une aveuglante clarté, presque abstraite.
Si l’ensemble peut, du fait d’un tactus très similaire (confessons qu’Attaignant en souffre un peu), conduire à une impression générale superficielle d’apaisante monotonie, l’écoute répétée et attentive de cet opus en fait apprécier chaque fois la droiture lumineuse, le déhanchement pudique, le sourire discret. Pour du Brueghel, c’est davantage les contours fermes de l’Ancien qu’on admirera, que la rondeur colorée et charmeuse du Brueghel de Velours… On regrettera enfin l’absence d’information sur le ou les instruments utilisés.
Viet-Linh NGUYEN
Technique : captation très claire et avec quasiment aucune réverbération.
Étiquettes : Adrien le Roy, Bernard de Ventadour, Claude Gervaise, Didier Lupi, En Phases, luth, Michael Praetorius, Muse : coup de coeur, musique ancienne, Nicolas Vallet, Pierre Attaignant, Pierre Phalèse, Thoinot Arbeau, Tixier Alban, Unik Access Dernière modification: 13 septembre 2025
