Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
Cantates pour la nativité BWV 61, 122, 123, 182
Monika Mauch (soprano), Matthew White (alto), Charles Daniels (ténor), Harry van der Kemp (basse)
Montreal Baroque, direction Eric Milnes
72’16, SACD hybride, ATMA, 2009
Voici Bach à la diète. Non celle de Ratisbonne, mais en cure d’amincissement. Bach à Bath en somme. Il faut dire que toute la profession semble s’acharner sur le pauvre homme. Le Dr. Rifkin a fait des émules depuis 1981, et les Dr. Parrot, Butt, McCreesh, Junghänel, S. Kuijken puis Pierlot ou Minkowski se sont ralliés, avec plus ou moins de bonheur, à ce traitement de choc. Scientifiquement, l’expérience demeure hasardeuse, tout au plus hypothétique, farouchement décriée par de respectables praticiens tels le doyen Gustav Leonhardt ou son élève Ton Koopman. On ne trouve guère d’indications précises dans les documents d’époque, et le Mémorandum de Leipzig (l’Entwurff de 1730) semble mentionner expressément le souhait du patient pour un chœur en bonne forme, avec 3 ou idéalement 4 voix par parties, et. Pour l’ensemble des 4 chœurs sous sa responsabilité, et de plus en incluant les motets rétorquent les défenseurs du traitement One-Voice-Per-Part, qui mettent en avant la finesse de l’écriture, les ressources matérielles disponibles, les partitions parvenues jusqu’à nous, l’ambiguïté des définitions des « concertistes » et « ripiénistes ». Et nous n’avons pas précisé que la controverse est moins sanglante pour les œuvres du temps de Weimar ou Mühlhausen, où les effectifs étaient moindres.
Echappons nous de ces querelles et contemplons le patient après l’opération dans ce programme opulent et festif, où l’on retrouve notamment les « tubes » « Nun komm, der heiden Heiland » et « Himmelskönig, sei willkommen ». Ajoutons que ce disque fait partie d’un ambitieux projet d’intégrale discographique, qui prendra sa place aux côtés des Harnoncourt-Leonhardt, Koopman, Leusink, Suzuki, Gardiner ou Kuijken (intégrale liturgique partielle pour ce dernier). Le chœur d’ouverture, lumineux et diaphane, est uniquement chanté par les quatre solistes aux voix pures, aux sons tenus. Le vibrato est remisé, les articulations élégiaques et pédagogiques. L’écriture de Bach en devient d’une extrême lisibilité, comme usée jusqu’à la trame dans une radiographie des pupitres. Cette même impression de sereine plasticité, de transparence blanche, perdure à chaque chœur, particulièrement dans le « Himmelskönig, sei wilkommen » dégageant une fierté joyeuse.
Paradoxalement, les solistes s’illustrent moins lors des airs en raison d’une certaine modestie de ton, mis à part la basse bien assise de Harry van der Kemp, qui nage comme un Cantor à Leipzig dans les eaux bacchiennes. On admire son timbre stable et profond, la sûreté de l’émission et des ornements, le phrasé fluide et déclamatoire à la fois. C’est dans de courts passages tel le récitatif accompagné « Siehe, ich stehe vor der Tür und klopfe an » illustré de pizzicatti que le chanteur fait montre d’un art consommé du mot et des affects. L’air « O Menschen, die ihr täglich sündigt » est convaincant de sincérité et de repentance, le « Lass, o Welt mich aus Verachtung » agile et élégant, insistant sur l’opulence de la ligne mélodique et les entrelacs avec le traverso obligé.
Ses compagnons plus effacés ne déméritent pas, tout en ne parvenant pas à insuffler autant de force dramatique à leur chant, plus prévisible voire appliqué. Monika Mauch possède pourtant un timbre diaphane et innocent très évocateur, avec des aigus très dynamiques, mais un vibratello constant, des trilles quelquefois malhabiles et un médium appauvri sont à regretter (« Offne dich, mein ganzes Herz »). Matthew White compense une projection forcée et une prononciation germanique approximative par une douceur ronde (« Leget euch »), même si le duo « Ist Gott versöhnt » avec la soprano souffre d’une certaine indifférence entre pupitres. Enfin, le ténor nasal Charles Daniels livre une prestation honnête, elle-aussi plombée par des accents allemands erratiques (« Auch die harte Kreuzesreise » aux ornements dévalés), et dont on retiendra tout de même un fervent « Komm Jesus, komm zu deiner Kirche ».
A la sérénité éthérée des voix célestes du chœur répond la terre instrumentale, palpable, physique du Montreal Baroque, convaincant mais sans poésie : noyau de cordes inégales tour à tour incisives, presque violentes, marquant avec rudesse les temps forts avant de s’échapper aux abonnés absent, bois plus arides hésitant à laisser s’épanouir leurs sonorités grainées, traversos agiles et coulants, superbe violoncelle et viole aux archets vigoureux. Les airs avec instruments obligés pâtissent un peu de cette vision refusant délibérément le lyrisme coloré du pastel pour se confiner au burin noir et gris de la gravure.
Eric Milnes conduit sa phalange avec le tact presque maniaque du miniaturiste. Cependant, cette lecture ciselée et studieuse, dont on attendait plus de radicale personnalité, risque de briser la cohérence globale de chaque cantate au profit d’une litanie de jolis airs, sauf dans le BWV 182 plus impliqué. Cette impression d’immobilisme est accrue par des tempi moyens ramassés, ni assez étendus pour être contemplatifs, ni assez rythmés pour paraître vifs. On espère donc que la suite de cette intégrale annoncée sera plus tranchée, et optera plus fermement soit vers la virtuosité extravertie de Koopman alliée au dramatisme d’Harnoncourt/Leonhardt ou de Sigiswald Kuikjken, soit vers la beauté souriante d’un Herreweghe ou d’un Gardiner.
Katarina Privlova
Technique : enregistrement très clair, un peu lointain.
Étiquettes : ATMA, cantates, Jean-Sébastien Bach, Muse : airain, musique religieuse Dernière modification: 21 avril 2024