Rédigé par 16 h 48 min CDs & DVDs, Critiques

Redécouverte (Montigny, Grands motets, Ensemble Antiphona, Muleika – Paraty)

Joseph Valette de Montigny (1665 – 1738)
Grands motets
Surge propera
Salvum me fac Deus

Eva Tamisier, Coline Bouton (dessus)
David Tricou, Charles d’Hubert (haute-contre)
Pierre Perny, Clément Lanfranchi (taille)
Timothée Bougon (basse-taille)
Raphaël Marbaud (basse)

Ensemble Antiphonas,
direction Rolanda Muleikas

1 CD Paraty, 2021, 54’53.

Voici une redécouverte tout à fait remarquable due en partie au regretté musicologue Benoît Michel : ces deux grands motets de Joseph Valette de Montigny – joués tous deux en 1730 pour des occasions exceptionnelles, l’un pour une procession des Pénitents Bleus l’autre lors d’une exécution extraordinaire à la Cathédrale Saint-Sernin de Toulouse – dénotent assurément une écriture de grande valeur. Sébastien de Brossard trouvait sa musique “excellente”, et si le chef Rolanda Muleikas s’avance peut-être un peu trop en affirmant qu’“ils [ces motets] sont pour moi de valeur égale aux motets de Lully, Charpentier, Lalande”, l’on tient là des pièces admirables, qui lorgnent plutôt du côté de l’élégante fluidité d’un Clérambault, et font surtout songer à un autre grand compositeur occitan, Mondonville, pour son sens des couleurs, sa clarté mélodique, son optimisme solaire et son écriture très imagée voir théâtrale, notamment dans le chœur “Veni altitudinem maris” du Salvum me fac Deus avec ses effets de flux et de reflux traduisant les mouvements des flots, digne d’une tempête de tragédie lyrique, qu’on peut rapprocher du “Mare vedit” de In exitu Israel plus tardif (1753) dudit Mondonville. Toutefois, comme le confie le chef dans l’entretien qu’il nous a accordé, il est peu probable que les deux compositeurs se soient influencés, et il faut davantage y voir les traits d’un style méridional.

Ces motets de facture tardive ont conservé le cœur à cinq voix versaillais et la structure savamment bâtie autour de l’alternance entre les échappés solistes et les passages choraux plus massif. L’orchestre n’est plus qu’à trois ou quatre parties mais subsiste encore quelques oppositions entre petit et grand chœur, quoiqu’il ne s’agisse plus de l’ axe principal.

Rolandas Muleika et sa phalange Antiphona abordent ce répertoire avec un souriant respect, une noble élégance et une musicalité sensible. L’atmosphère sereine et colorée, les tempi très équilibrés, la pureté du contrepoint des passages solistes dressent une image sonore opulente et aérée, lumineuse et festive. L’on goûte particulièrement les chœurs, qui, selon les mouvements se révèlent soit précis et délicats, soit d’une spontanéité moins millimétrée mais à l’enthousiasme communicatif. Peut-être une certaine hétérogénéité des prises de son lors du montage explique t-elle ce petit et curieux paradoxe et l’on aurait aimé profiter de prises plus longues, encapsulant longuement ce souffle cérémonial et jubilatoire.

Les solistes dénotent une extrême cohésion, et une connaissance fine du style du grand motet à la française, qu’il s’agisse de la prosodie, des articulations ou de l’équilibre de funambule à trouver lors brefs ensemble solistes sans cesse renouvelés, et où Valette de Montigny fait particulièrement preuve d’une écriture inspirée. L’on citera notamment parmi les sections du Surge propera le superbe récit de basse-taille “Audiat homo et intelligat” qui voit Timothée Bougon au timbre stable et riche enveloppé de la douceur poétique du basson, le récit de taille et trio de haute contre, taille et basse “O tui nimis prodiga Deitas” ample et fervent, le touchant “Ego sum pauper” où le remarquable dessus (d’Eva Tamisier ou de Caroline Bouton ?) se livre à un récit d’une céleste droiture, aux ornements naturels, discrètement mais richement soutenu par les entrelacs des basson et violoncelle. De même on admire la stabilité ferme de Raphaël Margot et les haute-contre bien tempérés mais différents de timbre de David Tricou et Charles d’Hubert.

L’orchestre se distingue par l’attention portée aux instruments obligés et à la basse continue à la fois présente et très colorée : bassons, serpent, violoncelle, hautbois et flûtes sont particulièrement bien mis en valeur, de même que le ductile premier violon, et dialoguent presque d’égal à égal avec les solistes.  L’on regrettera un peu que les trompettes et timbales (très graves et mates) soient plus polies que martiales (“tubae sonitu” du Surge Prospera) et que l’orchestre se tienne souvent sur une respectueuse réserve, notamment dans les attaques des cordes, sauf dans certains passages plus théâtraux comme la magnifique tempête du “Veni altitudinem maris” du Salvum me fac Deus précitée, véritable morceau opératique. L’on aurait goûté davantage de contrastes et de dynamique, sans aller jusqu’à l’irrésistible force d’un Hervé Niquet dans les préludes et simphonies ou dans le “Laudabo nomen” dei final par exemple.

 Jamais deux sans trois ? Souhaitons vivement après cette redécouverte notable que ce proverbe nous mènera au dernier grand motet du Beatus vir de Valette de Montigny, que nous attendrons avec impatience.

Viet-Linh Nguyen

Lire aussi :

a partition du motet « Surge propera” porte le cachet de lʼAcadémie des Beaux-Arts de Lyon, attestant dʼune e x é c u t i o n d a n s c e t t e v i l l e , vraisemblablement entre 1713 et 1738. Le texte mis en musique a été édité sous forme de livret dont deux des trois exemplaires conservés sont à Toulouse. Cette source littéraire nous apprend que ce motet a été «chanté à la procession de la Compagnie Royale de messieurs les Pénitens Bleus le 11juin 1730 ».Le second motet de ce programme,
intitulé « Salvum me fac Deus », dont l a p a r t i t i o n e s t c o n s e r v é e à l a Bibliothèque Nationale de France, est également destiné à Toulouse. Cʼest encore une source littéraire, le livret édité (conservé à Grenoble) qui nous renseigne sur le contexte de sa composition. Aussi datée de 1730, lapièce est destinée à «la fête de Saint-Sernin ». Petit détail supplémentaire, la partition musicale a été copiée par un éminent compositeur toulousain, alors simple chanteur de la chapelle de musique de Saint-Sernin : Bernard-Aymable Dupuy !
Ces deux oeuvres sont des pièces d e s t i n é e s à d e s c é r é m o n i e s extraordinaires, nécessitant un effectif conséquent : six voix solistes, un choeur à c i n q p a r t i e s e t u n e n s emb l e instrumental, avec flûtes, hautbois, cordes et basse continue. Dans de semblables occasions, les musiciens des deux chapelles toulousaines, celle de la cathédrale Saint-Étienne et celle de S a i n t – S e r n i n , r é u n i s s a i e n t l e u r s chanteurs et musiciens afin de constituer un ensemble fourni, donnant ainsi un lustre particulier à de telles célébrations.

Étiquettes : , , , Dernière modification: 25 septembre 2021
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