Féileacán
Ensemble Toss the feathers :
Dimitri Boekhoorn : harpes, Irish whistles
Tina Chancey : viole da gambe, violin
Valerie Loomer : théorbe, guitare Renaissance, cithare
74’20, 2013.
[clear]Toss the feathers, c’est avant tout le nom d’un vieil air de cette verte Erin, de celle immortelle ou recréée, rêvée et fantasmée dans sa difficile lutte contre la domination anglaise qui débuta un beau jour de 1066 lorsqu’un certain Strongbow mit le pied sur l’île. Si les mélomanes ont désormais l’habitude de redécouvrir la musique ancienne populaire, sous l’impulsion des Witches ou de l’Arpeggiata par exemple, si les cartes se brouillent aisément entre musique savante et musique populaire, que ce soit au détour des tarentelles, ou bien de Bach composant pour ce Café Zimmermann qui somme toute n’était qu’une auberge, une approche historiquement informée de la musique irlandaise demeure assez marginale, et beaucoup d’entre vous se contente sans doute des emballements enthousiastes et braillards des Dubliners. Toss the feathers vient redorer ce blason avec vivacité et inspiration, dans un opus consacré à la fois au répertoire écossais et irlandais, principalement des XVIIème et XVIIIème siècles mais avec des pièces plus tardives quoique stylistiquement très similaires.
Nous avouons avoir été quelque peu perplexes à la réception de cet opus, difficilement disponible chez vos disquaires habituels. Sous l’avalanche des parutions de ces derniers mois, cet enregistrement de musique traditionnelle, plus folk que baroque, instinctivement associé à quelque pub chaleureux, avait été oublié, de même que le jugement éloquent d’Hopkinson Smith au sujet de l’ensemble “This is very charming and fun. Light as a feather, sweet as honey, and a touch of melancholy here and there in the patches of sunshine…”. Erreur, puisqu’en dépit d’effectifs modestes, cette balade celte dénote à la fois un enthousiasme, une poésie et une variété de tons et de couleurs tout à fait remarquables, qui pourra hélas vous conduire à dénigrer vos musiciens de taverne habituels.
La fraîcheur spontanée du trio est communicative : dès The Butterfly, on admire les arabesques perlées de la harpe de Dimitri Boekhoorn (qui joue également de l’Irish whistle) et les évolutions du violon Renaissance grainé, un peu aigu (d’après un Amati de 1594 toutefois bien précoce pour ce répertoire), très fluide de Tina Chancey. Mais ce sont les constantes combinaisons de timbres et changements de climats qui hissent l’enregistrement bien au-delà de quelques dansantes réjouissances à la manière de The Star of the County Down bien célèbre, où la flûte irlandaise virtuose et sautillante de Boekhoor enfile avec humour les doubles croches. Poll Ha’penny et les titres suivants, avec d’évocatrices cordes pincées, et un violon plus ample et détendu, confèrent aux airs une simplicité nostalgique et rêveuse tandis que la cithare de Molly MacAlpin résonne et éclot avec une grâce lasse. On citera également la belle plainte Amhrán na Lebhar, à la lenteur hypnotique et désespérée et The Golden Castle où le théorbe de Valerie Loomer, suggestif et doux, velouté et tendre, étend d’un trait de lavis le sourire d’une Mona Lisa avant qu’un violon gémissant ne vienne la rejoindre.
En définitive, et bien que stricto sensu ce programme s’éloigne de temps à autre de l’époque baroque, le soin apporté aux textures, les nuances moirées du discours, de même qu’une désarmante franchise, souvent lumineuse et optimiste, tantôt mélancolique et voilée, et des choix de tempi très bien sentis font de Féileacán une découverte aussi inattendue que recommandée.
Anne-Lise Delaporte
Technique : prise de son aérée et colorée.
Étiquettes : Muse : argent, musique de chambre Dernière modification: 23 novembre 2020