Haendel, Theodora
The English Concert, dir. Harry Bickett
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Georg Frederic Haendel
Theodora
Oratorio en trois actes HWV 68 (1750)
Livret de Thomas Morell, d’après Robert Boyle
Rosemary Joshua : Theodora
Sarah Connolly : Irene
Kurt Streit : Septimius
Tim Mead : Didymus
Neal Davies : Valens
Choir of Trinity Wall Street
The English Concert
Harry Bicket direction
10 Février 2014, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
« As with rosy steps the morn,
Advancing, drives the shades of night,
So from virtuous toil well-borne,
Raise Thou our hopes of endless light. »
Theodora est l’un des oratorios tardifs de Haendel. Créé en 1750, il ne connut qu’un succès d’estime auprès du public londonien, avec 3 représentations. Pourtant, de même qu’avec l’ultime Jephta, cette œuvre, à la fois directe et tendre, compte parmi les plus belles du compositeur, visiblement inspiré par cette trame pourtant d’une désarmante simplicité dû à un Révérend Morell à la plume un brin indigeste. A la manière d’un bon vieux peplum en technicolor, l’intrigue nous mène dans une Antioche au Gouverneur Valens fidèle à l’Empereur comme aux dieux païens, qui condamne la noble Chrétienne Theodora au viol par le « plus vil de ses gardes » si elle ne se convertit pas et n’accepte pas de sacrifier aux Dieux et à Dioclétien. Son intransigeance n’est pourtant pas partagée par ses troupes, entre un Didymus également chrétien et de plus amoureux de la belle, et un Septimius au cœur tolérant. Hélas, les deux chrétiens et amoureux finiront suppliciés, mais la vertu de Theodora sera sauve. L’oeuvre a regagné une notoriété certaine depuis la captation de Glyndebourne de 1996 avec l’Amérique puritaine de Peter Sellars et la sublime Lorraine Hunt (Kultur) sous la baguette d’un William Christie dont l’enregistrement ultérieur avec les Arts Flo n’aboutira pas au même état de grâce en dépit d’une très touchante Sophie Daneman (Erato).
Cette Theodora se distingue avant tout par la somme de ses parties, et par la direction naturelle et sensible du chef qui livre une vision équilibrée et très fluide de l’œuvre, intégrant avec grâce les nombreux chœurs qui rappellent bien le caractère sacré de l’oratorio.
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Le trio Tim Mead, Rosemary Roshua et de Sarah Connelly frise le sublime et l’on reste confondu devant la musicalité, l’art des nuances, la finesse des phrasés, la chatoyance expressive et fervente des trois chanteurs. Sur le blog de l’Orchestra of the Age of Enlightenment, un cinq questions futiles à Rosemary Joshua révèle que sa crainte est d’entrer en scène avec la mauvaise partition entre les mains. Ce n’était pas le cas. Sa Theodora, rôle qui de trop vertueux pourrait s’avérer d’un ennui pontifiant, est investie et grave. Le chant très pur et velouté, l’incarnation droite et fervente (« Angels, ever bright and fair » qui passe en un souffle d’éternité), l’optimisme lumineux qu’insuffle la soprano rend le personnage totalement crédible, même si sa dévotion sans limite le rend moins attachant que l’amoureux et converti transi qu’un Tim Mead dépeint avec humanité et chaleur. L’émission très stable, les aigus clairs, la projection ferme mais douce campent un amoureux plein de compassion, plus qu’un officier révolté. Les duos, notamment l’ultime chant des amants sacrifiés « Streams of pleasure ever flowing », avec sa fusion des voix, sa pudique résignation, son espoir souriant, conclut le drame avec une telle intensité que le chœur conclusif en devient presque superflu (« O love divine, thou source of fame »). L’Irène de Sarah Connolly, après un premier air trop superficiel et presque ironique, se drape ensuite dans une majestueuse amitié et la noblesse murmurée du « As with rosy steps the morn » la hisse parmi les plus grandes haendéliennes. Aussi, grâce au talent de ce triumvirat, le Theodora se pare d’un hiératisme tragique qui maintient la tension et délivre un message de foi et de tolérance d’une sincérité appuyée.
Hélas, le Gouverneur de Neal Davies, vocalement très honnête avec ses graves rocailleux, a tendance à surjouer son personnage qui, quoique plus mesuré dans le texte (il laisse aux victimes le choix de se repentir jusqu’au dernier moment), se transforme en bourreau inique et sanguin, un peu caricatural par rapport au jeu plus fin de ses compagnons. « Racks, gibbets, sword and fire » est ainsi très fragmenté, le « tyran » se prenant pour un Tolomeo de Giulio Cesare en pleine crise d’autorité. Le Septimius de Kurt Streit quant à lui, malgré un beau medium et une diction soignée, laisse voir de la fatigue tant dans les aigus que dans les ornements. Le « Descend, kind pity, heav’nly guest » s’avère néanmoins fin et d’une tristesse mélancolique, malgré un timbre nasal.
Le chœur de Trinity Wall Street quant à lui, bien spatialisé, aéré et extrêmement précis, n’appelle que des éloges, alors que The English Concert laisse voir des cordes incisives et des timbres flatteurs (bois et vents) malgré l’usage anachronique de trompettes non naturelles (à trous dans le tube ce qui dénature le son mais améliore la justesse). A l’inverse, on notera l’effort remarquable des cornistes, qui ont interprété leurs parties sans correction pavillonnaire. On regrettera au passage que le programme ne livre plus la liste des musiciens, ce qui ne permet pas de les citer nommément, en particulier l’excellent violoncelliste du continuo, au coup d’archet varié et rebondi.
La direction de Harry Bickett, au départ un peu quelconque jusqu’au premier air de Theodora, parvient au fur et à mesure à laisser pleinement les solistes s’épanouir, grâce à un sens inné de la suspension et de la poésie. Le chef est ainsi très soucieux d’établir pour chaque air un climat puissant et homogène, et d’enchaîner les sections pour ne pas briser le continuum dramatique.
Au final, c’est à un oratorio convaincant, à la beauté vocale indiscutable et d’une ferveur impressionnante que The English Concert nous a convié, parvenant à transcender un livret pourtant un peu lourd, et qui pallie l’absence de mise en scène par la puissance de l’incarnation du rôle-titre de la vierge martyre.
Viet-Linh Nguyen
Site officiel du Théâtre des Champs Elysées