Rédigé par 12 h 41 min Entretiens, Rencontres

« J’ai un rapport profond et quotidien avec Bach à travers sa musique. Il est devenu essentiel dans ma vie. » : entretien avec Stephan Mac Leod, chanteur, fondateur et directeur musical de Gli Angeli Genève

« J’ai un rapport profond et quotidien avec Bach à travers sa musique. Il est devenu essentiel dans ma vie. » : entretien avec Stephan Mac Leod, chanteur, fondateur et directeur musical de Gli Angeli Genève, à propos de la parution de l’intégrale des cantates sur mélodie de choral de Bach

Stephan MacLeod © Elam Rotem

Nous arrivons au café, et nous voici attablés avec Stephan MacLeod. Quand il commence à parler, on reconnaît tout de suite ce timbre, grave, vibrant, très chaleureux, qu’on a parfois entendu en concert, et plus souvent au disque, chez Pierlot, Suzuki, Van Nevel ou encore Herreweghe. Autour d’un café et d’une tarte au citron meringuée, la basse et directeur de Gli Angeli Genève se laisse aller à un entretien fleuve sur sa carrière, la fondation de son ensemble Gli Angeli Genève, et la parution d’un opus magnum inédit : l’intégrale des cantates sur mélodie de choral de Bach dans un luxueux coffret orangé, chez Aparté, dont on sent qu’il en a amoureusement supervisé les détails, y compris éditoriaux, avec un soin méticuleux.

La conversation prend son envol, se déroule, amicale et animée. Stephan MacLeod s’y révèle d’une générosité et d’une honnêteté remarquable, d’une intransigeante sincérité aussi. On voyage entre Cologne et Leipzig. De temps à autre, avec une fermeté de pédagogue, le musicien s’étonne ou recadre. Il s’insurge même lorsque – c’est un beau jour pour mourir – on hasarde que ce cycle de cantates sur mélodie de choral est peut-être juste dû au hasard. L’avocat du diable, terrassé, s’en retourne dans sa tanière. La tarte n’est qu’à demi entamée, tant nous sommes absorbés par Bach depuis près d’une heure trente. Lors de la retranscription (33 pages de verbatim brut !), la discussion a été restructurée pour rassembler les thèmes, mais Stephen MacLeod et nous-mêmes avons préféré vous livrer le maximum de cet échange passionnant, au plus près de la conversation, entre cheminement personnel, considérations musicologiques, conditions de l’enregistrement, effectifs et placements des chanteurs, choix des instruments… Vous saurez bientôt tout sur ce grand projet, que le chef juge aussi important pour Bach que le Clavier bien tempéré ou la Messe en si, tel un testament musical.

Stephan MacLeod et Gli Angeli Genève © Carole Parodi

Première partie : parcours et début de carrière

Muse Baroque : bonjour Stephan MacLeod, merci beaucoup de nous accorder cet entretien. Pour débuter, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de vos influences ? Comment devient on un éminent spécialiste de Bach et du baroque allemand ?

Stephan MacLeod : Franchement, cela s’est fait par hasard. Je ne me destinais pas particulièrement à la musique baroque. Je n’ai d’ailleurs jamais spécialement étudié la musique ancienne : ce sont les aléas, les rencontres… Un début de carrière, c’est souvent juste un enchaînement de circonstances qu’on ne contrôle pas du tout, et on se laisse porter. Moi, j’ai eu la chance énorme de commencer très tôt et de pouvoir me laisser un peu porter.

J’étais parti faire mes études en Allemagne parce que je voulais apprendre l’allemand, mais pas pour faire du Bach. Plutôt du Schubert, du Schumann, du Brahms ! C’était ça qui me parlait le plus quand j’avais 18-19 ans, et c’est ça que je voulais faire. Or à Cologne, il y avait beaucoup de musique ancienne, et il y en avait beaucoup à la Hochschule [NdlR : Hochschule für Musik und Tanz Köln, le célèbre conservatoire de Cologne fondé en 1850] où j’étudiais. Et je me suis lié d’amitié avec quelqu’un dont j’avais fait la connaissance parce que j’avais reconnu la forme étrange de la boîte de son instrument, pour avoir fait un peu de Monteverdi avec Michel Corboz. C’était un théorbiste donc, et nous sommes devenus amis. Il était un élève de Konrad Junghanel et écoutait beaucoup de musique, beaucoup de disques. Moi, je regardais plutôt du foot et j’écoutais plutôt de la musique pop et du jazz (rires). J’avais un lien très fort avec la musique, mais je n’avais pas ce rapport ni à la réalité du monde musical, ni surtout au disque. Et il m’a fait écouter quelque chose qui a créé un choc énorme pour moi, comme une révélation…

M.B. : c’était lié à un disque particulier ?

ML. : Oui, et c’était une sorte de choc à retardement. Il s’agissait des disques Bach de Musica Antiqua Köln et Reinhard Goebel, et je pense qu’ils résonnaient en moi avec tout ce que j’avais vécu avec et grâce à Michel Corboz. Ça c’était le choc initial. Je chantais avec lui depuis l’âge de 17 ans (au sein de l’Ensemble Vocal de Lausanne) et c’est avec lui que j’ai donné mes premiers concerts, et donc mes premiers Bach. Mais c’est aussi avec lui que j’ai chanté le Requiem de Fauré pour la première fois, par exemple ou d’autres grandes œuvres (Brahms, Mozart, Haendel..). J’avais été très marqué par sa force et sa manière de faire.

Mais pour en revenir à Cologne, ce qui a été un déclic donc, c’est cet ami luthiste qui me fait découvrir ces enregistrements de Musica Antiqua Köln. J’ai pris une baffe monumentale, parce que ces disques agissaient sur moi comme une réponse.

M.B. : c’était Bach ?

ML. : Il s’agissait des Concertos Brandebourgeois et des Suites pour Orchestre. Mais ce qui était complètement renversant, c’était qu’il soit possible d’aller aussi loin dans la violence et la nécessité d’une expression musicale débridée. Ça me parlait complètement. Et j’étais fasciné aussi, et amusé, par le fait que Reinhard Goebel était capable de justifier tout ce qu’il faisait tout en expliquant exactement le contraire. Je trouvais ça assez extraordinaire. J’étais tellement hypnotisé (et tellement inconscient) que je lui ai téléphoné dans la foulée pour lui dire que j’avais envie de chanter avec lui.. Il m’a fait passer une audition et il m’a engagé !

M.B. : vous avez donc commencé à enregistrer avec Reinhard Goebel…

ML. : J’avais 20 ans et oui, je me suis retrouvé à faire un enregistrement avec quelques chanteurs, il s’agissait des parties chorales d’un disque magnifique de cantates mariales de Haendel avec Anne-Sophie von Otter. Au départ, les chœurs devaient être chantés entre autres par Barbara Schlick et Christophe Prégardien, c’est ce que Reinhard m’avait expliqué, mais Christophe et Barbara ne l’ont finalement pas fait, et on était huit chanteurs à faire ces chœurs je crois. C’était quelques semaines après cette audition.

Ensuite, il m’a engagé pour des concerts à 2 chanteurs, pour chanter des cantates de baroque allemand, du Biber, du Tunder, du Bruhns, de la musique que je ne connaissais absolument pas. Ce travail avec lui m’a infiniment marqué. Il m’a également ouvert à peu près toutes les portes, parce qu’à l’époque, Reinhard avait une telle aura que c’était comme si le fait de chanter avec lui me dispensait de tout. Sans jamais repasser la moindre audition, je me suis retrouvé en quelques mois à chanter pour beaucoup des chefs de chœur de Cologne et d’Allemagne alors que j’avais 21, 22 ans.

M.B. : ce sont donc les hasards de la vie, mais aussi ce coup de téléphone très volontariste qui vous ont plongé dans le baroque ?

ML. : Tout à fait. Ce sont des enchaînements, des hasards. Par exemple, quand j’avais 21 ans, j’avais fait mes premiers concerts avec Reinhard Goebel quand je me retrouve sur la route d’un quatuor de trombones – composé de deux membres du Philharmonique de Berlin et de deux de leurs amis d’enfance – qui devait enregistrer un disque dans lequel il y avait des cantates pour basse et trombones. Franz-Josef Selig devait chanter, mais il était tombé malade et ils se sont tournés vers moi grâce à un mot de l’agent de Reinhard Goebel. C’était un disque pour BIS, qui a donc été mon premier disque comme soliste, et ils ne trouvaient pas de chanteur libre, ou capable de le faire tout de suite. Moi, j’étais encore étudiant, j’avais du temps et je n’étais pas encore en carrière, sinon ces concerts avec Musica Antiqua Köln.

Et les choses vont réellement d’un point à l’autre. Le légendaire directeur de BIS [Robert Von Bahr] était impressionné par le master de ce disque avec le quatuor de trombones. Il l’avait fait écouter à une violoniste suédoise qui était proche de Jos Van Immerseel. Et je crois que c’est elle qui a du glisser mon nom à je-ne-sais-qui quelques semaines plus tard, quand Franz-Josef Selig était à nouveau souffrant et qu’on recherchait une basse pour chanter les Lamentations de Zelenka en ouverture du festival des Flandres à Bruxelles, à la Monnaie, avec Frieder Bernius.

Bernius m’a ensuite engagé pour faire des Messes de Schubert en tournée en Israël et en Europe. Tout s’enchaînait et tout était dans mon esprit relié à cette espèce d’aura de Reinhard Goebel au départ, et aux réactions en chaîne causées par la chance que j’avais eue de collaborer avec lui. Alors qu’en fait j’étais une “pive”, c’est-à-dire que j’étais peut-être un bon musicien avec une jolie voix et beaucoup de confiance en soi, mais en fait, je ne savais pas chanter du tout.

M.B. : je n’en crois rien…

ML. : Après Bernius, il y a eu le Collegium Vocale pour un projet Buxtehude avec Jos Van Immerseel et Anima Eterna, qui a été mon deuxième disque. Ça, c’était en 93, donc j’avais 21 ans. Et cette première collaboration avec le Collegium Vocale, elle a découlé quelques temps après sur mes premières collaborations avec Philippe Herreweghe. Et il y a Paul Van Nevel encore, qui vient écouter un concert avec Immerseel en 1994, une Passion selon Saint-Jean je crois, et Paul est là et il me propose d’auditionner pour lui pour chanter avec Huelgas…

J’étais un tel ignare que je ne savais même pas qu’il y avait de la musique avant Monteverdi. Donc, la première fois que je me retrouve dans un concert avec Paul et Huelgas, c’est pour lire à vue de la musique extraordinaire mais dont je ne savais ni ne comprenais rien. Impossible de décrire le monument de stress et de plaisir simultané qu’a été le fait de découvrir ainsi une musique extraordinaire et que je n’avais jamais entendue. Et ça a duré 5 ans… Huelgas à cette époque, c’était inouï pour moi, le niveau de l’ensemble, des autres chanteurs, la beauté du répertoire, c’était dément. Avec eux, j’ai passé cinq ans à planer et à être très heureux.

Très vite au début de ma carrière je me donc suis retrouvé dans ce milieu à chanter avec beaucoup des grands de l’époque : Kuijken, Leonhardt, Herreweghe… J’ai eu beaucoup de chance. Mais j’avais des limites dont je souffrais et qui étaient liées au fait que je n’avais pas encore vraiment appris à chanter. Donc, quand j’ai commencé à souffrir de n’avoir pas assez de technique, de ne pas savoir quoi faire quand ça ne marchait pas ou pas assez bien, et que je me suis pris plusieurs échecs dans la figure, j’ai décidé qu’il était temps d’apprendre. Plus jeune à Cologne, je pense que je n’étais pas assez mûr ni prêt à vraiment étudier, à vouloir comprendre. Au départ, je m’étais retrouvé dans la classe de Kurt Moll, avec qui j’ai évidemment appris énormément de choses et qui m’a beaucoup apporté. Mais j’ai compris plus tard que je n’avais pas été assez intelligent à cette époque-là pour faire la démarche d’un réel apprentissage, pour réellement apprendre.

J’ai donc rencontré celui qui allait être mon “vrai“ professeur de chant quand j’avais déjà 27-28 ans. C’était Gary Magby, qui était en France à l’époque. Il avait suivi en Europe Sylvia McNair, dont il était le professeur, et il habitait et donnait des cours à Lyon, où il était rapidement devenu un des coachs principaux de plusieurs très bons chanteurs français. Il est entre beaucoup d’autres le professeur de Stéphane Degout ou de Benjamin Bernheim… J’ai donc commencé à travailler avec lui et il y a eu un déclic dans ma tête : j’ai compris que non seulement j’avais vraiment envie de chanter, mais aussi que j’allais à mon tour devoir enseigner un jour : ce qu’il me donnait, je voulais absolument pouvoir le rendre à d’autres. Et ça rejoignait certainement quelque chose de profond en moi, parce que ma mère était chanteuse et professeure de chant. J’avais grandi en entendant ses cours. Grâce à Gary Magby, j’en prenais dorénavant qui me permettaient d’apprendre à chanter, pour reprendre le fil de ma carrière avec des moyens et des solutions qui n’avaient plus rien à voir avec le chanteur que j’avais été au début.

Stephan MacLeod chez Masaaki Suzuki aux côtés de Yukari Nonoshita (soprano), Robin Blaze (alto) et Makoto Sakurada (ténor)

M.B. : une très belle carrière, et avec énormément de baroque allemand…

ML. : Le mal était fait ! J’étais un chanteur siglé Bach, tagué Bach. Je faisais du Bach, je parlais l’allemand, et donc je chantais énormément de Bach… Mais au départ, il n’y a pas eu de ma part de velléité, d’affinité particulière. Aujourd’hui, je sais pourquoi j’ai besoin de faire autant de Bach que ça : il me nourrit, il m’enrichit, c’est une source sans fin de stimulation intellectuelle, musicale, émotionnelle, culturelle. J’ai désormais un rapport profond et quotidien avec Bach à travers sa musique. Il est devenu essentiel dans ma vie.

M.B. : on en revient à votre théorie du hasard initial…

ML. : Même si j’admets que quand on fait de la musique, le lien avec Bach n’est jamais là par hasard. J’ai joué du piano et du violon avant de faire du chant, et j’ai eu des déclics en lien avec la musique qui sont clairement liés à Bach depuis mon plus jeune âge. J’ai entendu ma mère chanter les Passions quand j’étais enfant. J’ai joué les transcriptions pour violon des Suites pour Violoncelle. Je suis passé par ces étapes où l’on est complètement ébouriffé en tant que musicien par la beauté et la profondeur de ce langage. Mais voilà, j’étais parti en Allemagne pour faire du Lied, je voulais être Fischer-Dieskau, et tout a mal tourné (rires).

 

Deuxième partie : Gli Angeli Genève

Stephan MacLeod et Gli Angeli Genève © Aude Nowak

Muse Baroque : vous fondez votre ensemble en 2005, Gli Angeli Genève, avec la particularité que vous souhaitez expressément que les musiciens ne jouent pas que du baroque, pourquoi une telle demande de votre part ?

Stephan MacLeod : Pour qu’ils ne soient pas trop mauvais ! (sourire). Je plaisante, mais j’ai pu goûter d’assez près à l’hyperspécialisation pour comprendre tout ce qu’elle peut avoir de réducteur et de dangereux, quand les gens ne sont pas suffisamment curieux de ce qui se passe en-dehors de leur domaine. La musique n’a jamais existé dans une époque isolée des autres. La musique a toujours été au carrefour d’influences et de désirs. Il n’existe pas de musique qui soit arrêtée dans le temps. Et il y a malheureusement beaucoup de gens qui se spécialisent dans un domaine déterminé, en pensant qu’ils sont à la recherche d’une vérité, ce qui n’a aucun sens.

Je pense que j’ai la chance de faire partie d’une génération qui n’a pas eu besoin de lutter pour prouver la légitimité qu’il y avait à interpréter un répertoire donné avec des instruments anciens par exemple, et avec une grammaire redécouverte et réapprise grâce au travail de certains pionniers. Aujourd’hui, on a pleinement compris et assimilé, mais on l’a compris d’une manière esthétique, on l’a compris d’une manière sentimentale. « C’est tellement plus beau comme ça » [sur instruments anciens], ce qui n’empêche pas que ça puisse être magnifique avec des instruments modernes. Je n’ai pas à être dans la guerre de tranchées entre les Anciens et des Modernes. Cette guerre de tranchées-là a fait proférer, comme toutes les guerres, un nombre incalculable de bêtises et de positions dogmatiques de part et d’autre. Et les dogmes en musique, j’observe depuis toujours qu’ils handicapent profondément les musiciens qui se cachent derrière.

Lorsque j’ai fondé Gli Angeli, dans ma démarche, il y avait un besoin et une envie en moi de travailler avec des musiciens curieux d’autres répertoires que du baroque seulement. Je pensais et pense toujours que l’éclectisme en musique garantit une ouverture d’esprit, et donc une capacité à inscrire ce qu’on fait dans une dimension ou c’est relié à un tout. Prenez Bach : il n’existe pas en dehors de tout. Il est lui-même relié à ce qui le précède. Il met ses influences en avant, il met ses désirs en avant. Il n’est pas isolé, seul sur une planète. Si on conçoit la musique comme s’il y avait une vérité propre à une époque, à un compositeur, à un instrument, on se retrouve par définition à côté de la plaque.

M. B. : cela m’avait d’autant plus étonné que… vous chantez tout de même vraiment beaucoup de baroque et beaucoup de baroque germanique plus précisément. La musique française vous intéresse moins ? Lully, Charpentier, Couperin…

ML. : mais si, mais si, bien sûr qu’elle m’intéresse ! J’ai chanté des Lamentations de Charpentier. J’ai fait Dardanus cette année. Mais vous avez raison sur un point : Lully, je ne l’ai jamais vu. Jamais.

M. B. : pourquoi ce boycott anti-Lully ? A cause de son monopole sur l’opéra ?

ML. : Il y a une autre réalité, plus simple, qui est que je n’ai pas vraiment existé en France en tant que chanteur. J’y ai très peu travaillé, comme je n’ai quasiment pas travaillé avec des ensembles français pendant des décennies, alors même que j’ai habité à Paris pendant huit ans.

Et là, de nouveau, si je me demande pourquoi, je me dis que c’est le hasard ! Quand j’avais vingt-quatre, vingt-cinq ans, William Christie m’a auditionné et engagé pour un projet énorme [King Arthur], qui devait avoir lieu quelques mois plus tard seulement, sur une espèce de coup de tête. Finalement, ça ne s’était pas fait pour moi, parce qu’il m’avait engagé alors que la production était déjà complètement bouclée. C’était un immense projet, sur une année ou presque, avec des dates au Châtelet, à Londres, un peu partout, une grosse tournée, le disque. Mais tout le monde était déjà engagé depuis longtemps, et tout à coup, Christie rajoutait un chanteur, ce qui l’obligeait à enlever des rôles déjà promis à d’autres chanteurs ! Il fallait aussi rajouter un nouveau costume, imaginer une personne de plus sur scène, tout cela quelques mois avant que ça commence ! Alors les co-producteurs, ses partenaires, je ne sais pas très bien qui, lui ont fait comprendre que c’était trop complexe, voire impossible, et ce qui m’a été finalement vraiment offert à chanter, et à gagner, s’est réduit à peau de chagrin, doubler deux passages, un petit solo… A la fin, c’était tellement peu par rapport à tout ce que j’avais dû annuler pour accepter ces dates que j’ai dû y renoncer. J’ai donc décliné, et je n’ai jamais travaillé avec Christie. Peut-être que ma vie aurait été complètement différente si je l’avais fait ? Je me serais probablement retrouvé à chanter du Lully, du Grand Prêtre [d’Apollon dans Les Boréades] chez Rameau beaucoup plus tôt, et ma carrière aurait pris une autre direction, avec beaucoup plus de musique française… Je ne le saurai jamais.

Stephan MacLeod et Gli Angeli Genève © Aude Nowak

M.B. : vous fondez Gli Angeli Genève en 2005. Y avait-il un programme précis en tête ?

ML. : J’avais envie d’un ensemble de musiciens qui pourraient jouer de la musique baroque mais aussi du classique et pouvoir aborder le répertoire symphonique. On en fait de plus en plus d’ailleurs. Cette année, on fait la 3ème de Beethoven, on fait son 3ème concerto pour piano, le concerto pour violon. Beaucoup de Beethoven cette année. Et cela fait 6 ou 7 ans qu’on joue beaucoup de Haydn, du Mozart… On monte aussi au moins un grand projet de polyphonie chaque année, comme un programme Josquin dont le disque est sorti l’an dernier et dont je suis très fier. On enregistre un disque Manchicourt cette année, en janvier. On a fait la messe de Brumel l’année dernière. On a fait l’Office des Défunts de Victoria avec le Requiem de Fauré il y a quelques jours au Victoria Hall…

M.B. : vous mélangez donc fréquemment les répertoires d’un concert à l’autre ?

ML. : Voire y compris au sein d’un même concert. Quand on peut proposer des programmes qui font ces grands écarts, j’aime beaucoup le faire. J’ai réalisé en Hollande et dans le cadre des matinées du samedi au Concertgebouw d’Amsterdam dans les années 90 – 2000, à quel point c’était fabuleux de mélanger les répertoires : de se servir de Stravinsky pour faire écouter Schütz, et de se servir de Schütz pour faire écouter Stravinsky. Avec Gli Angeli, on a par exemple donné l’an dernier un programme rassemblant la messe de Machaut et la messe de Stravinsky, ainsi que des motets de Gesualdo et le Monumentum de Gesualdo réorchestré par Stravinsky, tout cela dans le même concert. Pareil, on avait conçu un programme autour des Stabat Mater où on faisait Arvo Pärt, Scarlatti, Pergolèse et Palestrina. Dans la même veine, je me souviens aussi d’un programme appelé “Magnificat” où on a mélangé Arvo Pärt, Schütz, Bach et Vivaldi. On a fait un programme “De Profundis“ où on mélangeait cette fois Josquin, Bruhns, Bach, Pärt et Delalande… J’aime bien aller un peu dans tous les sens !

 

Vers la suite de l’entretien et l’intégrale de cantates sur mélodie de choral de Bach

 

 

En savoir plus :

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 19 décembre 2025
Fermer