
Georg Friedrich HAENDEL
(étonnamment orthographié “George Frideric Handel” sur la jaquette, graphie rare)
Alexander’s Feast or The Power of Musick
Oratorio en deux parties, sur un livret de Newburgh Hamilton, d’après John Dryden, créé au Théâtre de Covent Garden de Londres, le 19 février 1736
Miriam Kutrowatz, soprano
Daniel Johannsen, ténor
Damien Gastl, basse
Arnold Schoenberg Chor
Zefiro Baroque Orchestra
Direction Alfredo Bernardini
1 CD digipack, enregistrement en concert le 21 juin 2024 à Graz, en Autriche, Arcana 4 582, 81’45 (livret trilingue anglais, allemand, italien, mais pas français)
Alexander’s Feast est trop peu joué. Peut-être est-ce parce qu’il n’y a pas de drame ni de personnage ? Mais on peut en dire quasi autant de la Resurezzione ou même du Messie. Et le genre de l’Ode, à Sainte Cécile ou pour les Anniversaires royaux par exemple, est assez commun Outre-Manche. Le propos n’est que prétexte à un immense divertissement en musique : Alexandre le Grand célèbre aux côtés de Thaïs sa victoire sur Darius. Cette ode à Alexandre est un hymne à la Musique et Mozart ne s’y trompa pas en proposant une adaptation. Au disque, dès la fin des années 70 Harnoncourt livra une version un peu brute (Teldec), avant celle, très lumineuse de Gardiner (Philips) qui demeure inégalée. Ici, c’est la version de la création (devant 1300 personnes à Covent Garden, rien de moins) qui est donnée, mais hélas, le chef n’a pas poussé la recréation jusqu’à intercaler les trois concertos (HWV 294 ; HWV 318, et HWV 289, The Sixteen en avait retenu deux) et une cantate italienne. L’œuvre connut un grand succès et fut jouée 25 fois entre 1736 et 1755.
Alfredo Bernardini lui rend cependant justice : lui qui était si rêveur voire placide dans ses Vivaldi, a su insuffler un sens de l’urgence et du théâtre à une œuvre justement assez contemplative, choisissant résolument du langage plus compassé de l’oratorio pour une débauche sonore colorée, à la vivacité fière, aux changements d’affects sans rupture. L’orchestre Zefiro est splendide dès l”Ouverture, plein dans les graves, d’une beauté musicale irradiant, d’une subtilité de cinéma d’avant-garde. On s’en félicitera d’autant plus que l’excellente captation a été faite sur le vif. Idem l’Arnold Schoenberg Chor, d’une cohésion et d’une implication sans faille (scintillant “th list’ning crowd admire the lofty sound” qui se défait dans l’azur, “the many rend the skies” irrésistible d’élan, et avec des entrées en imitation et des nuances de crescendos incroyables !).
Hélas, le plateau vocal n’est pas à la mesure du conquérant. Quand on songe que lors de la création la soprano Anna Maria Strada del Po et le ténor John Beard étaient présents, on ne peut que déplorer les prestations acceptables de leurs successeurs, en particulier le ténor nasal de Daniel Johannsen, et la basse approximative de Damien Gastl. Dès “Happy, happy, happy pair”, le premier est à la peine face à un orchestre délié et solaire : on déplore des aigus tendus, une émission instable, un timbre peu agréable tandis que les vocalises savonnées (sans compter les respirations essoufflées et le ralentissement involontaire !), défauts d’intonation. De même “the princes applaud with a furious joy” voit l’orchestre vif et nerveux déboucher sur une Berezina où la brutalité des attaques et des consonnes (ces “rrr” mitraillés) compensent l’absence de tenue de la ligne et les ornements là-encore franchement ratés. Damien Gastl chante Bacchus : les cors sont là, les hautbois aussi, l’émission large et généreuse laisse d’abord admirer des graves chaleureux, mais le medium est pauvre, les nuances limitées, et les articulations hachées. Reste Miriam Kutrowatz, dont le soprano sensible et doux, presque tendre, vient apporter rondeur et sensualité mais aussi noblesse tragique (très bel accompagnato “He chose a mournful Muse” puis air déchirant “He sung Darius”, parmi les plus réussis de l’enregistrement). On devine une projection faible (toujours difficile à apprécier dans un enregistrement), mais la musicalité souriante et naturelle, la fluidité du chant, les aigus perlés emportent l’adhésion (arioso “Softly sweet in Lydian measures” avec son violoncelle obligé complice). Bien sûr, Miriam ne parvient pas à nous faire oublier Nancy Argenta ou Donna Brown, mais la soprano s’élève incontestablement au-dessus du reste du casting.
Demeure une interprétation variée, vive mais sans aspérités (la plus “profane” et opératique parmi les concurrents plus sages), un orchestre colorée et texturé, un chœur superbe, mais des solistes hétérogènes et assez discutables. En dépit de cette dernière réserve, on placera ce nouveau venu sans rougir à côté de la gravure historique de Gardiner, ou de celle plus chambriste de Harry Christophers (Collins).
Viet-Linh Nguyen
Technique : captation de concert quasi digne d’un studio. Bel équilibre sonore, précision du rendu.
Étiquettes : Arcana, Arnold Schoenberg Chor, Bernardini Alfredo, Gastl Damien, Haendel, Johannsen Daniel, Kutrowatz Miriam, Muse : argent, Outhere, Zefiro Dernière modification: 18 septembre 2025
