« Il Canto d’Orfeo »
Oeuvres de Francesco Rassi, Antonio Brunelli, Marco Uccelini, Stefano Landi, Giovanni Maria Nanino, Sigismondo d’India, Luigi Rossi, Dario Castello, Tarquinio Merula, Giovanbastista da Gagliano, Giovanni Battista Fontana, Benedetto Ferrari, Francesco Capello
Claire Lefilliâtre (Soprano) – Jan Van Elsacker (tenor)
Il Trionfo del Tempo : Maia Silberstein (violon), Liesje Vanmassenhove (flûte à bec), Paulina Van Laarhoven (viole de gambe), Simen Van Mechelen (trombone alto et tenor), Thomas Boysen (guitare baroque/théorbe), Bart Rodyns (orgue positif/clavecin).
Direction Jan Van Elsacker
57’21, Klara, 2009.[clear]
Il canto d’Orfeo nous mène aux sources du baroque, aux sources de l’opéra. La voix que cet enregistrement nous fait entendre est celle qui chante les amours perdus, mais qui ne meurt jamais, tant que la lyre vibre à l’unisson du monde… Mais si la lyre devenait muette qu’adviendrait-il ? Dans la Florence de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, la quête d’un idéal humaniste, conduit la Camerata Bardi à tenter de retrouver la musique sensée accompagner les grandes tragédies grecques. Dès la fin de la période médiévale, Orphée devient l’un des sujets préférés des poètes et librettistes qui avec les compositeurs florentins puis romains donnent le jour à l’opéra. Le poète chanteur, fils d’Apollon, a de quoi fasciner, lui qui par sa musique et ses vers nous parle de l’amour et de la mort. Au nom des affects qu’il exprime, les musiciens osent tout pour accompagner ces mots qui deviennent la raison d’être de la musique.
Cet enregistrement soigneusement composé, qui du bonheur des premiers instants, nous conduit très vite aux abymes du désespoir et de l’abandon… Jusqu’au silence de la lyre… Il s’agit d’un programme d’airs entrecoupés de trois morceaux instrumentaux, qui révèle bien des audaces créées en cette période bouillonnante.
On y retrouve des compositeurs dont certains sont méconnus, comme Giovanni Maria Nannino ou Francesco Capello. D’autres évoquent un souvenir lointain, tel la voix du premier Orphée que fut Francesco Rasi qui ouvre ce CD ou Benedetto Ferrari qui aurait écrit le duo qui conclut le Couronnement de Poppée.
Déstructurant la matière par des rythmes nouveaux, s’enhardissant de dissonances déchirantes, tous ces compositeurs deviennent des Caravage ou des Titien de la musique. Leurs œuvres sont parfois si farouches ou si douloureuses que l’auditeur moderne ne peut que se reconnaître dans cette expressivité des affects. L’ensemble des interprètes de ce disque, malgré une prise de son parfois un peu froide ou dure, dessine le drame qui se noue. Leur présence si sensuelle, si lumineuse se joue des ombres de l’âme.
Le mouvement de la danse s’empare de cette musique, en quête d’un spectacle total. Elle se livre à l’ivresse dans des bergamasques, chaconnes et autres basses obstinées… Elle s’exprime, par le son enchanteur d’une flûte ou d’un violon qui se provoquent entre eux. Dyonisiaque, elle devient le drame de la lyre.
Ainsi la voix d’Orphée revient des Enfers, O che felice de F. Rasi est un air d’une grande tendresse qui dit le bonheur d’aimer. La douceur du théorbe, le timbre et le phrasé aristocratique de Jan van Elsacker, évoque un monde à la bienheureuse harmonie. Séduisant, il nous émerveille par la suavité de sa ligne de chant. Il sait être aussi un tragédien poignant dans le long récitatif Che vegg’io de Sigismondo d’India
Claire Lefilliâtre se joue des clairs obscurs. Si son timbre radieux et sensible s’harmonise si bien dans les duos, avec celui de Jan van Elsacker, il devient flamme ondulante, douleur irradiante dans Se dolente e flebilile de Luigi Rossi. Elle fait des mots des poignards, tels « Dolente » ou « morira », qui nous percent, nous abandonnant à la souffrance. Son phrasé, sa diction, son art si délicat de l’ornementation baroque est d’une virtuosité comparable à celle du violon qui dans la sonate de Castelllo qui suit cet air tente dans ses courbes et contre-courbes de raviver l’amour de vivre en nous ensorcelant. Deux interprètes exceptionnels accompagnés des délicats musiciens d’Il Trionfo del Tempo, font palpiter à toutes ces facettes de la perception de l’amour ou de la mort. La séduction, le plaisir de ces œuvres nous est rendu dans cet enregistrement d’autant plus rare et précieux que leur beauté est une source de vie.
Monique Parmentier
Technique : trop proche des instruments, parfois un peu « chirurgicale ».