Rédigé par 13 h 26 min CDs & DVDs, Critiques

Une folle envie de découvrir

A la fin du XVIIe siècle, un orphelin d’une dizaine d’années chaparde des partitions…, non ce début n’est pas celui d’un roman de Dickens, mais une histoire véridique qui en dit long sur le tout jeune Jean-Sébastien Bach. Confié à son frère ainé à la mort de ses parents, le tout jeune garçon remarque un livre dans la bibliothèque de son frère contenant des œuvres de Froberger, Kerll ou Pachelbel.

“Die Quellen des jungen Bach”

(Les sources du jeune Bach)

[TG name = “Liste des morceaux”]

Johan Adam Reincken (1623-1722)
Toccata en sol majeur

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
Toccata en mi mineur BWV 914
Capriccio sopra la lontananza del fratello diletissimo BWV 992
Toccata en sol mineur BWV 915

Dietrich Buxtehude (ca 1637-1707)
Suite en do majeur BuxWV 226

Johann Jakob Froberger (1616-1667)
Deuxième Toccata en ré mineur du Livre de 1649 

Johann Kaspar Kerll (1627-1693)
Suite en fa Majeur

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Céline Frisch, clavecin Anthony Sidey

71’14, Alpha, 2010 (enregistré à Paris, Chapelle Notre-Dame du Bon-Secours)

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“A la fin du XVIIe siècle, un orphelin d’une dizaine d’années chaparde des partitions…”, non ce début n’est pas celui d’un roman de Dickens, mais une histoire véridique qui en dit long sur le tout jeune Jean-Sébastien Bach. Confié à son frère ainé à la mort de ses parents, le tout jeune garçon remarque un livre dans la bibliothèque de son frère contenant des œuvres de Froberger, Kerll ou Pachelbel. Pour une raison qu’on ignore, alors qu’il demande à l’étudier, ce livre lui est refusé. Bien sûr comme tous les enfants curieux, il s’en empare, recopie patiemment son contenu, mais découvert, ce travail lui est confisqué.  Ainsi non seulement à travers cette anecdote se dessine le caractère de Bach, mais également par les œuvres recopiées les influences que le programme de ce nouveau CD de Céline Frisch met en lumière.

Dès son enfance, Bach possède donc une immense soif d’apprendre. Il puise son inspiration chez ces grands maîtres qui donnèrent à ces nations en guerre qui composaient l’Allemagne de cette époque, une raison d’espérer, grâce à la musique. Et dès l’adolescence sa passion musicale, le pousse sur les routes, et bien avant le voyage à Lubëck, alors qu’il étudie l’orgue, il n’hésite pas à se rendre à Hambourg pour aller entendre un des plus fameux organistes de cette période Johan Adam Reincken. Une copie de sa main a d’ailleurs été retrouvée de deux cantates composé par ce dernier. Ce disque construit autour du thème des sources de Bach, s’ouvre tout naturellement avec ce compositeur. Et Céline Frisch, une fois de plus nous éblouie par l’énergie qu’elle impulse aussi bien à la musique du futur Cantor de Leipzig qu’à ces prédécesseurs.

La Toccata en sol majeur de Reincken révèle un style qu’aimait fortement le jeune Bach, le “stylus phantasticus”, c’est-à-dire une grande fantaisie dans le touché du clavier, une virtuosité qui émerveille, offrant en somme une grande liberté à l’interprète. Et Céline Frisch s’empare de cette liberté qui lui est offerte. Son touché mêle délicatesse et force. Elle peut ainsi dans d’infimes variations nous permettre de percevoir cette urgence du geste et de l’instant, cette urgence qui viendra habiter l’œuvre de l’élève et déjà si présente chez le maître. La Toccata en mi mineur de Bach qui suit, s’enivre de cette virtuosité, sans jamais se perdre, comme poursuivant un fil. Céline Frisch révèle l’impétueuse flamme de ces variations quasis démentielles. Elle semble jouer à se laisser surprendre pour mieux laisser jaillir la fantasmagorie. Mettant en miroir les œuvres de Jean-Sébastien Bach avec celles de ses prédécesseurs et inspirateurs, elle nous nous permet de découvrir, de manière foudroyante une filiation qui permis à Bach de se construire une famille spirituelle.

Elle s’abandonne à la poésie mélancolique de l’Allemande ou de la sarabande de la Deuxième suite en Ré mineur de Froberger, par l’acuité de son jeu qui nous en fait gouter toutes les saveurs amères et pourtant si douces. Audacieuse, jusque dans les choix du programme de ce CD, Céline Frisch fait de son interprétation fougueuse et sensible de la Suite en fa majeur de Johann Kaspar Kerll, un pur instant de bonheur et d’intelligence. Les chromatismes et les ornementations au dolorisme si mordant deviennent par la virtuosité ductile de l’interprète une plainte déchirante qui nous bouleverse.

De ce clavecin allemand d’Anthony Sidey choisi par elle, Céline Frisch laisse rayonner tous les traits de caractère possible : rond, clair, expressif, violent, âpre. Ses phrases respirent, dansent, content, dessinent.

Ce CD au programme merveilleusement construit bénéficie d’une interprète inspirée, qui maîtrisant les architectures complexes des œuvres peut nous en dévoiler la folle énergie sans jamais se perdre.

Monique Parmentier

Technique : prise de son proche et lumineuse permettant d’apprécier avec une réelle suavité toutes les qualités de l’instrument.

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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