« Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n’empêcheront pas la venue du printemps »(Proverbe afghan)
Et voici le printemps et avec lui les premières déconvenues.
Je connaissais Philippe Herreweghe pour la remarquable cohésion de ses chœurs, pour l’intelligibilité de son phrasé et la spiritualité qu’il imprimait à ses interprétations de cantates du Cantor de Leipzig. Or quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre hier interpréter le célèbre Concerto pour violon BWV 1041 et le Concerto pour clavecin BWV 1052 de Bach dans une optique toute post-baroque (*). D’emblée, on est frappé par un tissu de cordes compact, lourd, adipeux contre lequel même Kenneth Weiss et son clavecin lutteront en vain. Loin de laisser s’épanouir le dialogue musical, P.H. (mesure d’acidité en chimie, d’ailleurs) dirige sa grosse phalange sans finesse aucune, multipliant les crescendos anachroniques, comprimant la mélodie sous les réflexes nerveux d’un orchestre pourtant mollasson. Les attaques sont imprécises, vagues mais cela semble voulu alors que Sirkka-Liisa Kaakinen-Pilch, le premier violon joue debout, telle une star, et rajoute du vibrato à qui mieux mieux, ce qui n’évite pas les fausses notes. Les timbres sont lisses, aseptisés, et même ce petit côté grinçant dû aux harmoniques des cordes en boyau est imperceptible. Certes, il y a des soirs où le Collegium Vocale Ghent peut être en petite forme mais ici l’heure est grave car ce n’était pas un mauvais concert, loin de là.
Le problème était que cet orchestre baroque renommé n’avait plus rien de baroque !!! Ni le son des instruments, ni les ornements et tempos ni même la façon d’appréhender l’œuvre de façon générale.
Quand on interprète des œuvres aussi célèbres, l’erreur n’est plus admise, tant l’auditeur possède de points de comparaison. Aussi, on excusera mon indignation excessive. Cependant…est un Bach sirupeux, noyé dans une sauce wagnerienne que nous voulons ? Un Bach de virtuosité gratuite avec un soliste/acteur contre un orchestre/faire-valoir ? Un Bach dirigé par un chef d’orchestre, quand la petite formation de Köthen n’en avait nulle besoin et où le premier violon ou le claveciniste donnait la mesure ? Un Bach monolithique où la dimension concertante du concerto a été oubliée ?
Non !!! Alors à quand la pétition mondiale pour que Bach, téléporté en notre XXIème siècle de dissonances et de fin de la mélodie, finisse par reconnaître les œuvres dont il est le (génial) compositeur ?
Viet-Linh Nguyen
(*) Cité de la Musique. Cycle Bério-Bach. 20/03/2004
Sirkka-Liisa Kaakinen-Pilch (violon), Kenneth Weiss (clavecin)
Collegium vocale de Gand, Philippe Herreweghe (direction)