Musique et architecture
par Tiago SIMAS FREIRE
Les proportions musicales dans le dessin architectural de l’abbaye d’Ambronay,
visite-conférence par Tiago SIMAS FREIRE, musicien et architecte
Dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine et du festival d’Ambronay
Samedi 21 Septembre 2014 – Abbaye d’Ambronay.
« Parce qu’on peut expliquer une chose, on l’aime, on peut la comprendre »
Tiago Simas Freire est architecte. Il est aussi musicologue, et surtout musicien. A l’occasion des Journées européennes du Patrimoine, le Festival d’Ambronay lui confie pour la seconde année l’organisation d’une brève conférence portant sur les liens qui unirent musique et architecture à l’ère de l’Humanisme. L’occasion pour le visiteur curieux d’entrer avec simplicité dans une conception très éloignée des préoccupations de notre siècle, conception selon laquelle « rien n’est désordre dans l’Univers ».
L’Humaniste porte sur le monde un regard analytique, motivé par son désir de compréhension et d’appropriation. A l’aide de schémas concis et d’illustrations choisies, Tiago Simas Freire donne au quidam de comprendre le moteur de toute la création artistique qui vit le jour entre les XVème et XVIIème siècles, se référant aux connaissances antiques qui inspirèrent justement la pensée humaniste.
S’il n’y avait qu’une chose à retenir, ce serait sans doute celle-ci : « Toi, Seigneur, tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids. » (Livre de la Sagesse, chap.11 verset 20). L’Humaniste est un homme croyant, chrétien. Il croit en Dieu un, unique, indivisible (ce qui n’exclut pas la Trinité), symbolisé par le point, le cercle, le point de fuite pictural, le chiffre 1, et l’unisson en musique. Le 1, c’est aussi l’instant premier de la Création du monde. L’Humaniste croit également que l’univers est régi par des lois arithmétiques. Rien n’est dû au hasard, tout peut être embrassé par l’intelligence humaine, conçue à l’image de l’intelligence divine. L’homme peut appréhender le fonctionnement du monde par des principes mathématiques, et entrer à son tour dans un processus créateur aussi parfait que « le vrai » (celui de Dieu), en respectant ces mêmes principes. Car l’idéal de l’Humaniste est bien d’atteindre la perfection, et de s’intégrer dans « l’harmonie universelle. »
Mais tout, ou presque, commence avec Pythagore, qui remarque l’invariabilité du rapport des harmoniques du son. Autrement dit, si on considère un instrument de musique, ou n’importe quel outil émettant un son, et qu’on en fait une réplique exacte, celle-ci produira le même son1 ! C’est la constance du rapport de proportion. Pour les Anciens, ce constat, fait au sein même de la Nature est digne d’admiration.
Dans la suite de son exposé, notre guide rend compte des influences réciproques entre musique et architecture, qu’il faut voir d’une manière générale ; les arts n’étant en effet que les moyens de manifester aux sens la théorisation des nombres régissant l’Univers. Les architectes n’ont pas cherché à « transcrire » la musique, ni à la traduire dans leur langage propre. Il s’agissait dans les deux domaines de « respecter les principes mathématiques générateurs du micro cosmos et du cosmos. » Les consonances parfaites rendent cependant les choses plus évidentes pour l’oreille occidentale, car elles correspondent aux intervalles harmoniques les plus agréables aux points de vue physique et physiologique. Les proportions (1, ½, 2/3, ¾) et les nombres les plus petits (1, 2, 3, 4) sont les plus parfaits ! Ils se traduisent par l’octave, la quinte et la quarte, le cercle, le carré, et certains rectangles. Quatre, c’est aussi le nombre de saisons, d’humeurs, d’éléments, d’états de la matière… tout ce qui existe s’y retrouve. L’œuvre la plus parfaite sera celle qui respectera au mieux ces lois.
Dans son traité De re aedificatoria (1485), Leone Battista Alberti précise que « nous devons prendre toutes nos règles des proportions harmoniques aux musiciens » ; l’architecture est légitimée comme art libéral par la science des nombres issue de la musique. A la suite du Codex Sangalinis (très ancien, il date de 1092) qui demeura pour plusieurs siècles le plan de référence pour la construction des monastères en Europe, d’autres sources attestent des exigences de construction conformément à cette esthétique. Notamment les plans d’édifice religieux, lieu privilégié de la rencontre avec le divin.
Suite aux guerres de religion et aux différentes réformes, le style baroque arrive en réaction à cet idéal de perfection et d’unité. L’histoire a montré que le cœur de l’homme n’était pas sans remous. Las de cet équilibre, on provoque la rupture, par besoin de montrer le mouvement intérieur des passions. L’art désormais est sans mesure ; il représente la démesure, l’infini.
Tiago Simas Freire conclut son exposé par la visite de salles emblématiques de l’art des proportions, expliquant à chaque fois le plan choisi, et les rapports à l’œuvre. Espérons que le Festival d’Ambronay lui permettra de renouveler cette initiation passionnante, et pourquoi pas de l’agrémenter d’une illustration musicale.
Isaure d’Audeville
1 : en considérant la proportion de l’appareil vibratoire : tuyau, corde…
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