Wolfgang Amadeus Mozart,
Die Entführung aus dem Serail
Dir. Kaspar Zehnder, Orchestre national de Lorraine
Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)
Die Entführung aus dem Serail (1782)
L’enlèvement au Sérail
K 384
Singspiel en trois actes
Livret de Gottlieb Stephanie
d’après la pièce Belmont und Konstanze de Christoph Friedrich Bretzner
Création au Burgtheater, Vienne, 16 juillet 1782
Sara Hershkowitz, Konstanze
Léonie Renaud, Blonde
Sébastien Droy, Belmonte
Emilio Pons, Pedrillo
Mischa Schelomianski, Osmin
Jean-Marc Salzmann, Pacha Selim
Direction musicale: Kaspar Zehnder
Orchestre national de Lorraine
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole,
sous la direction de Nathalie Marmeuse
Les enfants : Thibaud Bailly, Hermance Bellenguez, Selma d’Alimonte, Pénélope Henry, Vincent Mervelet
Figuration : Aziz Alloua, Marie Billet, Emile Deutsch, Charlène François, Frédéric Franczak, Danielle Gabou, Ophélie Gaugue, Romain Laurent, Mathilde Marmeuse, Léa Razée, Jonathan Riggio
Mise en scène : Joël Lauwers
Décors et Costumes : Etienne Pluss
Lumières : Patrice Willaume
Chorégraphie orientale : Jacqueline Abdelkader
Chef de chant : Jorge Gimenez
Assistant à la direction musicale : Mihhail Gerts
Assistante à la mise en scène : Sumaya Al-Attia
Production du Prague National Theatre Opera
Représentation du dimanche, 22 février 2015 à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Même si la Turquie peut s’avérer lointaine… A l’époque où Mozart compose l’Enlèvement au Sérail, Die Entführung aus dem Serail, les empires ottoman et autrichien sont limitrophes. Ce sublime pays se trouve donc à quelques encablures du monde occidental. La puissance turque s’exerce de la Méditerranée orientale jusqu’à une grande partie de l’Afrique du Nord. La mer Méditerranée s’impose en tant que frontière naturelle entre civilisations chrétienne et musulmane.
Né de la volonté de deux hommes, le roi d’Autriche et de Hongrie Joseph II et Wolfgang Amadeus Mozart, de créer un théâtre musical en langue allemande, Die Entführung aus dem Serail (1782) apparaît donc comme la première œuvre dramatique d’envergure dans la langue de Goethe, lui-même auteur de livrets de singspiele. D’ailleurs ce dernier saluera vaillamment l’œuvre de Mozart. Ces deux protagonistes souhaitent surtout endiguer, « canaliser » le raz de marée généré par l’Opera buffa italien et l’opéra comique français.
Le « Singspiel » ou « jeu chanté » littéralement prend donc vie ! Ce genre, apparu au XVIIIe siècle, est un type d’opéra germanique et en langue allemande, fondé sur l’alternance entre des dialogues parlés, remplaçant les récitatifs, et des airs chantés (chants ou arias). Son intrigue se résume souvent à un subtil mélange dosé par la complexité des personnages, leurs sentiments et leurs expressions, leurs contradictions et bien souvent leurs doutes et le comique de la situation qui peut en découler. En l’espèce, deux couples cherchent à se retrouver, à retrouver l’amour, l’Amour vrai et sincère.
C’est d’ailleurs animé par cette recherche amoureuse semée d’embûches, que Joël Lauwers va insuffler une originalité fort plaisante dans la création de sa mise en scène. Il convie artistes, musiciens et spectateurs bien entendu à cheminer sur un parcours en quête de l’idéal d’humanisme et de tolérance. Les deux couples mythiques Konstanze/Belmonte et Blonde/Pedrillo ainsi que le Pacha et son fidèle serviteur useront à tour de rôle d’un sens inné de dramaturgie en dressant sans honte leurs fragiles certitudes.
Le metteur en scène sait s’allier d’un talentueux et éclectique décorateur-costumier, Etienne Pluss, pour apporter un effet de relief à cette brillante turquerie. Le régulier mouvement des décors transporte l’auditeur « immobile » d’un intérieur de maison bourgeoise européenne aux boiseries grises rehaussées de tableaux de maîtres, jusqu’aux portes du Palais en s’immisçant dans l’intérieur même du sérail. Les costumes, signés de la même main que le décor, allient avec soin le modernisme et « l’ancien » sans tomber dans l’orientalisme à outrance !
Kaspar Zehnder, à la tête de l’Orchestre national de Lorraine, donne une lecture conventionnelle de la partition et reste campé dans un exotisme conventionnel. Après une introduction courte faisant alterner sans cesse « forte » et « piano », la ligne musicale se pare d’une fluidité sans brillance particulière, à part les heureux effets de timbres lors des « turqueries » ; musiques alla turca. Lors de ses interventions, bien que trop rares, notamment le chœur des Janissaires “Singt dem grossen Bassa Lieder”, le Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole offre généreusement avec force sa belle maîtrise vocale, travail mené sous l’égide de Nathalie Marmeuse. Les oreilles attentives se délectent par la couleur et l’homogénéité de cette formation. Son professionnalisme se faisait déjà remarquer avec la précédente production, Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier, donnée en janvier dernier en ces mêmes lieux. Adressons de même un bravo mérité aux enfants et figurants de ce singspiel.
Le rôle de Konstanze est confié à Sara Hershkowitz, soprane d’origine américaine. Elle nous livre sa voix pure dès le premier air chanté “Ach ich liebte, war so glücklich”, malgré la tension que lui imposent les onze contre-ré de cet air. Elle nous dévoile avec brio l’image d’une héroïne tragique. Konstanze, prisonnière du Pacha Sélim, est prête à subir “toutes sortes de supplices” et “se moque des tortures et souffrances” – “Marten aller Arten”. Dans cet air, à l’envergure exceptionnelle, ignoré jusqu’en juillet 1782 et écrit pour une voix d’exception Katharina Cavalieri, créatrice du rôle, Konstanze ose exprimer avec véhémence sa liberté d’aimer le seul amour de sa vie, le beau Belmonte.
Le bien-aimé, rôle tenu par Sébastien Droy, fait preuve d’aplomb, stabilité vocale contrôlée lui permettant des départs et des fins de phrases soignés et précis. La préparation du moule se fait naturellement, impliquant ainsi une émission saine. Il jouit d’une bonne projection dans “Hier soll ich dich denn sehen”. Il manifeste avec une rondeur vocale la douleur de la séparation “Konstanze ! Konstanze ! dich wieder zu sehen”, à tel point qu’il est victime d’un rêve, d’un mirage, l’apparition de sa dulcinée.
Les seconds rôles que sont Blonde et Pedrillo, ne sont pas pour autant des rôles mineurs. Léonie Renaud campe une « Blonde » à fort tempérament. Elle repousse les tentatives incessantes et insistantes d’Osmin “Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln” qui fait valoir qu’elle est sa propriété. Elle refuse, déclarant fièrement, qu’elle n’est la propriété de personne. Il fulmine et elle le menace de l’attaquer. Pedrillo annonce à Blonde que Belmonte est arrivé et que tout est prêt pour l’enlèvement. Blonde exulte “Welche Wonne, welche Lust” mais s’inquiète d’Osmin. Pedrillo la rassure en lui expliquant qu’il mélangera un somnifère à du vin qu’il fera boire au serviteur du pacha. Elle sort pour informer Konstanze.
Osmin rentre, et Pedrillo, tenu par le ténor Emilio Pons, l’invite à boire “zum Frisch Kampfe”; “Vivat Bacchus ! Bacchus lebe”. Son plan ayant réussi, les deux couples se réunissent («Ach Belmonte ! Ach, mein Leben»). Cependant, pris de suspicion, Belmonte et Pedrillo interrogent avec inquiétude leurs fiancées respectives pour savoir si elles sont restées fidèles au cours de leur séparation forcée. A leur plus grande joie, les femmes réagissent avec indignation et consternation. Elles leur pardonnent néanmoins ces questions. Face aux couples Konstanze-Belmonte et Blonde-Pedrillo se trouve Osmin, gardien pittoresque et truculent, rôle confié à la basse Mischa Schelomianski. Disposant d’une voix ample et d’une profondeur inégalée, il ira chercher par deux fois le ré grave dans l’air “Wie will ich triumphieren”, tant redouté par ses condisciples. Non seulement de posséder cette noble voix grave, il révèle son talent comique et le public saura d’ailleurs l’honorer à plusieurs reprises.
Enfin, ne négligeons pas le rôle du Pacha Sélim, incarné par Jean-Marc Salzmann. Même s’il ne s’exprime que par la parole et non le chant, il use de toute sa voix pour véhiculer avec éloquence une riche palette d’émotions : la distance à l’encontre de Belmonte, le respect dont il témoigne envers Konstanze qui le repousse, la colère lorsqu’il la menace de lui faire subir toutes sortes de supplices et surtout sa clémence accordée à Konstanze et Belmonte. Bravo à lui pour cette performance théâtrale !
Nous louerons globalement le plateau, doté d’un bel équilibre : chacun de ces solistes dénote une personnalité propre tandis que les protagonistes s’enchaînent les uns aux autres dans la complicité, la fluidité et l’élégance, se regroupent en duo ou en quatuor pour dialoguer avec les cordes.
En dépit d’une direction manquant de vision, nous saluerons donc ce voyage intérieur dans l’âme humaine, qui souvent prisonnière de nos passions, nous empêche d’aimer vraiment, c’est-à-dire avant tout, écouter, comprendre et respecter… Et cela Mozart l’avait compris.
Jean-Stéphane Sourd Durand
Étiquettes : Jean-Stéphane Sourd-Durand, Mozart, opéra Dernière modification: 6 juin 2020