El Maestro Farinelli
Extraits et symphonies de Conforto, Porpora, Nebra, Jommelli, Hasse, Corradini, C.P.E. Bach, Marcolini, Traetta
Bejun Metha – Contreténor
Concerto Köln & Pablo Heras Casado
68’18, Archiv, 2014.
La surprise a son lot de mystère. Surtout à l’ère médiatique où l’on a l’habitude d’entendre pléthore d’enregistrements. Les stars et les novices s’accrochent à l’aura magnifique d’un nom ou d’un concept qui fait rêver. On peut penser que la musique classique est passée, désormais, dans les mains habiles des experts des relations publiques. Aujourd’hui, un projet est habillé comme un mannequin et exposé comme une voiture de luxe, quand il est soutenu par les bons accessoires et présenté aux bons agents de diffusion.
« Quelle époque ! » Nous écrions-nous. Mais force est de constater que ce qui nous était abject à un certain moment est devenu une règle implicite des rapports de force entre création, recréation et marché. La rareté n’est là que pour une raison, et cette force est bien plus ancienne qu’on ne le croit, celle de gonfler un chiffre d’affaires et de chauffer un capital en bourse. Cynisme ? Duplicité ? Calcul ? – Eh bien, non. Notre ère n’est pas pire que celle des grands castrats et autres habiles hommes d’affaires culturelles, tels Haendel. Justement, le grand castrat Farinelli, fut un des hommes les plus riches de son temps en exploitant le filon de l’industrie musicale et représentative.
Alors que penser d’un disque au titre alléchant : « Le Maître Farinelli », avec uniquement des pièces instrumentales ?
Pour certains ce serait une déception, pour d’autres un calcul d’une multinationale du disque pour le rendre attractif. Eh bien, non ! Le titre n’est pas trompeur, à travers une subtile évocation, cet album rend un hommage mérité au plus grand impresario de son temps : Carlo Broschi dit Farinelli.
Bien plus que les gazouillis et les albums d’airs épars qui n’offrent qu’une vision caricaturale du grand artiste que fut Farinelli, ce disque nous témoigne de son sens profond de l’esthétique musicale. Que ce soit par sa connaissance des contemporains ou ses maîtres, le goût de Farinelli est ici déployé avec un raffinement très rare dans des récitals de cette nature.
Nous remarquons d’emblée l’orchestre, un Concerto Köln aux couleurs chatoyantes, au dynamisme épatant et à la justesse parfaite ! L’infatigable orchestre de Cologne se précise comme le meilleur du monde dans ce répertoire trop souvent bâclé et surchargé d’ornements pour cacher le manque de précision. Mais la palme absolue revient au chef Pablo Heras Casado.
Pour certains, ce jeune chef espagnol est l’interprète splendide de la Flûte Enchantée de cet été à Aix. Mais nous autres baroqueux le connaissons depuis longtemps quand, affrontant le pire de la crise espagnole, il s’est lancé dans l’arène en défendant La Clementina de Boccherini dans sa version originelle en espagnol avec son orchestre baroque La Compañia del Principe. Excellent disque et puissant témoignage de résistance à la crise, juste comparable au patriotique Trionfo di Clelia de Gluck avec Armonia Atenea au creux de la crise grecque. Pablo Heras Casado révèle non seulement des partitions, mais aussi la formule secrète qui nous touche et qui les rend modernes, efficaces, solides et merveilleuses. Tout en cadrant et homogénéisant sa phalange, il trouve subtilement le moyen de mettre en avant les sonorités cachées des instruments anciens et nous offre une palette inusitée. Ce voyage dans ces partitions atteint notamment son apothéose dans la divine ouverture de Carlo il Calvo de Porpora, la Sinfonia de Hasse et l’ouverture de Juan Marcolini. Et en redonnant ses pas de danse au Fandango de Nebra, il offre à un Bejun Metha correct, une occasion de se mesurer au chant de la zarzuela espagnole. Ne cherchez plus, Pablo Heras Casado est le chef du moment, c’est lui qui nous offre de la musique même dans le silence !
Pedro-Octavio Diaz
Étiquettes : Archiv, Carl Philipp Emmanuel Bach, Concerto Köln, Hasse, Muse : or, Pedro-Octavio Diaz, Porpora Dernière modification: 11 février 2022