
Pierre-Louis Cretey (1645-1721), Nativité, huile sur toile, 58.1 × 74.9cm – Detroit Institute of Art – domaine public
Alors que les ombres s’allongent, voici que l’on se retrouve émerveillés autour d’un berceau. Dans l’Europe baroque, Noël a été l’occasion d’œuvres variées, du faste des spectaculaires églises romaines à l’intimité des chapelles de la Tamise, la Nativité a poussé les compositeurs du Grand Siècle à inventer des couleurs sonores inouïes pour traduire le mystère et l’espoir. Alors, en ce jour si particulier, faisons un bref tour d’horizon des œuvres de circonstances, par aires géographiques, en commençant par la péninsule des Papes :
« On ne peut concevoir sans l’avoir entendu le charme de ces pastorales romaines, où l’harmonie semble se faire aussi douce que le lait et le miel. »
André Maugars, Response à un curieux sur le sentiment de la musique d’Italie (1639)

L’Italie est la patrie de la Pastorale de Noël. Dès le début du Seicento, Rome et Venise transforment le récit biblique en drame sensoriel. Bien avant le concerto grosso n°8 opus 6 Fatto per la Notte di Natale de Corelli, Maurizio Cazzati ou Giovanni Legrenzi composent de superbes motets pour l’occasion. Mais la véritable singularité italienne réside dans l’oratorio romain. Entre 1676 et 1740, Rome célèbre la veille de Noël par un concert en présence du Pape et de nombreux cardinaux. Ainsi, Alessandro Stradella ou Alessandro Scarlatti composeront la musique pour la veille du Noël romain à plusieurs occasions avec des Cantate per la Notte di Natale di Nostro Signore, à l’instar des quatre magnifiques cantates de Scarlatti O di Betlemme altera povertà Cantata pastorale per la natività di Nostro Signore Gesù Cristo (1695) ; Abramo, il tuo sembiante dite aussi “Cinque Profeti” (1705) ; Alcone, ove per queste (1706) ; Serafini al nostro canto (1707). On recommandera sans hésiter l’enregistrement, déjà assez ancien puisque paru en 2009, des deux seules cantates de Noël de Stradella, pour soprano, à la mélodie touchante et au style très personnel, sous la férule d’Enrico Gatti (Arcana).
« La musique du Roi, à la Chapelle, a repris un éclat tout français ; les violons y jouent des airs de Noël si gais qu’on en oublierait presque la gravité du lieu pour ne songer qu’à la danse. »
Samuel Pepys, Diary (vers 1662)
Outre-Manche, le XVIIe siècle renaît après les rigueurs du puritanisme cromwellien. Avec la Restauration de Charles II, les théâtres rouvrent, une fièvre hédoniste s’empare d’Albion, et de nouveaux genres s’épanouissent : le drame héroïque, la tragédie féminine et la comédie de la Restauration. Côté musique, la musique de Noël retrouve ses droits à la Chapelle Royale. Henry Purcell nous offre l’un des sommets du genre avec son Anthem Behold, I bring you glad tidings à la rythmique bondissante de 1687, presque chorégraphique, son seul motet de Noël loin de son maître John Blow, dont le Behold, behold, I bring you glad tidings, au contrepoint très particulier, joue sur des dissonances d’une beauté déchirante. Quoi de mieux que James Bowman et The King’s Consort pour se réjouir de cette Nativité avec une grandeur et un raffinement d’une rare poésie (Purcell, Complete Anthems and Services, volume 4 chez Hyperion).
« Rien n’est si touchant que ces vieux airs de Noëls que nos pères chantaient au berceau ; ils ont je ne sais quoi de pur qui réveille la foi par la tendresse et excite la dévotion par la simplicité. »
Le Cerf de La Viéville, Comparaison de la musique italienne et de la musique française (1705)

L’école française possède une couleur unique, née de la rencontre entre la piété savante et la sève populaire. Guillaume Bouzignac (1587-1643) s’y impose comme un visionnaire : ses motets dialogués, tels que Noé, Noé !, sont de véritables scènes de théâtre où le chœur des bergers interpelle l’ange avec une vivacité rustique saisissante. Sous Louis XIV, Marc-Antoine Charpentier réussit le prodige de bâtir sa Messe de Minuit sur des airs de Noëls populaires, mariant la danse à la prière, ou offre des séries de Noëls pour les instruments d’une simplicité douce. À ses côtés, Henry Du Mont distille la noblesse intimiste du petit motet, tandis que Michel-Richard de Lalande magnifie les mélodies traditionnelles dans ses Noëls en symphonie. Citons enfin les raretés de Sébastien de Brossard, dont l’œuvre constitue un chaînon manquant magnifique entre l’Italie et la France ou les splendeurs de Campra (Oratorio de Noël, Nativitas Domini Jesu Christi) qui attend un enregistrement digne de ce nom depuis la dernière tentative de pachyderme de 1965.
« La musique est un don de Dieu… elle chasse le diable et rend les gens joyeux ; par elle, le Verbe se fait chair et la mélancolie s’enfuit devant la joie de l’Incarnation. »
Martin Luther

En terre luthérienne, Noël est une affaire de texte et de ferveur. Le XVIIème siècle allemand, marqué par les dévastations de la Guerre de Trente Ans, cherche dans la Nativité une consolation d’une intensité bouleversante. Heinrich Schütz (1585-1672) en est l’architecte suprême : asa Weihnachtshistorie est un chef-d’œuvre de caractérisation où chaque personnage possède son propre “vêtement” instrumental — les trombones pour Hérode, les flûtes pour les Anges. Cette lignée de bâtisseurs trouve un prolongement superbement mystique chez Heinrich Biber, qui utilise les effets de scordatura du violon pour créer une dramaturgie violente encore proche du stylus phantasticus, et chez Christoph Graupner, dont les cantates de Darmstadt emploient le timbre boisé du chalumeau pour bercer la crèche. Cette trajectoire culmine avec l’Oratorio de Noël de Bach, à l’allégresse rutilante et sacrée et encore plus fragile et éclatante dans la première version tonitruante d’Harnoncourt avec les chœurs d’enfants (Teldec)…
En conclusion, nous vous livrons une petite sélection très partiale et toute personnelle (hors nouveautés) d’œuvres à écouter et réécouter, sonnez trompettes et résonnez cymbales !
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Italie : Alessandro Stradella, Cantata per il Santissimo Natale, par La Risonanza, dir. Fabio Bonizzoni (Glossa) ou par Enrico Gatti (Arcana). Le luxe vocal romain dans toute sa splendeur, plus poétique chez Gatti, plus dynamique chez Bonizzoni.
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Angleterre : Purcell, Complete anthems and services, volume 4. King’s College, dir. Robert King (Hyperion) ; Orlando Gibbons, With a merrye noise, second service and onsort anthems, The Choir of Magdalen College Oxford, Fretwork (Harmonia Mundi) La magie des violes de gambe au service de la Nativité.
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France : Charpentier, Pastorale de Noël, Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé (Harmonia Mundi). Un chaînon manquant magnifique entre l’Italie et la France, digne d’un La Tour.
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Allemagne : Heinrich Ignaz Franz von Biber, Les Sonates du Rosaire, par Amandine Beyer (Harmonia Mundi), Hélène Schmitt (Aeolus) ou Gunar Letzbor (première version fiévreuse chez Arcana). L’expression pure de l’instrument-roi lors de la Sonate n°3 des Mystères Joyeux, dédié à la Nativité ; Heinrich Schütz, Weihnachtshistorie, Concerto Palatino, dir. Konrad Junghänel (Harmonia Mundi). On ne citera pas même l’Oratorio de Noel de Bach, tant les bonnes version abondent…
Joyeux Noël à tous les mélomanes !
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : Noël Dernière modification: 26 décembre 2025
