Daniel Soulier, La Veuve & le Grillon
Blandine Folio Peres, Bernard Deletré, Natalie Van Parys
Les Folies Françoises
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Daniel SOULIER
La Veuve & le Grillon
Comédie baroque autour des airs de cour français
Rencontre imaginaire entre Madame de Sévigné et Jean de la Fontaine
Mme de Sévigné : Blandine Folio-Peres, mezzo soprano
M. de La Fontaine Bernard Deletré, baryton
Natalie Van Parys, chorégraphie et danse
Mise en scène : Mireille Larroche
L’ensemble Les Folies Françoises
Direction musicale : Patrick Cohën-Akenine
[TG name= »Liste des airs »]
Ouverture – F. Couperin (extrait du 8e concert dans le goût théâtral [les Goûts Réunis])
N’espérez plus mes yeux – A. Boësset
La Fourmi et la Sauterelle – Fable – Jean de la Fontaine
Canaries – M. Marais – extrait d’Alcide
Les Songes agréable d’Atys – J. B. lully – pour clavecin seul, arr. J. H. d’Anglebert
Jamais n’avoir et toujours désirer – Anonyme
Courante – J.B. Lully (ext. du Ballet des Gardes)
N’emprisonnez pas je vous prie – J. Lefèvre
Mon cœur est accablé par mille maux divers – B. de Bacilly
Si l’amour vous soumet à ses voix inhumaines – J. B. Lully (extrait.du Mariage forcé)
Ritournelle – J. B Lully
Double – M. Lambert
Très Noble Spectatrice, entendez donc ce beau concert – Anonyme
Sur le coulant une onde pure – Fable – Jean de la Fontaine
Rien ne sert de miauler – Anonyme
Air des Plaisirs – A. Campra
O la belle Symphonie – Anonyme
Un satyre cornu- G. Bataille
J’ai beau changer de Lieu – M. Lambert
Qui veut chasser une migraine – G. Bataille
Depuis quinze ans, jusqu’à trente – J. Chabanceau de la Barre
Ah ! Laissez-moi rêver dans cette solitude – M. A. Charpentier
Le Repos, l’Ombre, le Silence – M. Lambert
Il faut passer tôt ou tard dans ma barque – J. B. Lully (Air de Charon, extrait d’Alceste)
La Bretagne – A. Campra
A Paris sur le petit Pont – Anonyme
Prélude et Allemande, La Vauvert – G. Leroux
Courons à la vengeance, dépit mortel – N. Clérambault (extrait de Médée)
Chaconne – J. B. Lully – extrait d’Acis et Galatée
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28 mars 2010, La Péniche Opéra, Paris.
Coproduction de La Péniche Opéra, de l’Ensemble Les Folies Françoises et de la Ville de Fontainebleau
C’est dans le cadre intime et flottant de la Péniche Adélaïde (un nom qui plairait à Nattier) que nous avons assisté à la reprise de La Veuve & le Grillon de Daniel Soulier, « comédie baroque autour des airs de cours français », joute imaginaire entre une morganatique Madame de Sévigné et un Monsieur de la Fontaine on ne peut plus bon vivant. Autour de l’étroite scène, dont la proximité abolit la distance entre spectateurs et acteurs-chanteurs-danseuse, le décor sobre d’Alexandre Heyraud d’un cabinet recouvert de boiseries, accueille la lice de cette confrontation à fleurets mouchetés, où se disputent deux conceptions de la vie en un dialogue précieux mais non ridicule, évitant même l’écueil d’une préciosité d’entre-deux-règnes pour un français savoureux, élégant et classique.
A dextre, Bernard Deletré, impérial, campe avec une énergie et une jubilation non dissimulées son personnage de brillant causeur, trousseur de jupons, épicurien jusqu’à la moelle. Portant la perruque avec un naturel confondant (merci à Danièle Barraud pour ce costume brun seyant), l’écrivain-poète se gorge de saillies et de traits d’esprit, joue la fausse bonhomie, envahit la petite scène comme une bourrasque tempétueuse, fait crouler la petite table de son rire sonore et de son timbre stable et profond de baryton-basse. « Il doit être bien dur et bien regrettable de mourir sans pêcher » rétorque La Fontaine alors que sa partenaire ne peut s’empêcher avec une ironie rieuse et conquise d’observer que « [Ses] silences mêmes sont chargés de péchés », l’amour et la religion deviennent sous le prisme de ce Grillon des guirlandes dont on se pare, tandis que Lully en prend pour son grade, aux côtés de Corneille égratigné, ce « lourdaud qui vit de subventions ». L’on rit en songeant insensiblement à un autre géant qui croque la vie à pleines dents jusqu’à la mordre et en jette le trognon au bord des chemins le cœur léger, gambadant d’un pas élégant : le Robert d’Artois de Jean Piat des Rois Maudits.
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A senestre, Blandine Folio Peres se drape dans la dignité amusée mais sombre de la Veuve. Femme blessée par un mari qui l’a trompée, recluse et amère, ne vivant que pour les conversations épistolaires raffinées qu’elle entretient avec sa fille, cette Madame de Sévigné résignée apprécie la compagnie d’un La Fontaine dont les propos libertins l’offusquent en apparence. Car il y a aussi une once de regret dans la voix de mezzo de cette femme aux jolies bouclettes qui déclare sans ambages et en guise de frontispice à La Fontaine : « Vous aimez toutes les femmes et je n’aime aucun homme ». Et tandis que le duel se poursuit avec vivacité, entrecoupé de pauses gastronomiques (dont certains spectateurs purent même profiter), ponctué de chant, d’une partie d’échecs, de quelques verres bientôt vides et des chorégraphies ailées de Natalie Van Parys (qui hélas manque cruellement d’espace dans cette péniche pour laisser ses pas la porter), l’épicurien gagne insensiblement l’avantage, et le public demande grâce de tant d’ardeur décomplexée, préférant résolument le Rouge au Noir, même si « La nuit n’est pas le contraire du jour mais son repos ».
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« Et la musique ? », direz-vous, car c’est là la passion de notre Muse. Après avoir souligné le talent d’acteur des deux chanteurs, l’on dira simplement que le Grillon porte bien son nom et chante à merveille. La projection de Bernard Deletré est ferme, l’émission sonore, le timbre charnu et chaleureux, les articulations bien senties, la déclamation aérée. Les airs de cours et ariettes de cantates ou tragédies lyriques s’insèrent dans le déroulement de la pièce avec fluidité et l’on goûte les coquinades osées du « Satyre cornu » ou de « A Paris sur le petit Pont », autant que la Charon truculent extrait d’Alceste. Le mezzo de Blandine Folio Peres s’avère hélas plus inégal, la projection moins forte, un peu voilée, avec un vibratello fréquent (« Courons à la vengeance dépit mortel »). Les deux artistes sont accompagnés par un détachement des Folies Françoises, d’où l’on distingue la viole de gambe ductile de Lucile Boulanger, le clavecin coulant de Yoann Moulin et le violon d’Anne Pekkala qui accuse quelques soucis de justesse, sans doute imputables à la chaleur du lieu désaccordant rapidement les cordes.
Voilà donc un spectacle réjouissant et jubilatoire, dominé par l’écrasante stature de Bernard Deletré, et d’où l’on ressort avec un sourire et des rythmes de chaconne aux lèvres.
Viet-Linh Nguyen
Site officiel de la Péniche Opéra
Site officiel des Folies Françoises