Henry PURCELL (1659-1695)
« O Solitude »
Andreas Scholl (contre-ténor)
Accademia Bizantina
Direction Stefano Montanari
76’36, Decca, 2010.
[clear]
Voici un enregistrement qui dérange. Pourtant, à première vue, quoi de plus traditionnel, attendu et sécurisant que de retrouver le contre-ténor d’Andreas Scholl dans des airs anglais ? On se souvient avec délice de ses sensibles Crystal Tears de Dowland (Harmonia Mundi) ou, avec ce même orchestre de l’Accademia Bizantina, des « Airs pour Senesino » plus pyrotechniques, toujours chez Harmonia Mundi. Il a fallu attendre 2010 pour que Scholl enregistre son premier récital dédié à Purcell, et l’on ne peut hélas que regretter et s’étonner devant une parution si tardive, et qui concerne des airs que l’artiste affectionne. Peut-être la pléthore d’enregistrements existants a t-elle retardé un tel projet ? Ou encore une modestie et une humilité dont on sait gré à ce grand chanteur. Quoiqu’il en soit, ce disque ne laissera pas les fans de Scholl ou de Purcell insensibles, notamment du fait de choix interprétatifs fortement italianisants, d’une ornementation orchestrale foisonnante, et d’une théâtralité franche à la limite de la brutalité ou de l’excès. Voici donc un Purcell pas comme les autres, qui pourra choquer les nostalgiques des angéliques aigus du temps des « Deutsche Barocklieder » diantrement sages à côté de cette sulfureuse Solitude.
« If Music be the food of love » ouvre le bal, et quand bien même la voix n’est plus aussi souple ou transparente sur toute la tessiture que par le passé, quand bien même la diction angloyse laisse percer ses accents d’Outre-Rhin, on admire la dynamique du phrasé, l’urgence dramatique de la mélodie, bien loin d’une vision mignarde et contemplative. Le duo « Sound the Trumpet » de l’Ode à la Reine Mary, aux côtés d’un Christophe Dumaux survolté et parfois acide dans les aigus, laisse cependant entrevoir une virtuosité ébouriffée, tumultueuse, presque narcissique, et finalement peu idiomatique à force de fougue et d’excitation, de trilles et mordants, d’accélération des tempi sur fond de basse continue sautillante. Le pinacle de cette boulimie où l’expressivité se contorsionne dans des drapés dignes du Bernin est atteint avec le « What power art thou », air du Génie du Froid extrait de King Arthur, hommage à Klaus Nomi, où Scholl frissonne jusqu’à l’hypothermie sur fond de cordes frémissantes et acérées, délaissant la musicalité pour une incarnation débordante.
Cependant, l’outrance n’est pas permanente, l’excès pas toujours démesuré, et le récital recèle aussi des perles, magnifiées par l’inventivité et les couleurs du tissu orchestral, sous la houlette de Stefano Montanari qui n’hésite pas à adjoindre des introductions instrumentales, à amplifier les sections orchestrales en intercalant des ritournelles entre les couplets, et à étoffer les effectifs habituellement retenus. Le « Here the deities approve », doucement sculpté par Scholl, avec des violons veloutés, illustre la réussite d’une telle approche, de même que le « O Solitude » qui – sans égaler Deller pour son pouvoir enivrant du mot, mais qui peut y prétendre ? – gagne en noblesse par sa soudaine pudeur, en dépit d’un timbre plus nasal dans le médian. On citera également un superbe « Now that the sun hath veiled his light » hypnotique et tendre dans sa berceuse sur basse obstinée. Et ce sont au final les morceaux les moins spectaculaires, aux interprétations moins immédiatement « décapantes » qui s’avèrent les plus touchants.
Un dernier mot enfin sur les pièces instrumentales qui évoluent avec une triomphante certitude – d’une Chaconne francisante, à l « Incidental Music for the Gordian Knot Unty’d » d’une grandeur arrogante avec ses notes inégales puissamment marquées – pour en louer le caractère enlevé et précis, dansant et robuste.
« What power are thou » extrait de King Arthur © Decca
Alexandre Barrère
Technique : prise de son assez neutre