Rédigé par 13 h 54 min Musicologie, Regards • Un commentaire

Le cornet à bouquin, « un truc d’intello » ?

Le cornet à bouquin est le lointain cousin des cornes d’animaux percées de trous qui apparaissent sur nombres de miniatures du Moyen-Age. L’instrument proprement dit est employé du XV au XVIIIème siècle mais connaît un important déclin vers 1640…

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Fig. 1. De haut en bas : cornet muet, cornet à bouquin alto, cornet à bouquin ténor. XVIème et XVIIème siècles – Source : Wikimedia commons

« [le cornet] est semblable à l’éclat d’un rayon de soleil, qui paroist dans l’ombre ou dans les ténèbres (…) ». Marin Mersenne, Harmonie universelle (1636-1638)

Le cornet à bouquin est le lointain cousin des cornes d’animaux percées de trous qui apparaissent sur nombres de miniatures du Moyen-Age. L’instrument proprement dit est employé du XV au XVIIIème siècle mais connaît un important déclin vers 1640, parfois attribué aux épidémies qui frappèrent les villes italiennes. Bach l’emploie encore dans certaines de ses cantates.

L’instrument
Les cornets à bouquins sont la plupart du temps courbes, taillés à 8 pans, sans pavillon marqué. Une peau recouvre le corps fait de deux moitiés de bois gougées et collées. Il s’agit d’arbres fruitiers, même si certains exemples en ivoire nous sont parvenus. Le corps est percé de 6 ou 7 trous. L’embouchure (le « bouquin ») est en corne, bois, os ou ivoire, démontable. Le cornettiste tient le cornet avec l’embouchure dirigée sur le côté.

Instrument hybride entre le bois et le cuivre, il est souvent classé du côté de ces derniers, du fait justement de la production du son par la vibration des lèvres dans une embouchure. D’ailleurs, le cornet est très souvent associé à des sacqueboutes, et à la fin du XVIIème siècle il est souvent interchangeable avec la trompette (« cornets ou trompettes » mentionnent les partitions).

Il existe toute une famille de cornets à bouquin qu’ont classifiés Michel Praetorius (Syntagmatis musici…, 1618) ou Marin Mersenne (Harmonie universelle, 1636-1638).

Pour généraliser, on peut distinguer :

  • le sopranino : une quarte en dessus du soprano. Surtout utilisé dans l’aire germanique entre 1650-1750
  • le soprano (le cornettino aigu) : « classique » alto en la, d’environ 60 cm de long,
  • le ténor, courbé en S (le corno torto de Praetorius), une quarte ou quinte en dessous. Il ne s’agit plus d’un instrument soliste.
  • la basse très peu usitée, une octave en dessous du soprano. Parfois, le serpent est aussi assimilé à une basse de cornet.

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Fig 2. Une photo de famille : cornets soprano, alto, ténor et basse des XVI et XVIIème siècles © Musée de la Musique.

Il faut préciser que tous les cornets ne sont pas tous courbes. En effet, à la gamme de cornets à bouquin s’ajoute les cornets droits et muets. Le cornet droit est droit (comme son nom l’indique). Le bel oxymore du cornet muet (cornetto muto) se distingue du cornet droit par une embouchure creusée dans le tube et non détachable (cf. fig.1). Les cornets droits et muets sont souvent en bois plus clairs, et des modèles soprano ou alto. Leur son plus doux leur permet de se mêler avec plus de naturel aux consorts de violes ou aux flûtes.

La relative longévité de l’instrument et la stabilité de sa facture rendent difficile les datations. Certains distinguent 2 types de factures :

  • le cornet italien, au diapason élevé et à la perce fine
  • le cornet allemand au diapason plus bas, et à la perce plus large. L’enveloppe de cuir (ou de parchemin) est plus épaisse, les trous plus éloignés.

Par sa tessiture et ses possibilités expressives, le cornet était considéré comme l’instrument qui se rapprochait le plus de la voix humaine. Son timbre est très varié, passant d’un registre aigu clair et « cuivré » rappelant la trompette, à des graves bourdonnants et moelleux. Son jeu est réputé difficile, et le son peut se révéler strident, tendu et acide si le cornettiste n’est pas à la hauteur. De nombreux enregistrement, notamment des années 70, en sont le témoignage.

Répertoire
L’âge d’or du cornet peut être situé pendant la première moitié du XVIIème siècle à Venise (1580-1640), où il acquit un rôle soliste prépondérant. Monteverdi en fit un large usage dans l’Orfeo, et dans le « Possente spirito » notamment où s’installe un dialogue virtuose entre le demi-dieux et le cornettiste. De même, les sonates vénitiennes de Dario Castello ou Biagio Marini font souvent appel à des parties virtuoses de cornet, qui se livre parfois à des duels avec le violon. Il en va de même des motets à double chœurs de Gabrieli. D’ailleurs, la postérité a retenu les noms de Giovanni Bassano et Girolamo dalla Casa, responsables de l’orchestre de la Basilique Saint-Marc à Venise et cornettistes émérites, aux diminutions improvisées époustouflantes.

Son utilisation se poursuit plus longtemps dans les pays germaniques. Bach l’emploi assez fréquemment pour doubler les pupitres de soprano (quoique l’appellation de cornetto donne parfois lieu à ambigüité su l’instrument désigné), et en fait parfois un instrument obligé (BWV 118). Le cornet disparaît définitivement dans les années 1750, l’un des derniers exemples importants de son utilisation est l’Orfeo ed Euridice de Gluck pour la scène infernale. Enfin, le cornet ne semble guère avoir fait fortune en France, ou il décline vers 1630 sans vraiment avoir fleuri.

                                                                                                                                                                            V.L.N.

Pour aller plus loin :

  • Collectif, Guide du Musée de la Musique, éditions de la Réunion des Musées nationaux, 2007.
  • Bohuslav CISEK, Encyclopédie illustrée des instruments de musique, Gründ, 2003
  • Karl GEIRINGER, Instruments in the history of Western music, George Allen & Unwin, 3rd ed., 1978
Étiquettes : Dernière modification: 15 novembre 2020
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