Leçons de Ténèbres
Samedi saint dans l’Italie du Seicento
[TG name = « Liste des morceaux »]
Giovanni Maria TRABACI (ca. 1575-1647)
Durezze et Ligature
Consonanze Stravaganti
Francisco SOLER (ca. 1625-1688)
Lamentatio in die Sabbato sancto
Ludovico GROSSI DA VIADANA (1564-1645)
Répons des Nocturnes
Carlo Donato COSSONI (1623-1700)
« Super Flumina Babylonis »
Tarquino MERULA (1595-1665)
Sonata seconda
Giovanni Paolo CIMA (ca. 1570-1622)
« O vos omnes »
Sonata a due, Cornetto e Trombone
Giovanni Felice SANCES (1600-1679)
Pianto della Madonna
Giovanni Matteo ASOLA (ca. 1532-1609)
« Christus Factus est »
Gerolamo BALLIONE (1575-1608)
Maria Magdalena con una Canzon Francese in Soprano
[/TG]
In Musica Veritas
Alice Habellion (mezzo soprano), Franck Poitrineau (sacqueboutes ténor et basse), Pierre Gallon (orgue), Judith Pacquier (cornet à bouquin)
60’56, Ad Vitam Records, 2012.
[clear]
Jusqu’au IVe siècle, les solennités pascales orientaient toute la vie du chrétien, tant la mort et la résurrection du Christ s’inscrivent au cœur même de sa foi. La célébration de l’office des Ténèbres est attestée dès le Ve siècle, et son développement est dès lors resté immuable. Célébré chaque matin des trois derniers jours du Carême, son cheminement permet d’entrer de manière plus profonde dans le mystère de la Passion du Christ. Des textes issus des Ancien et Nouveau Testaments s’y succèdent et se répondent, révélant la cohérence de la Révélation.
L’ensemble In Musica Veritas scelle son entrée dans le monde discographique par un programme singulier, consacré à la liturgie du Samedi saint telle qu’elle aurait pu être célébrée dans l’Italie du XVIIe siècle. Moment privilégié de silence et de méditation, le dernier jour du Triduum pascal est d’abord marqué par le manque et par l’absence précédant la joie de Pâques. Ici, différents motets et pièces instrumentales s’articulent autour des répons polyphoniques de Ludovico Grossi, pour faire de ce premier disque une voie de passage de l’ombre à la lumière. La première composition pour orgue de Trabaci illustre à merveille le chatoiement caractéristique de l’enregistrement, et condense en quelque sorte tout le chemin qui sera parcouru. De l’incertitude de la pédale de La initale [NdlR : il ne faut voir ici dans « pédale » la sorte de touche qu’on joue aux pieds sur les grandes orgues mais un terme d’analyse musicale qui désigne une longue note tenue au-dessus de laquelle évoluent différentes harmonies] s’élève en volutes une plainte solennelle, grave mais tortueuse, qui nous mènera de la tonalité mineure à son établissement majeur. Pierre Gallon atteste d’une grande maîtrise de l’instrument, et dévoile les méandres de la polyphonie en jouant avec … de la souplesse du tactus.
De l’introït de la Lamentation de Francisco Soler au dernier « Alleluia » de Ballione, la voix cuivrée d’Alice Habellion n’aura cessé d’exercer sur nous une emprise envoûtante. Elle possède à l’image de la Marie-Madeleine de Georges de La Tour des teintes chaudes, sombres et lumineuses à la fois, et elle est à vrai dire indéfinissable tant sa richesse est polymorphe. Il s’agit d’une voix puissante et franche qui, dans les leçons improvisées, conduit avec souplesse une ligne impeccable, et interpelle par sa prestance. La mezzo évolue avec aisance dans une tessiture ample ; à la délicieuse suavité des graves répondent des aigus clairs mais charnus, le tout porté avec agilité lors des vocalises (« Super Flumina Babylonis »). Les sacqueboutes de Frank Poitrineau ont ici trouvé un interlocuteur digne de leur sonorité majestueuse, et s’en font comme le pendant. La proximité des timbres, accentuée par une belle résonnance, est troublante.
Si le caractère du recueillement prédomine, l’enregistrement est cependant traversé par des rayons de lumière, préfigurant le retour à l’espérance. Il en va ainsi de la Sonata a due de Cima, dans laquelle le cornet virtuose de Judith Pacquier insuffle comme un esprit de légèreté insouciante au sein des lents chromatismes ascendants.
Au-delà de la succession cohérente et très naturelle des œuvres choisies, In Musica Veritas se positionne comme un ensemble ayant déjà une forte identité capable de servir l’expressivité musicale. Si chacun des musiciens sait prendre la parole avec engagement, ce n’est jamais au détriment de l’autre. Un juste équilibre a été trouvé. Cette osmose singulière rend ces Leçons de Ténèbres particulièrement touchantes et prenantes. Espérons que d’autres œuvres inédites du Seicento seront bientôt exhumées, et portées au grand jour avec la même ardeur.
Isaure d’Audeville
Technique : prise de son ample, bel espace sonore entre les musiciens qui confère une certaine solennité à l’enregistrement.