Rédigé par 19 h 30 min Concerts, Critiques

The unforgettable fire (Purcell, King Arthur, Wolf, Hasler, Le Concert Spirituel, Niquet – Théâtre des Champs-Elysées, 13 octobre 2025)

“Lorsque les matines et la messe de prémices furent achevées, voici que dans le cimetière, auprès du maître-autel, parut une grande pierre de quatre mètres carrés, qui semblait taillée dans le marbre, au milieu de quoi se dressait comme une enclume d’acier d’un pied de haut, dans laquelle était fichée une belle épée, nue jusqu’à la pointe, et des lettres d’or étaient écrites autour de l’épée, qui ainsi disaient : — quiconque ôte cette épée de cette pierre et enclume, est roi-né de plein droit de toute l’Angleterre.”
(Thomas Malory, Le Morte d’Arthur)

Hervé Niquet © Théâtre des Champs-Elysées

Henry PURCELL (1659 – 1695)
King Arthur
semi-opéra en cinq actes sur un livret de John Dryden (1691)

(avec en première partie la Musique pour les funérailles de la Reine Mary)

Hélène Guilmette, soprano
Floriane Hasler, mezzo-soprano
Cyril Auvity, haute-contre
Robin Tritschler, ténor
Andreas Wolf, basse

Chœur et orchestre Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, direction

Version de concert, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 13 octobre 2025

Le répertoire musical anglais semble aller comme un gant à Hervé Niquet. Du moins Haendel et Purcell auxquels le chef et Le Concert Spirituel reviennent régulièrement, non par habitude un peu convenue, mais bien avec une joyeuseté et une excitation quasi enfantine que le temps ne ternit pas. Après les Coronation Anthems de Haendel, portés jusqu’aux oreilles du roi Charles III, voici le “Concert Spi” aux prises avec King Arthur. Et si nous devions répondre à la question de savoir ce qui attire le charismatique chef français dans ce répertoire, nous avancerions que ce dernier y trouve un goût de la rutilance, d’une pompe exubérante et quelque peu débordante ne sacrifiant rien à la rigueur de l’écriture et à la variété de l’inspiration qui ne doivent pas être pour lui déplaire. Autant de caractéristiques propres à ces parties du répertoire des deux compositeurs, qui sont familières à Hervé Niquet, qui trente-cinq ans après la fondation du Concert Spirituel enchaîne les projets avec une fougue qui ne se dément pas.

Le chef ne se prive jamais, avec la verve et le second degré le caractérisant, de gentiment étriller nos voisins d’outre-Manche, soulignant – nous lui laissons la responsabilité de ces affirmations – que musicalement parlant tout ce que les Anglais ont fait de bien, les Français l’ont fait en mieux, et que quand les Anglais furent divins, c’est qu’ils copièrent sur les français[1] !  L’Entente Cordiale pourrait-elle être remise en cause ?

Mais place donc ce soir à Purcell et à son King Arthur, œuvre patrimoniale et idéal-type de ce genre si anglais constitué par le semi-opéra, c’est-à-dire œuvre hybride entre théâtre et opéra. Et comme la mythologie saxonne relève pour nous français qui n’y sommes pas habitués, d’un certain brouillard, que l’œuvre dans son entièreté avoisine une durée de cinq heures et que Hervé Niquet lui-même confesse ne jamais avoir vraiment saisi son articulation pour le moins absconse,… hop, à la trappe les déclamations théâtrales et place à une version resserrée, recentrée sur les seules compositions de Purcell, ramenant l’œuvre à une bonne heure et demie de musique, permettant même au Concert Spirituel de nous offrir en guise de prélude la Musique pour les funérailles de la Reine Mary du même. Cette version de King Arthur, comme tant d’autres, se détournera ainsi opportunément de la narration des intrigues et des interactions entre les personnages, au profit du pur plaisir musical et de la mise en valeur de la partition.

Diriger Purcell représente pour Hervé Niquet un plaisir audible bien avant même l’entame du concert, le chef ne se privant pas de rappeler sur le mode « cette fois j’y suis, j’y reste » que lors de sa dernière prestation sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, le 14 février dernier, il avait été interrompu au bout des sept premières minutes d’un Persée de Lully qui s’annonçait exaltant[2], par l’injonction aussi sonore que désagréable de l’alarme incendie, reléguant spectateurs et musiciens sur les trottoirs de l’avenue Montaigne dans les frimas de l’hiver parisien.

Le froid cette fois-ci, Hervé Niquet le fera pénétrer à l’intérieur du théâtre, ce King Arthur devant sa grande renommée au fameux Air du Froid (What power art thou pour être précis) dont Klaus Nomi fera un tube international dans une version New Wave à grand renfort de synthétiseurs et d’un look hérité du David Bowie période Space Oddity.

Le Concert Spirituel © Théâtre des Champs-Elysées

La Musique pour les funérailles de la Reine Mary (Music for une Funeral of Queen Mary, 1695) ouvre ce concert, avec toute la solennité requise, le chœur du Concert Spirituel sobrement placé de part et d’autre du chef, en avant des musiciens. Une composition brève, exécutée tout début 1695 en l’abbaye de Westminster lors des funérailles de Mary II, décédée dans sa jeunesse, à l’âge de seulement trente-deux ans, le 28 décembre 1694. Un anthem en trois parties pour chœur sur lequel nous soulignerons la capacité toujours remarquable chez Hervé Niquet à imprimer aux choristes et aux musiciens une rythmique affirmée tout en préservant la solennité sépulcrale de l’instant, le chœur du Concert Spirituel s’avérant dense, d’une belle homogénéité générale, et d’une symbiose à saluer entre les différents registres vocaux, en particulier dans la très subtile troisième pièce pour chœur You knowest, Lord, the secrets of our hearts[3]. Une œuvre où l’on soulignera aussi la beauté de la Canzona, marche funèbre sur laquelle les deux clavecins de l’effectif, clairs et posés, font merveille[4].

Antérieurement à ce triste épisode, c’est bien dans la partition de ce King Arthur que Purcell déploie toute son inventivité d’écriture musicale, dans une partition dont on appréciera d’autant plus la modernité en se rappelant que nous sommes encore à la fin du dix-septième siècle (1691) et que Henry Purcell devait lui-même décéder très jeune (en 1695, à l’âge de trente-six ans, peut-être après avoir pris froid !). Le compositeur y démontre toute son inventivité, dans les chœurs et les parties vocales solistes, mais également dans une mise en exergue des différentes familles instrumentales, que ce soit les claviers, mais encore plus fûtes et hautbois, soutenant à de nombreuses reprises très harmonieusement les voix, ou encore les cuivres, présents, martiaux à défaut d’être totalement justes.

Hervé Niquet dirige Purcell comme il porte la queue de pie, non pas avec une élégance guindée, mais avec un naturel jubilatoire. Au diable la narration mythologisée de la naissance de la nation britannique, place au plaisir de la musique. Et le chœur du concert spirituel agira comme une phalange dont Hervé Niquet, en hégémon omniscient, conduira l’articulation. Replacé à l’arrière de l’orchestre, mais mouvant selon les airs, ce chœur[5] sert la musique comme la narration de l’œuvre. Une comédie musicale avant l’heure disions nous, alors autant multiplier les clins-d ’œil au genre, à l’exemple de ces parapluies multicolores qui surgissent, et que n’auraient pas reniés le Stanley Donen de la grande époque, ou encore cette collection de bonnets des plus variés au moment de l’Air du Froid, dont se couvrent choristes et musiciens, avec un sens certain de l’autodérision, plusieurs des bonnets glanés se distinguant par une élégance que nous qualifierions malicieusement de… très anglaise !

Au-delà de ces jokes et interactions avec le public, le plateau vocal de la soirée réserve lui aussi quelques motifs de satisfaction. Si Hervé Niquet fait le choix de jouer le fameux Air du Froid en mode presto, à complet rebours des habitudes et au risque de laisser de glace quelques spectateurs, c’est pour mieux en faire jaillir l’extrême malléabilité de la basse d’Andreas Wolf, qui sur cet air comme sur le reste de sa partition, éblouie de nuances, d’agilité, de richesse des inflexions et de précision dans sa projection. Ce n’est pas tout à fait nouveau, mais il est toujours utile de le rappeler, Andréas Wolf est l’une des voix de basse les plus remarquables en activité, abordant l’aria en en coulant les saccades par d’autres mises en exergue, d’une voix ronde, articulée, accentuée, qui jette un regard inhabituel, mais renouvelé sur ce classique.

A ses côtés, brille aussi Cyril Auvity qui nous gratifie ce soir d’une très belle voix de haute-contre, claire et maitrisée, notamment dans les aigus. L’artiste sait prendre des intonations plus joviales et plus « taverneuses » sur l’autre grand air de l’œuvre, le ripailleux Your hay it is mow’d…Old England.  L’on retrouve aussi chez Robin Tritschler cette attention au texte, bien que paraissant vocalement plus sur la réserve, assez académique en début de concert, son expressivité se déployant en cours de représentation et gagnant en complicité acquise avec Cyril Auvity dans les dernières parties.

Du côté féminin, nous soulignerons le très séduisant mezzo de Floriane Hasler, qui très habituée du répertoire français, trouve là un pendant lui permettant de mettre en valeur sa belle clarté vocale et la ligne droite de sa projection, soulignant les moments les plus structurants de l’œuvre, même si l’on peut regretter que cette partition de Purcell n’offre à ce type de voix des développements un peu plus fournis.

Hélène Guilmette, quant à elle, fait montre d’un soprano lumineux et ductile, d’une ampleur et d’un lyrisme se lovant parfaitement dans les morceaux qui lui sont dévolus, terminant de convaincre de la très bonne tenue vocale de la soirée.

La représentation s’étant cette fois poursuivie jusqu’à son terme, Hervé Niquet et le Concert Spirituel ont été longuement applaudis par les (très) nombreux spectateurs venus ce soir, pour un concert qui fut comme une récréation, un pur plaisir musical, qui malgré l’air du froid a (presque) mis le feu au Théâtre des Champs-Elysées.

 

Pierre-Damien HOUVILLE

[1] Rappelons à ce titre que Hervé Niquet souligne régulièrement la proximité entre l’Hymne Britannique, composé par Haendel et le poème de Madame de Brinon Dieu sauve le Roi, mis en musique par Lully.

[2] Une représentation qui pour l’instant n’a pu être reprogrammée, mais dont nous espérons bien qu’elle puisse l’être un jour.

[3] Une pièce reprise pour l’entrée du cercueil de la Reine Elizabeth II dans Westminster le 14 septembre 2022.

[4] Toujours pour les amateurs de synthétiseurs (s’ils existent… ?) faisons remarquer que cette marche, remaniée par Wendy Carlos se retrouve au générique d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971).

[5] Où l’on remarque au passage Yann Rolland du Trio Musica Humana récemment chroniqué dans un répertoire également anglais.

Étiquettes : , , , , , , , , , Dernière modification: 21 octobre 2025
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