Au temps de Louis XIII
Textes réunis par Jean Duron :
Denis GRENIER, Ut pictura musica gallica…ludovica : la lyre d’Apollon…au diapason de Mercure
Frédéric GABRIEL, Chanter Dieu à la Cour : théologie politique et liturgie
Théodora PSYCHOYOU, D’art et de science au temps de Louis XIII : ou de la musique comme un Janus
Olivier SCHNEEBELI, D’ombres et de lumière : la musique sous Louis XIII
Eugenia ROUCHER, Entre le bel estre et le paroistre : la danse au temps de Louis XIII
Anne SURGERS, « Les cadences et branles des Cieux » : spectacles, fêtes et cérémonies à l’époque de Louis XIII
Michel LE MOEL, La vie musicale au temps de Louis le Juste
Collection Regards sur la Musique, Centre de Musique Baroque de Versailles / Mardaga 2007, petit in-4 br., 172 p.
Les quelques lignes qui suivent ne prétendent évidemment pas résumer « Regards sur la musique… Au temps de Louis XIII », mais éclairer nos fidèles internautes sur quelques caractéristiques de la production musicale de l’époque et sur son contexte, afin de mieux apprécier les pièces qui sont parvenues jusqu’à nous (quand elles ont le bonheur de ressusciter à travers un spectacle ou un enregistrement !).
Car le premier constat que l’on peut faire aujourd’hui sur la production musicale de l’époque est que fort peu de pièces sont parvenues jusqu’à nous, surtout dans leur intégralité. A. Surgers nous rappelle ainsi que, de 1589 à 1643, plus de 800 ballets ont été dansés ! Le sens des œuvres a lui aussi été perdu : en particulier, les ballets (qui mêlaient intimement l’opéra et la danse) sont bâtis sur des allégories à plusieurs niveaux de lecture : les sentiments, mais aussi les derniers événements de la Cour ou de l’Histoire (en particulier les guerres) et le pouvoir politique. A l’époque de Louis XIII s’installent en effet les codes, repris et poussés à leur paroxysme sous Louis XIV, qui assimilent le Roi et la famille royale aux divinités de l’Olympe. Le ballet s’affirme ainsi comme instrument du pouvoir royal; il est aussi mis à profit par les artistes pour des satires sur les anecdotes de la Cour ou de la Ville (comme chez Molière), voire à l’encontre du pouvoir politique.
L’intéressante plongée dans la peinture et la sculpture de l’époque, décrites par D. Grenier, permet de resituer la musique de l’époque dans le courant des arts. Il faut en effet se remémorer, comme le rappelle T. Psychoyou, que la musique était classée jusqu’à la fin du XVIème siècle parmi les disciplines mathématiques (au même titre que l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie). Elle était alors fondée sur « les proportions de Pythagore » (attribuées à tort au célèbre mathématicien), qui établissaient des liaisons proportionnelles linéaires entre les sons et les caractéristiques physiques des instruments (notamment : longueur des cordes, ou poids des marteaux qui les frappaient). Selon cette théorie, la musique n’était rien d’autre que l’incarnation de l’Harmonie Universelle ! Le XVIIème siècle naissant établit de manière empirique mais certaine le caractère erroné de cette théorie, au profit d’une approche esthétique et sensible. Descartes lui-même écrit que « l’objet de la musique est le son ; sa fin est de plaire et de mouvoir en nous diverses passions ». Ami et soutien de Descartes, le père Mersenne tente de définir les nouvelles bases de l’approche musicale de son temps, à travers le développement de l’acoustique et la publication de nombreux traités musicaux.
L’approche théorique traditionnelle s’effondrant progressivement sous le poids des découvertes musicales et acoustiques, de nouveaux codes voient le jour, parfois dans la confusion, mais aussi avec richesse, et dans une liberté qui n’a pas encore été restreinte par le carcan lullyste. O. Schneebeli observe ainsi que l’inventivité se traduit surtout dans les motets, les messes classiques restant davantage marquées par la tradition. Le caractère déclamatoire s’installe dans la musique vocale, y compris religieuse.
Il faut aussi se souvenir que la musique religieuse de l’époque s’inscrit dans le contexte de la Contre-Réforme. L’Eglise en fait un instrument de sa reconquête de son pouvoir spirituel, ce qui incitera aussi probablement le Roi a s’en servir pour consolider un pouvoir temporel ébranlé par les guerres de religion du siècle précédent – qui ne sont pas alors encore totalement éteintes : Louis XIII effectuera le siège de La Rochelle en 1627-, la contestation du peuple ou des aristocrates (les Frondes), et les conflits aux frontières (Guerre de Trente Ans, rivalités avec l’Espagne malgré les mariages royaux). F. Gabriel explique ainsi comment les mêmes louanges ont pour objet de magnifier à la fois Dieu et le Roi.
En dehors de la musique religieuse, le ballet s’affirme comme le sommet de la musique civile. E. Roucher nous rappelle opportunément que le ballet n’est d’ailleurs pas limité à la Cour, contrairement à l’appellation qui lui est souvent accolée. Si les premières représentations des ballets ont souvent lieu à la Cour, devant le Roi (ou avec sa participation directe au spectacle !), les suivantes sont données devant un public plus large, généralement à l’Hôtel de Ville. Et les représentations sont popularisées auprès d’un public encore plus large à travers les gazettes et les gravures. Car le ballet est en réalité un spectacle complet : danse, opéra, avec des « machines » (des « effets spéciaux » dirait-on aujourd’hui), des éclairages stupéfiants et des pyrotechnies (les mêmes traités relatant la manière d’utiliser la poudre pour la guerre et pour les spectacles…), qui frappent les esprits contemporains.
La danse est elle même profondément enracinée dans la vie quotidienne de l’époque : l’adresse à la danse permet de témoigner de l’habileté physique nécessaire en temps de guerre… Les maîtres de danse font d’ailleurs généralement salle commune avec les maîtres d’escrime. Les danses traditionnelles se font plus techniques, initiant une évolution qui aboutira au début du XXème siècle à la danse classique française. L’Académie Royale de Danse est fondée en 1661.
A. Surgers nous restitue avec une intéressante documentation le cadre de ces spectacles, fort différent du théâtre à l’italienne que nous connaissons aujourd’hui. Les salles utilisées sont rectangulaires, munies de gradins au fond et sur les côtés. Il existe bien une scène établie sur une estrade, mais le spectacle se déroule aussi au parterre, les chanteurs et les acteurs arrivent tout aussi bien par la salle ou les côtés de la scène, le spectacle est aussi dans les gradins (notamment autour du Roi et de la famille royale, savamment répartis sur les gradins). Loin des salles à l’italienne où tous les yeux convergent vers la scène, le spectacle de l’époque envahit la salle, accentuant la perméabilité entre merveilleux et réel, entre allégorie et quotidien. Cette disposition est commune avec les espaces réservés aux cérémonies civiles (sacre, lits de justice,…), et comprennent les mêmes aménagements (notamment le dais qui abrite le Roi).
Et les musiciens dans tout cela ? M. Le Moël nous apprend que les trois formations principales qui entourent le Roi (Chapelle, Chambre, Grande Ecurie) s’étoffent en nombre, tandis que les Vingt-Quatre Violons se produisent aussi bien à la Cour qu’à la Ville. L’usage du clavecin se développe, et la régence d’Anne d’Autriche soutenue par Mazarin verra la venue à Paris des castrats italiens.
Mais les caractéristiques de la musique baroque française, désormais bien établies, la tiendront à l’écart des influences trop marquées du baroque italien, et se développeront de manière autonome dans un répertoire spécifiquement national.
Bruno Maury
Site de l’éditeur Mardaga
Site du Centre de Musique Baroque de Versailles